Les noms de rues de Clermont.
Texte de Francisque Mège, 1865. (1/2)
En ce temps de grandes améliorations locales proposées,
projetées, exécutées, ou en cours d'exécution, il paraîtra peut-être
d'un bien mince intérêt de venir parler de la dénomination des rues et
places publiques. A première vue la chose est de peu d'importance, c'est
vrai. Si l'on n'envisage les noms des voies publiques que comme un moyen
d'en faciliter l'indication, il importe peu qu'une rue s'appelle de tel ou
tel nom, on pourrait même simplifier en désignant, comme
en Amérique, je crois, chaque rue, chaque place, par un numéro ou une lettre
de l'alphabet.
Mais un nom de rue n'a pas seulement pour objet de servir
d'indication et de faciliter les relations et correspondances. Comme toutes
les villes ne sont pas assez riches pour ériger des statues ou des monuments
commémoratifs aux hommes qui leur ont communiqué l'éclat de leur célébrité,
il est passé dans l'usage de désigner les voies publiques par les noms de
ces hommes. C'est un moyen à la fois plus facile et moins onéreux de payer
une dette de reconnaissance, d'honorer le mérite et de rappeler en même
temps à toutes les classes de la population le souvenir des illustrations
locales.
C'est en se plaçant à ce point de vue que le Conseil municipal de
Clermont-Ferrand ferait bien, à mon avis, d'opérer une
révision des noms des rues et places de notre ville. Déjà en 1820 un arrêté
municipal avait changé les noms d'une quinzaine de nos voies publiques. Mais
depuis on avait négligé presque totalement cette partie pourtant
intéressante de la voirie.
Ce n'est pas cependant que tout soit pour le mieux sous ce
rapport, dans notre bonne ville de Clermont.
Il y a d'abord à dénommer les rues et places qui n'ont aucun
nom : ce sont, sauf erreur :
1° La place neuve où aboutissent la rue Blatin, la
route de Chamalières et la rue du Bois-de-Cros.
2°La rue où se trouve la chapelle évangélique, qui va de la rue
Blatin à la rue Fontgiève.
3° La place où ce tient le Marché au bois de chauffage.
4° La rue qui part de la rue Fontgiève, près la maison
Bonnabaud, et se dirige dans le quartier
Saint-Alyre,
on la désigne quelquefois sous le nom de Rue des Hospices.
5° Le tronçon de rue qui de la Place Désaix débouche sur la
rue Ballainvilliers en face du Marché au blé.
6° Le nouveau boulevard qui, partant de la route d'Issoire, passe
sous le Jardin des plantes et l'Hôtel-Dieu et arrive à la
route de Bordeaux en face du nouveau Marché des Salins.
7° L'avenue, en cours d'exécution, qui de la barrière de la
Croix-Morel se dirige directement sur l'entrée de la
Gare du chemin de fer.
8° La rue ou chemin qui de l'avenue de la Croix-Morel va
aboutir à l'entrée de la nouvelle caserne de cavalerie sur l'avenue
centrale.
Puis il y a des noms des anciennes rues à revoir, et, s'il est nécessaire à
changer.
Ainsi, vérification faite, je supprimerais d'abord les fautes
d'orthographe. Je ne laisserais plus s'étaler sur des écriteaux des noms
comme ceux-ci :
Rue des Petits-Tueries.
Place Dezaix.
Remarquons à ce propos que Désaix est réellement malheureux à
Clermont. On a estropié son propre nom, et l'on a, sur
le piédestal de sa statue, à Jaude, tronqué le nom d'une
des victoires qu'il a remportées. On devait écrire Kehl et non pas
Kelh.
Il y a beaucoup de noms qui ne sont aujourd'hui compris
de personne. Ce sont des noms respectables, sans doute, qui ont eu leur
raison d'être. Mais ils n'ont plus cours et dès lors, il faut les retirer de
la circulation et les classer à part comme des médailles linguistiques
bonnes à êtres consultées par ceux qui s'occupent de l'histoire de la
langue. Je citerai dans cette catégorie les noms suivants : la rue
Barnier, jadis Barmet, la rue Forosan, la rue
des Aises,
la rue de l'Ente, la rue Cadène, la rue Prévote, la rue
Neyron, la rue Barbançon, etc.,etc.
D'autres noms, quoique ayant une signification compréhensible en eux-mêmes,
n'ont actuellement aucune raison d'être appliqués à une rue, tels sont
:
La rue de la Treille, La rue des Bons-Enfants, la rue de la
Truie-qui-File, la rue du Billard, la rue Couronne, la
rue des Quatre-Passeports, la rue de la Sellette, la rue des
Trois-Moineaux, la rue du Cheval-Blanc, etc.
A tous ces noms je donnerais sans regret des successeurs.
Maintenons, si vous le voulez, la plupart des noms de saints.
Beaucoup rappellent de grandes vertus ou des services rendus dans des temps
déjà loin de nous. Maintenons aussi certains noms qui sont incrustés dans la
mémoire des habitants et qui servent à désigner tout un quartier :
La place de Jaude, Fontgiève, les rue des Gras, la place du
Champgil, la rue saint Eloy, Saint-Alyre,
etc.
Mais débarrassons-nous des appellations bizarres et
énigmatiques. Qu'il n'y ait plus :
De place Devant-Clermont et de place Derrière-Clermont, plus
de rue des Bohèmes, rue du Sauvage, rue de l'Ange, rue
du Chapon, plus de rue de l'Enfer et de rue du
Paradis : l'enfer est plus peuplé et le Paradis plus beau. Qu'il n'y
ait plus de rue des Aimés : nous ne sommes pas au pays du
Tendre, plus de rue des chats : Clermont, que je sache, n'a
pas eu de Capitole préservé par des matous.
