Page, Ecuyer, Capitaine, la Reine Margot à Carlat, 3/5.

 La Reine Marguerite de Valois et le bel archer Guinot  près de Carlat, Cantal, Auvergne. (épisode3)

Ancienne forteresse de Carlat, Cantal
Ancienne forteresse de Carlat, Cantal

   Sur la rive opposée de la rivière se dressaient des cibles portant chacune à leur centre, suspendu par un fil, un écu de six livres qu'archers et arbalétriers s'escrimaient à faire tomber et qui devenait alors le prix de leur adresse. De tous les concurrents Guinot était le plus habile, le mieux favorisé de la fortune. De taille moyenne, solidement charpenté, son torse puissant se devinait athlétique sous les mailles souples du "tricot" collant, sur ses bras nus se dessinait à chaque effort le jeu des muscles est avec sa chevelure noire et frisée, plantée bas sur le front, son nez droit, sa bouche aux lèvres épaisses et charnues, ses yeux noirs et profonds rendus plus ténébreux encore par la longueur des cils qui les voilaient, il ressemblait à ces médailles d'argent des Empereurs Romains : Claude, Vespasien, Dioclétien, Licinius qu'on trouvait en grand nombre autour du bassin où jaillissait, tout près de là, la "Font salada".
   On chuchotait que Guinot, l'adroit archer, était de grande race Carladézienne charriant dans ses veines un sang illustre puisque son aïeul, mort centenaire il n'y avait pas encore un demi-siècle, était l'enfant né des amours du beau et malheureux Vicomte de Carlat, Jacques d'Armagnac, Duc de Nemours et de Jeanne de la Bersonnière, de la paroisse de Polminhac.
   Admirative de l'athlétique archer ou de la précision de son tir, la Reine salua d'un encouragement gracieux chaque coup adroit de Guinot. 
   Détachant d'un joli geste son collier d'or émaillé fait de délicates volutes, serties l'une à l'autre, dont aucune n'était assez grande pour qu'un doigt y pénétra librement :
   " Allez donc le suspendre à l'une des cibles, " dit-elle à son Ecuyer, nous verrons si Guinot pourra réussir à piquer une flèche dans chacun des étroits intervalles".
   D'Aubiac, encoléré déjà de la bienveillance de la Reine pour l'archer, feignit de ne pas entendre, jouant avec son lévrier. Lignerac lui-même s'empressa, et bientôt, fulgurant au soleil de toutes ses gemmes, le collier de la Reine apparaissait, si mignon, attaché à la cible, que, seul, l'œil exercé d'un chasseur pouvait distinguer ses cercles minuscules.
   " Diaouse ! L'i pas gras !  L'i caou offusta juste é de biai !
   - Par Dieu, le but est mince, il faut viser juste et propre ! Ronchonna Guinot sans s'émouvoir. 
   Et, posément, méticuleusement, il choisi ses flèches, ne gardant au carquois que celles dont la pointe lui parut la plus fine et la plus acérée. Dix-huit fois il banda son arc, autant de fois la flèche alla se ficher droit au cœur de chaque volute figurant une marguerite, sans qu'aucune pointe n'en effleurât l'émail. Enthousiasmée, la Reine battait des mains, prodiguait compliments et félicitations à l'habile archer.
   Le cadet Lignerac, fier de son élève, remerciait pour lui, tandis que Raoul, le bel écuyer, l'œil mauvais, dévisageait Guinot, passant sa colère sur les oseraies de la rive qu'il tordait rageusement.
   " Garde mon collier, Guinot mon bel ami, dit Margot à l'archer, rapporte le moi ce soir à Carlat, je te remettrai en échange autant de doublons que tu m'as donné de preuve de ton extraordinaire adresse. A ce soir Guinot !" fit la Reine dans un dernier sourire.
   Quand elle quitta, au coucher du soleil, la capitale de sa Vicomté pour regagner Carlat en litière, son inséparable Ecuyer fut introuvable et François de Sales du Doux-Loradou, la Capitaine Loradou, comme on l'appelait, dut prendre le service pour accompagner Sa Majesté.
   La nuit était complète, sans lune, rendue plus obscure encore par l'amoncellement de nuages d'un orage menaçant, tandis que Guinot traversait les hauts plateaux de Badailhac, jetant aux échos notre "Grande" (1) à pleins poumons, comme un homme content de sa journée et pleinement satisfait de son sort. Il atteignit Espels, commençait à descendre les pentes de l'étroit vallon de Saint-Etienne que domine la table basaltique de Carlat, quand un homme, brusquement surgit du hallier, se jeta sur lui et le serrant à l'étouffer :
