Le page de la Reine Margot, 1er épisode.
Par M. le Duc de la Salle de Rochemaure.
"Pour Dieu, Capitaine, faites halte, je suis à bout de forces, toute rompue, endolorie, les reins brisés. Me croyez-vous de la trempe des villageoises que nous croisons, somnolentes sur leur haquenée, embrassant à pleins bras la taille des lourdauds qui les mènent ? A chaque réaction du cheval, le pommeau de votre épée me meurtrit la main. Arrêtez incontinent, vous-dis-je, je me sens défaillir !"
Et la Reine, abandonnant la ceinture du Capitaine, fit mine de se laisser choir.
Celui-ci se tourna à demi. Taillé en Hercule, d'allure énergique, la vie l'avait déjà marqué de son empreinte sans lui faire rien perdre de sa mâle beauté, sa forte moustache déjà grisonnante, les rides creusant leur sillon sur cette belle figure au teint hâlé accusaient la cinquantaine, mais le corps avait gardé la souplesse et la vigueur d'antan. Tête et buste aussi inclinés que le lui permettaient sa position fort incommode :
"Madame, fit-il d'un ton de profond respect, nuancé de quelque galante familiarité, Votre Majesté n'ignore pas que nous jouons gros jeux, la partie engagée est périlleuse, le Roi des Mignons et le Parpaillot Béarnais (1) seraient également heureux d'obliger la Reine de Navarre à réintégrer Agen où elle resterait leur prisonnière. Bussy (2) m'a fait aviser du péril, en ce maudit Quercy, nous pouvons d'un instant à l'autre être cernés par l'armée royale."
Je suis pleinement assuré du dévouement des cinq cents lances qui nous escortent, mais que pourrait leur bravoure contre une troupe dix fois supérieure !
Je supplie votre Majesté de faire appel à toute son énergie pour dominer une passagère défaillance. Encore deux petites lieues et nous atteignons enfin, la Capelle-Marival, le Baron (3), dont je suis l'allié est des nôtres, il est prévenu de l'honneur qui lui échoit, les soins empressés des châtelains vous ferons trouver dans ce beau château repos et réconfort. Demain, la litière qui s'est si fâcheusement rompue ce matin nous aura rejoint, le reste du voyage se fera aisément et, dans deux jours, Votre Majesté sera enfin en sureté dans son château de Carlat où mon frère a tout disposé au mieux pour Sa sureté et Son agrément.
"Quelle destinée singulière que la mienne ! Gémit la Reine toujours dolente mais résignée à demi. Fille, sœur, femme de Rois et condamnée à fuir devant les "Mignons" de mon frère et les maîtresses de mon mari, repoussée par l'un, quasi prisonnière de l'autre, peste soit de la "Fille et du " Malodorant", résignons-nous, Messire, puisque votre dévouement l'exige.
Et, faisant "lèvre lippue", esquissant la moue la plus dédaigneuse à l'adresse de son auguste frère Henri troisième, Roi de France et de son volage époux Henri de Béarn, Roi de Navarre, Marguerite de Valois enserra d'un bras languissant la taille du Capitaine qui avait fait reprendre l'amble à son cheval.
C'était entreprise hardie qu'avait risquée François de Lignerac, Baron de Pleaux, Saint-Chamant, Cologne, Nerestang et moult autres lieux, jadis Capitaine des Gardes de la Reine Elisabeth d'Autriche, femme de Charles IX, et Gentilhomme de la Chambre, aujourd'hui Lieutenant Général du Roi en Haute-Auvergne et Chevalier de l'Ordre, que d'enlever la Reine de Navarre à sa quasi captivité d'Agen, et de lui faire franchir, tantôt en litière, tantôt en croupe de son cheval, les quarante lieues qui séparent la capitale de l'Agenais du château de Carlat.
Fanatique ligueur, catholique exalté, Lignerac entièrement dévoué aux Guises, obéissait aveuglément aux ordres de la Ligue sans le moindre souci de ceux du Roi de France, de qui il tenait pourtant charges et dignités. Le Duc de Guise et surtout le cardinal de Lorraine, son frère, lui avaient enjoint d'arracher la Reine de Navarre à la captivité déguisée où la tenait le Béarnais au château d'Agen, estimant la liberté de la royale séductrice utile à leurs projets.
Le Lieutenant Général du Haut-Pays d'Auvergne s'était empressé à cette mission difficile qu'il avait réussi à mener à bien jusque-là.
On sait que les rapports conjugaux n'avaient jamais été empreints de passion enthousiaste entre Henri de Béarn et sa femme !
Si le "Vert Galant" cherchait de multiples consolations à une union mal assortie, la Reine Marguerite, "Margot", comme l'appelait son frère Charles IX, affichait une indépendance qui scandalisait les moins prudes de cette Cour de Valois, pourtant de mœurs si libres !"
"En donnant ma sœur Margot au Prince de Béarn, je la donne à tous les Huguenots du royaume" avait dit cyniquement Charles IX.
Lors du mariage qui rompait la liaison affichée de Marguerite de Valois avec le Duc de Guise, le futur Roi de France, au dire des Ligueurs. Au cours de ce mariage qui durait depuis treize ans, les orages avaient succédés aux orages, suivi de raccommodements aussi superficiels que momentanés.
(A Suivre)
1) Henri III, Roi de France, dont les favoris étaient appelés " les Mignons du Roi" et Henri Roi de Navarre, plus tard Henri IV, alors chef des Huguenots ou Parpaillots ainsi que les appelait les protestants.
2) Bussy d'Amboise, Conseiller influent d'Henri III dont l'intimité avec Marguerite de Valois avait été publique à Paris, avant qu'elle ne se retirât à Agen.
3) La sœur du Lieutenant Général, Françoise de Lignerac, avait épousé en 1569, Antoine de Cardaillac-Végènes, cadet du Baron de la Capelle-Marival. (Quercy)
Liens vers les autres épisodes :
3- Margot et Guinot le bel archer
Texte extrait du journal " La Musette" de mars 1909.
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