Ode au Puy-de-Dôme de 1876 Gabriel Marc.

 Puy-de-Dôme.

CPA ruines et temple du sommet du Puy-de-Dôme
CPA ruines et temple du sommet du Puy-de-Dôme

Ode à l'occasion de l'inauguration de l'observatoire le 22 aout 1876

Dans les âges lointains, mystérieux et sombres,
Tout remplis de clartés fulgurantes et d'ombres
Où notre œil effrayé se perd,
Dans ces temps oubliés qui sans cesse reculent,
Sur lesquels, entassés, les siècles s'accumulent,
Où tout semble morne et désert.

Un grand lac, dont on voit la trace indélébile,
Recouvrait ce pays de sa nappe immobile,
 Où le pied du Sancy baignait,
 Et sur ce réservoir de l'onde originelle,
Que parfois un oiseau frôlait seul de son aile,
Un vaste silence régnait.

Tout à coup l'eau parut sourdement agitée,
Et, dans le sein profond de la terre irritée,
Un bruit courut lugubrement,
Pareil aux roulements d'un tonnerre invisible,
Et le monde senti, à ce défi terrible,
Un immense tressaillement.

Les feux intérieurs, emprisonnés au centre,
Semblaient se révolter pour sortir de leur antre,
Au souffle d'un fauve ouvrier,
Les montagnes tremblaient du sommet à la base,
Et le lac bouillonnant comme l'eau d'un grand vase
Placé sur un ardent brasier.

Le sol lutta longtemps contre la flamme intense,
Echauffé, remué, fier de sa résistance
A l'assaut du gouffre béant,
Puis, sous la pression des cavernes profondes,
Céda sans se briser, et soudain sur les ondes
Un cône s'éleva géant.

Mais après tant d'efforts, la terre enfin lassée,
Autour de la montagne en plein ciel élancée,
Entr'ouvrit son énorme flanc,
Et la flamme et le feu, sortant par cent fissures,
Jaillirent dans les airs, ainsi que des blessures
On voit couler des flots de sang.

Et ce fut un spectacle étrange et formidable, 
Les combattants, avec un bruit épouvantable,
La terre, l'eau, l'air et le feu,
Se croisant en tous sens comme une immense armée,
En mêlant leurs débris, leurs éclairs, leur fumée,
Hurlaient sous le regard de Dieu.

Bientôt l'eau recula tremblante vers la plaine,
 Mais les volcans jaloux, et sans reprendre haleine, 
Insultant le Dôme hautain,
Crachaient des blocs ardents du fond de leurs abimes,
Flamboyant, acharnés, rougissant sur les cimes
Les neiges blanches au lointain.


Ils rugissaient autour du sommet qui les brave,
Ils écumaient de rage, et leur brûlante lave
Se répandait comme un torrent,
Et tous, sans se lasser, effrayant l'étendue,
Recommençaient toujours leur attaque éperdue
Aux pieds du cône indifférent.

Pareils à des Titans armés de catapultes,
Bien longtemps ces lutteurs vomirent leurs insultes,
Incendiant le ciel vermeil,
Et lorsque fut éteint le feu qui les dévore,
Bien longtemps leur fumée obscurcissait encore
L'azure céleste et le soleil.

Un jour tout s'apaisa. La funèbre nuée
Se dissipa. La terre affreuse, bossuée,
Referma ses flancs entr'ouverts,
Froids sous le dur granit et les rouges scories,
Et les volcans éteints, ces mamelles taries,
Blanchirent par les longs hivers.

La plaine se couvrit de frondaisons superbes,
Mais du sol calciné les arbres ni les herbes
N'osaient parer la nudité,
Et le Puy, dont le front portait plus d'une entaille,
Muet contemplateur de ce champ de bataille,
Se dressait dans sa majesté.


Avernie ! Avernie (1) ! A toi, pays des braves,
Ma pensée et mes vers. Ô terre des aïeux,
Dont le sang généreux coulait, comme tes laves,
Et qui gardaient le feu des volcans dans leurs yeux.

Salut, patrie, et sol glorieux des ancêtres,
Druides vénérés, terribles combattants,
Aux longs cheveux dorés par la cendre des hêtres,
Qui voliez à l'appel des bardits éclatants !


Je vous vois soulevant la framée et la hache,
A travers les forêts, bondissant sur les rocs,
Portant des colliers d'or qu'une escarboucle attache
Et des casques pareils à des mufles d'aurochs.

Devant vous s'élançait Kamul, dieu de la gloire,
Et fiers du sanglier peint sur votre étendard,
Vous cherchiez les combats, la mort ou la victoire,
Obéissant au Brenn (2) que guidait le hasard.

Votre orgueil invincible épouvantait le monde,
Rome, avec des soldats disciplinés et forts,
Redoutant vos yeux bleus et votre barbe blonde,
Aux pieds de votre chef répandait ses trésors.