Pourquoi conserverions-nous une rue des Peigneurs, une
rue de la Coifferie, etc. puisque les peigneurs et les perruquiers
n'y sont plus groupés ?
Changeons encore des noms comme ceux-ci :
Rue de l'Ancien Cimetière, rue du Cimetière
Saint-Adjutor. Les vivants n'aiment pas à se souvenir qu'ils
habitent le séjours des morts.
Ne laissons plus de rue ou Place Royale. Je
n'aime pas ces rues girouettes qui, à chaque secousse politique, laissent
envoler leur nom.
Evitons les noms doubles, que la même dénomination ne serve
pas à désigner deux rues distinctes et séparées, comme, par exemple, la rue
de l'Etoile et la place de l'Etoile, la rue
Villeneuve et le cul-de-sac Villeneuve.
Evitons aussi d'avoir pour une même place deux appellations
différentes, comme cela a lieu pour le Marché au poisson, qui porte à
la fois le nom de place du Mazet et celui de place du
Marché-au-Poisson.
Supprimons enfin, pour empêcher des erreurs faciles à
commettre, les noms rappelant des établissements qui ont changé de quartier.
Qu'il n'y ait plus devant la caserne d'infanterie de boulevard du
Grand-Séminaire, puisque le grand séminaire est établi à
Montferrand. Qu'il n'y ait plus, près de l'Hôtel-Dieu,
de rue du Bon-Pasteur, puisque le couvent du
Bon-Pasteur est actuellement près de la rue de l'Oratoire.
Qu'il n'y ait plus, près de la rue Pascal, de rue des
Ursulines, du moment que les Ursulines sont allées s'établir
dans l'ancien couvent des Bénédictins à Saint-Alyre.
Voilà bien des noms à terre. C'est un vrai 93. Nous avons
débaptisé bien des rues. Reste à leur reconstituer un état civil. Cela ne
sera pas difficile, je l'espère. Cherchons dans nos annales, et nous
trouverons d'illustres parrains. Cherchons depuis les temps reculés jusqu'au
moment qui nous touche, mais arrêtons-nous là. Ne prenons pas les noms
d'hommes vivants, quelque grand que soit leur mérite. On n'érige pas
habituellement de statues aux vivants, la postérité n'a pas commencé par
eux.
Bornons donc notre choix aux noms des célébrités qui ne sont
plus, nous serons assez riche encore. Nous n'aurons plus, malheureusement, Pascal, Domat, l'Hospital, Désaix, puisque leurs noms
ont déjà été donnés à quelques-unes de nos voies publiques. Mais au-dessous
d'eux, et avec un éclat bien grand encore, bien de rares talents, bien de
grands esprit se sont fait jour en Auvergne, bien des noms ont
mérité de survivre.
Pour moi, si j'avais mission de choisir des désignations dans
ce Panthéon de l'Auvergne, parmi les hommes célèbres des époques
antérieures à la notre, j'emprunterais leur nom à :
Jean Deschamps, l'architecte de notre belle Cathédrale.
Aycelin de Montaygut, le chancelier de France.
Pierre-le-Vénérable ou de Cluny, de la famille de
Montboissier, un des hommes et écrivains les plus remarquables du
douzième siècle.
Pierre d'Auvergne, évêque de Clermont et frère du
cardinal-ministre de Louis XII. C'est à lui que nous devons cette
belle fontaine aujourd'hui placée au croisement du cours Sablon et de
l'avenue centrale du chemin de fer. Pourquoi cette avenue ne
s'appellerait-elle pas Avenue d'Amboise ?
A Rigault d'Aurelle, seigneur de
Villeneuve-Lembron, qui fut tour à tour capitaine des francs archers
Auvergnats, ambassadeur du Roi de France en Allemagne et à Venise.
Anne Dubourg, qui préféra la mort au sacrifice de ses convictions.
Basmaison, Mazuer, deux jurisconsultes éminents.
Guillaume Duprat, 81ê évêque de Clermont, qui consacra
une partie de son immense fortune à la construction et à la dotation d'un
hôpital dit de Saint-Barthélemy, qui occupait l'emplacement compris
aujourd'hui entre la rue Saint-Louis, la rue Neuve et la rue
Saint-Barthélemy. Le nom de rue Duprat devrait, ce me semble,
être substitué à celui de rue Neuve. Ce serait rappeler le bienfait
sur les lieux mêmes où il a été accompli.
A Génébrard, de Riom, archevêque d'Aix, un des
érudits les plus distingués du seizième siècle.
Au Maréchal d'Effiat, qui, sous Louis XIII, occupa
successivement les plus hautes fonctions du royaume : celle grand maitre des
mines et minières, de maréchal de France, de surintendant des finances,
d'ambassadeur en Angleterre, etc. C'est lui qui fonda l'école militaire
d'Effiat, où fut plus tard élevé Désaix.
Au jésuite Sirmond, un des maitres de l'érudition.
A Antoine Arnauld, le grand philosophe.
A Cordemoy, de Royat, un des premiers membres de
l'Académie Française.
Bourzeis, de Volvic, un des plus habiles théologiens
du dix-septième siècle. Il passe pour avoir été un des rédacteurs du
Testament politique de Richelieu.
Jean Soanen, l'illustre prédicateur.
Michel Rolle, l'algébriste, un des membres les plus
remarquables de l'ancienne Académie des sciences, mort en 1719.
Ndlr : fin de la première partie, à suivre dans le prochain article.
Sources : Texte de Francisque Mège, 1865. © Article et
Photos Regards et Vie d'Auvergne. Vous pouvez laisser un commentaire au bas de
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