Raoul D'Aubiac, écuyer de la Reine Margot, (épisode 2).
Vieillevie sur le Lot, Cantal, Auvergne. |
Par le Duc de la Salle de Rochemure.
Le Lot trace, à Vieillevie, la limite entre le Comté de Quercy et la Vicomté de Carlat. Sur l'une des rives, Sénergues et sa vieille église, ses chaumières tassées au pied du clocher branlant, relevaient, au spirituel, de l'Evêque de Cahors, astreintes, pour le temporel, à la taille, à la justice, à la Coutume du Comté de Quercy, point extrême du territoire sur lequel s'étendait la juridiction d'Antoine, Comte de Cardaillac, baron de la Capelle Marival, Gouverneur de Province.
Sur la berge opposée, c'était le Carladez, Le Haut-Pays d'Auvergne, Vieillevie antique bourgade dont le donjon qui sert de clocher à son église, et les remparts de sa forteresse, aujourd'hui démantelée, se miraient déjà dans les eaux du Lot aux temps Gallo-Romains. Une vraie foule, chamarrée et brillante, se pressait sur les rives Carladéziennes quand le bac, qui portait la Reine de Navarre, franchit la rivière.
Croix processionnelle en tête, Jean Lacrots, Prieur de Vieillevie, suivi de ses Prêtres Communalistes, attendait aux côtés du seigneur du lieu : Antoine de Moret-Montarnal, baron de Pagas et de Vieillevie, Gentilhomme de la Chambre du Roi, mais vieux fidèle des troupes Guisardes et Ligueur avéré. Dominant de sa haute taille le groupe de seigneurs Carladéziens qui l'entourait, toque en main, dague au poing, se tenait à l'endroit même où la Reine devait aborder, le Capitaine-Gouverneur du château de Carlat et de la Vicomté de Carladez : Gilbert de Lignerac Marquis de Marze, de la Garde Guillotin et d'Eygurandes-Merlines, prêt à fléchir le genou devant sa Souveraine, Marguerite de Valois, Reine de Navarre, Vicomtesse de Carlat.
D'une stature encore supérieure à celle de son frère le Lieutenant-Général, "le valeureux et si sage Capitaine Marze" comme l'appelait le Président de Vernyes, était l'un des seigneurs les plus considérés de la Province, moins en raison de sa naissance illustre et de sa richesse territoriale, que pour l'urbanité de ses manières, la sagesse et la prudence de sa conduite.
Marié à Claudine D'Ussel-Marze, fille de Claude, Baron de la Garde et Eygurandes-Merlines, et de Françoise de Tournemire-Marze, il tenait de sa femme, héritière de ces rameaux des Maisons D'Ussel et de Tournemire, la vaste baronnie d'Eygurandes-Merlines, aux confins du Limousin et de l'Auvergne, et celle de Marze, en la paroisse de Saint-Cernin près Aurillac, qu'Henri IV devait ériger plus tard en marquisat et dont hérita son unique fille, la délicieuse Claudine de Lignerac-Marze, mariée au comte de la Salle, Baron de la Rodde, Chaussenac Caylus, etc.. et plus tard marquis de Marze qui avait accompagné son beau-frère à Vieillevie. (1)
Ligueur comme son frère, il l'était avec infiniment plus de sens et de modération, inclinant vers ce sage parti des "politiques", dont un autre Auvergnat : le Chancelier de l'Hopital, était la plus haute et la plus noble expression, qui devait amener finalement l'abjuration et l'avènement incontesté d'Henri IV.
Escortée des cent plus illustres gentilhommes du Carladez, de toutes les autorités du pays, Marguerite fît, vraiment en Souveraine son entrée dans Carlat. Raoul d'Aubiac, qu'elle avait présenté à tous comme son Ecuyer de prédilection, son Garde-du-corps inséparable, cheminait toujours attentif à ses côtés, prêt au moindre appel.