Alors sur le sommet géant, parmi les cimes,
Et que seuls les éclairs du Tarann ont touché,
S'étendait un dolmen, noir du sang des victimes,
Sur des blocs énormes couché.

C'est là que, le front ceint de verveines sauvages,
Les Druides, portant au cou l'œuf de cristal,
S'avançaient, précédés d'Ovates et d'Eubages
Brandissant le couteau fatal.

Et les Bardes, penchés sur les harpes d'ivoire,
Célébraient Teutatès, le divin messager,
Ogmius, Belenos ou la Diane noire
Qui sourit de voir égorger.

C'est là qu'était le cœur de la Gaule farouche,
C'est là que Bellovèse écoutait en tremblant
Les ordres de Kamul, qui parlait par la bouche
De l'Archidruide sanglant.

Bituit (3) avait gravi le haut de la montagne,
Quand il osa braver les Romains triomphants,
Mais que pouvaient, hélas ! les dogues de Bretagne
Contre les rudes éléphants.

César parut. L'effroi remplit la Gaule entière,
Et Vercingétorix se dressa contre lui.
Aux pieds du mont superbe écrivons sur la pierre :
C'est ici que César a fui.

Lorsque l'Aigle romaine, à la serre implacable,
Du vol de l'alouette eut arrêté l'essor,
L'oiseau cher aux guerriers, de son cri lamentable
Attristait notre ciel, mais palpitait encor.

La Gaule aux cheveux blonds ne pouvait être esclave.
Rome la dominait en lui tendant la main,
Et nos pères bientôt, vêtus du laticlave,
Vinrent délibérer dans le Sénat romain.

Et les divinités du Tibre et de la Seine,
De l'encens des mortels ne furent plus jaloux.
Vaincu par Jupiter, Esus n'eut plus de haine,
Teutatès regarda Mercure sans courroux.

Temple Gaulois dédié à Mercure au sommet du Puy-de-Dôme
Le temple de Vasso, au sommet du Puy-de-Dôme.


Alors, sur le sommet ou le vautour se pose, 
Remplaçant le dolmen encor rouge de sang,
Un temple s'éleva superbe et grandiose,
Découpant dans l'azur son beau portique blanc.

Pour résister au choc terrible des orages,
Ses murs étaient scellés par des crampons de fer,
Et son fronton sculpté, perdu dans les nuages,
Méprisait la tempête, et la foudre, et l'hiver. 

Tentures d'Orient, tapis, coupes d'albâtre,
Lampadaires, flambeaux aux reflets opalins,
Sièges d'ivoire, autels en porphyre verdâtre,
Ou mêlant le Paros aux marbres Cipolins,

Escaliers de granit, colonnes ioniques,
Exèdres réservés au corps sacerdotal,
Hémicycles, lambris couverts de mosaïques,
S'abritaient sous un toit de brique et de métal.

Et plus haut, le colosse, œuvre de Zénodore (4), 
Le Mercure gaulois, immense et sans pareil,
Rayonnant sur le mont sacré que Phoebus dore,
Le caducée en main affrontait le soleil.

Et les peuples nombreux, suivant la large voie,
Au pied de la statue apportaient leurs présents,
Les prêtres de Vasso chantaient l'hymne de joie
Et dans les trépieds d'or faisaient fumer l'encens.

Mais bientôt sous le vent des divines paroles,
Du Christ, ce conquérant par la grasse et l'amour,
On vit se dissiper les dieux et les idoles,
Ainsi qu'une fumée au lever d'un beau jour.

Et le Germain barbare, épouvantant l'Empire,
Comme un autre Attila, Krochk, ce fléau de Dieu,
Accourut des déserts du Nord et vint détruire
Le vaste monument par le fer et le feu.

Ô temps évanouis ! Ô grandeurs ! Ô désastres !
Le temple merveilleux n'offre plus aux regards
Que des fondations, des tronçons de pilastres,
Des chapiteaux brisés et des fragments épars.

Auvergne ! Auvergne ! à toi mes vers et ma pensée.
J'entrevois les splendeurs de ta gloire passée,
Et je rêve aux vaillants guerriers bardés de fer,
Aux pairs de Charlemagne, à l'indomptable race
De tes preux qui, portant le heaume et la cuirasse,
Auraient lutté contre l'enfer.

je vois le pape Urbain  présidant le concile,
Je vois Pierre l'Ermite et la foule docile,
Courbant le front devant l'apôtre de la foi,
Puis criant : Dieu le veut ! d'une voie inspirée,
Et suivant vers Jaffa, Damas et Césarée,
Le gonfanon de Godefroy.

Voici les troubadours, chantant sur la mandore
L'ombre de la vesprée ou les pleurs de l'aurore,
Le vainqueur du tournoi brillant sous le haubert,
Les fauconniers chassant l'autour au vol rapide,
Et Peyrols soupirant pour la belle Assalide
A la cour du dauphin Robert.