" Donne-moi, céans, le collier de la Reine, ou je te cloue de mon épée, comme un crapaud, à ce tronc d'arbre"
   Guinot, étourdi d'abord, se ressaisit vite. Arcbouté sur les jarrets, d'un rude haut le corps, il fit perdre pied à l'assaillant, puis, d'un effort des reins se dégageant, l'envoya d'un coup de tête en pleine poitrine rouler dans le taillis. Sa délicate figure déchirée par les ronces, le beau Raoul, plus aveuglé encore de jalousie que du sang qui roulait de son front labouré par les épines, se releva prestement, et, l'épée basse, se jeta sur Guinot. Celui-ci avait pu dégainer le large coutelas que portait les archers. Insoucieux de l'épée qui lui trouait le flanc, il s'enferra lui-même pour atteindre l'épaule de Raoul qu'il taillada à grands coups. Bientôt les deux adversaires couverts de sang, aussi mal en point l'un que l'autre, roulèrent évanouis dans le chemin creux.
   Quand après plusieurs heures, Guinot revint à lui sous la pluie d'orage qui l'inondait, il vit l'Ecuyer de la Reine qui, hurlant de douleur à chaque mouvement, tentait pourtant d'atteindre, en rampant une mare que l'orage avait formée à une ornière profonde du chemin.
   " Sans rancune, Messire Raoul !" Dit Guinot haletant, vous vous trompâtes et votre amour vous aveugla. Dieu vous pardonne. Je ne banderai plus mon arc, je le crois fort, tant le coup que vous me portâtes fut rude et profond. Rendez-moi un suprême service, pour l'amour de Dieu et de Madame sa mère : faites tenir le collier de la Reine que voici à ma mie la "Bellote" (2) d'Escazeaux. Je la devais rejoindre aussitôt touchée l'étrenne promise et nous comptions, tous deux, sur les doublons de la Reine pour obtenir le consentement à notre mariage de sa tante la vieille Annette, l'avaricieuse, qui exige, pour me la donner, que j'achète le pré qui jouxte le sien. Elle doit se languir de moi, la pauvrette, depuis que je l'ai quittée, à soleil tombant, sur le chemin des Huttes. Ne me refuser pas, de grâce, Messire, elle aura au moins le pré, à défaut de mari et fera dire des messes pour le repos de mon âme, la "Bellote", ma mie tant aimée"
   Le vulnéraire le plus énergique, le baume cicatrisant le plus efficace n'eussent jamais produit effet aussi subit que la prière de Guinot ! D'Aubiac ravi d'entendre que l'archer ne pensait qu'à sa "Bellote", n'avait jamais songé à être son rival, se fut généreusement laissé taillader l'autre épaule pour réparer le mal qu'il avait si sottement fait.
   Heureusement passèrent des bouviers regagnant leur ferme qui s'étaient attardés à la fête de Vic. Sur des brancards improvisés, ils couchèrent les deux blessés et les portèrent à Carlat.
   Un mois après Guinot appuyé au bras de Raoul, à qui son épaule encore mal cicatrisée arrachait d'involontaires mouvements douloureux, faisait, sur l'esplanade du château Vicomtal, sa première promenade de convalescent. La Reine après les avoir fort grondés tous les deux, flattée au tréfond d'elle-même d'être ainsi aimée, avait triplé la récompense promise à l'archer, et profitant de ce que Raimond de Bompart avait donné sa démission de Gouverneur de la place et forteresse de Muret près de Vic, en la paroisse de Thiézac rasée en 1575, elle rétablit, à titre honorifique, cette charge et nomma de son autorité Vicomtale, son Ecuyer Raoul D'Aubiac, Capitaine du château de Muret.

A suivre.

1) "Grande" Lente mélopée que chante les pâtres Auvergnats.
2) "Bellote" diminutif Cantalien d'Isabelle, 
3) "Escazeaux" village et jadis château sur la hauteur qui fait face à Carlat dont il n'est séparé que par le ravin profond de Saint-Etienne.
 Source :
Texte : extrait No3  du journal "La Musette" Revue artistique et littéraire des originaires du Massif-Central,  1909.
N'hésitez pas à laisser un commentaire, merci de votre visite et à bientôt. 


Commentaires

Abonnement au blog :