Ce que fut la vie fastueuse et brillante de la Reine pendant les dix-huit mois de son séjour à Carlat, chroniqueurs locaux et grands historiens l'ont conté par le menu. L'un des plus graves assure que :
" Si elle y donna quelques sujets de scandale, elle édifia plus souvent par sa pitié et ses bonnes œuvres. Chacun s'accorde à reconnaître que "Margot" avait vraiment "le cœur sur la main", miséricordieuse à l'infortune, serviable à tous, aux plus humbles aussi bien qu'aux grands."
De quelque collation prise, sans doute, chez un hôtelier d'Aurillac, quand elle y allait faire visite à Monseigneur l'Abbé de Saint-Géraud, entendre de la musique chez le Commandeur de Carlat, dans son bel hôtel devenu plus tard le collège communal (2), ou pour honorer de sa présence une fête donnée par le Lieutenant-Général Lignerac ou Messieurs les Consuls, elle avait gardé assez reconnaissant souvenir pour ne pas dédaigner de recommander à ses juges son aubergiste de la cité abbatiale en mal de procès, ainsi qu'en témoigne cette lettre à Mr de Vernyes, Président de la Cour des Aydes de Montferrand, scrupuleusement transcrite : (3)
"Monsieur le Président.
Un pourteur, hoste (aubergiste, hôtelier) d'Aurillac s'en va exprès pour un procès qu'il a à Montferrand pardevant vous, et, pour ce que s'est montré fort affectionné à mon service depuis que je suis en ce pais, je n'ay peu moingts que de vous recommander son bon droit, pour vous prier de lui faire bonne et brèfve justice, de la quelle je me souviendrai comme faicte pour mon fait propre et vous en séauvré grè où jamais les occasions se présenteront d'aussi bonne volonté que je désire demeurer à jamais.
De Carlat, ce premier jour de Mai 1586.
Votre meilleure amie Marguerite."
Cette mansuétude, ce souci constant d'obliger les plus humbles, de soulager toute infortune explique le souvenir confus mais très vivace que les Carladéziens ont gardé "à la Reine (Margot) qui habitait Carlat".
Bien souvent, elle chargea son bel écuyer de se faire le ministre discret de ses charités, souvent aussi, elle l'éloigna d'elle, sous les prétextes les plus spécieux, pour retrouver momentanément une solitude, un isolement, dont son cœur, trop facilement impressionnable éprouvait l'impérieux besoin, sans rien retirer pour cela à d'Aubiac de ses bonnes grâces. Le bel Ecuyer trouvait, à son retour, sa Souveraine plus affectueusement aimable que jamais, une mélancolie profonde ne le gagnait pas moins que les bontés multipliées de la Reine finissaient enfin par dissiper.
Ca fut, probablement, au cours d'une de ces missions, parfois longues de plusieurs semaines, auprès du Duc de Guise ou du Duc d'Alençon, le seul de ses frères pour qui Marguerite eut tendresse et confiance, que dut se dérouler l'intrigue avec Jean de Rézigade, le beau pâtre Carlézien, que nous avons conté jadis.
Le dévouement passionné de Raoul l'ignora sans doute, son ombrageuse adoration s'en fut émue et irrité tout autant que des soupçons, trop justifiés d'apparence, que lui inspira Guinot, le bel archer.
A suivre.
1) Le Compte Jean de la Salle, baron de la Rodde et plus tard marquis de Marze, gendre de Lignerac, est le même qui, lors de la rébellion de Mme de Morèze et de François de Sales du Doux, qui entraina la démolition du château de Carlat, franchit à franc étrier la distance de Carlat à Fontainebleau, de là à Orléans où il trouva enfin Henri IV, obtint audience du Roi, rapportant la lettre autographe que nous possédons et était de retour à Carlat le septième jour.
2) Les vastes bâtiments de la rue du Collège qui ont vu défiler tant de générations d'étudiants Aurillacois, occupaient l'emplacement de l'hôtel du Commandeur de Carlat.
3) Publiée par Bouillet : tablettes hist.d'Auvergne
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Source :
Texte : extrait No2 du journal "La Musette" Revue artistique et littéraire des originaires du Massif-Central, 1909.
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