Et je veux évoquer les héros dont nous sommes
Les fils reconnaissants, capitaines, grands hommes,
Gloire du sol français et du pays natal,
Ceux qui, par leurs vertus, leurs écrits, leur vaillance,
S'illustrèrent. Voici les chancelier de France,
Flotte, du Bourg et Hospital.

Savaron, magistrat intègre et sans faiblesse,
Qui sans craindre le roi, le clergé, la noblesse,
Aux états généraux soutint les droits du tiers,
Le sévère Domat, pour qui la loi romaine
Doit suivre le progrès de la raison humaine,
Et Pascal dont nous sommes si fiers.

Pascal ! Ardent penseur, formidable génie,
Dont l'œil voulait sonder la puissance infinie,
Créateur sans rival et rêveur surhumain,
Qui, ne dédaignant pas les choses de la terre,
Sur nos sommets trouva le poids de l'atmosphère
Et qui nous trace le chemin.

Puis les grands écrivains dont la France s'honore :
L'ami de Richelieu, Sirmond, Boissy, Dulaure,
Danchet et Du Belloi ceignant le vert laurier;
Thomas, plein de candeur, qui chanta Jumonville,
Et cet esprit mordant, Chamfort, l'abbé Delille,
Chabrol, Barante et Montlosier.

Et ceux qui répandaient leur sang dans les batailles,
Les d'Estaing, les Mercoeur, les Montaigut, les Noailles,
Les Dienne, dont l'Auvergne admira les hauts faits,
Le jeune défenseur de la jeune Amérique,
La Fayette, Delzons, capitaine héroïque,
Et le sultan juste, Desaix !

Et tant d'autres, savants ou guerriers redoutables,
Lieutenants généraux, maréchaux, connétables,
Légistes dont l'histoire a conservé les noms
Tous sont là réunis, majestueux ou sombres,
Et je les vois passer comme ces grandes ombres
Qui marchent sur le flanc des monts.
Photo entrée de l'observatoire au sommet du Puy-de-Dôme
Entrée de l'observatoire.

Et maintenant, Ô mont sublime !
Un autre honneur t'est réservé.
Un temple nouveau, sur ta cime,
Pour ta gloire s'est élevé.
La divinité qui l'habite,
Souvent méprisée et proscrite, 
Est toujours propice aux humains.
Elle chasse l'erreur grossière
Et répand sur eux la lumière
Et les bienfaits à pleines mains.

Cette déesse, aux grands génies
Se révèle comme autrefois.
Elle écoute les harmonies
De la nature et de ses lois.
Pénétrant au sein de la terre
Elle y poursuit le noir mystère 
Qui s'y dérobe vainement.
C'est la science, au front superbe
Dont l'œil suit l'insecte dans l'herbe
Et l'astre d'or au firmament.

Sur la hauteur longtemps déserte
Où son pied se pose aujourd'hui,
Pour l'étude et la découverte, 
Elle a choisit son point d'appui.
Elle veut soulever les voiles
De la nuit, compter les étoiles, 
Contempler la neige et l'hiver,
Les soleils couchants, les aurores,
Et voir naître les météores,
Ces phénomène de l'éther.

Accourez, Ô vous qu'elle guide
Vers les éternelles clartés.
Précédés par son vol rapide,
Quittez la plaine et les cités.
La vérité vous accompagne.
Gravissez la haute montagne
Où le triomphe est préparé.
Sans frayeur, comme Prométhée, 
Au sein de la nue irrité
Allez ravir le feu sacré.

Et toi, montagne vulnérable,
Redresse encor ton front hautain. 
Soit fier en ce jour mémorable
Et commence un nouveau destin.
Comme Teutatès ou Mercure
Entre les cieux et la nature
Fut le lien essentiel.
Sois pour nous un auxiliaire
Et le grand intermédiaire
Entre les hommes et le ciel. 

Gabriel Marc.

1) "Averni"  nom primitif donné aux Auvergnats, César aurait écrit : " Nec homines, nec mulières, Averni sed viri..."Ni hommes ni femmes, des héros" ! ce qui fut détourné en "Ni hommes, ni femmes, tous Auvergnats" !
2) "Brenn" chef de guerre qui deviendra "Brennus"
3) "Bituit" Roi des Arvernes.
4)" Zenodore" sculpteur chargé de créer une statut monumentale de Mercure pour l'installer près du temple au sommet du Puy-de-Dôme. Un pied en métal de 60cm a été retrouvé, en 2007, par hasard, lors de travaux en centre ville de Clermont-Ferrand, le mystère de sa présence ici reste entier.

Sources :Texte : Gabriel Marc,  Cartes postales anciennes de l'Auvergne pittoresque, ©, recherches, albums photos collections et documentation de Regards et Vie d'Auvergne, le blog. N'hésitez pas à laisser un commentaire au bas des articles, merci de votre visite et à bientôt. 

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