Le Château de Montferrand.

Le Procès des chenilles.

Curiosités d'histoire locale.


   On rappelle quelquefois le procès intenté aux chenilles qui, certains printemps, ravageaient les vergers des environs de Clermont, cependant l'indication d'époque et les précisions manquent à peu près toujours au sujet de ce très piquant fait divers.
Un document qui est une relation authentique de ce procès existe pourtant à la
Bibliothèque de Clermont sous le titre : "Jugement des chenilles, 1670"
   C'est ainsi que nous savons que l’initiative en revient à un conseiller de la Cour des Aides "Noble Estienne Trottier" dont "chenilles et vermisseaux", sans respect pour la haute dignité du propriétaire, saccageaient le domaine Pralong, nominativement désigné dans la fulmination de l'official.
   Les autorités ne pouvaient qu'obtempérer aux réquisitions de ce personnage et le chef de la Police Clermontoise, le lieutenant criminel Jean Gaschier sentit que son devoir était de marcher contre ces délinquantes éhontées. Ces messieurs avaient pris l'avocat Galoubie pour appuyer leurs accusations et comme la justice civile leur avait sans doute paru devoir être assez inopérante en l'espèce, ils avaient porté leur plainte devant le tribunal ecclésiastique qu'ils jugeaient mieux armé contre les fléaux de tous genres et en particulier contre ces bestioles malignes.
   Avant de procéder par la rigueur, l'official Granier, chef de la justice de l'Eglise de Clermont, voulut agir en toute loyauté et voies de douceur comme un bon juge doit le faire : il donna d’abord un tuteur, "un curateur" aux chenilles qui habituées à une vie purement champêtre, sans aucunes accointances citadines, n'auraient pas su se diriger dans le maquis de la procédure
   On ne pouvait les condamner  sans que personne ne se soit présenté pour elles pour exposer les circonstances qui plaidaient en leur faveur. Certainement l'huissier Antoine Gaultier sut lui aussi remplir dignement son rôle vis à vis de ces mineures dont il devait en conscience soutenir la cause, il chargea de prendre la parole pour elles l'avocat Reynauld jeune qui dût faire appel à toute son éloquence pour plaider cette cause assez ingrate...
   L'official rendit une sentence qui, dans sa forme solennelle et empreinte de sévérité, n'en garde pas moins la trace de la mansuétude requise dans de telles fonctions, il laissa un honnête délai de six jours aux chenilles pour leur permettre de se retirer ailleurs...  Pourvu que ce fut en dehors des limites du diocèse de Clermont où sa haute juridiction lui donnait la garde du bon ordre.
   Nous pensons que "chenilles et vermisseaux" furent sensibles à tous ces égards et que, sagement, dans le délai prescrit, elles laissèrent le printemps apporter abondance et fertilité dans les beaux vergers de Clermont, Chamalières et autres lieux. 
Marc Dousse.

   Voici le texte du "Jugement contre les chenilles" :

  Extrait des Registres du greffe de l'Officialité de Clermont.

   " Noble Estienne Trottier sieur de Pralon, conseiller du Roy en la Cour des Aydes de Clermont-Ferrand, maistre Jean Gaschier conseiller du Roy, lieutenant général  criminel en la sénéchaussée et siège présidial d'Auvergne dudict Clermont, et Gilbert Galoubie advocat en cour dudict Clermont demandeurs en requeste tandante a avoir santance d'abjuration (sic) malédiction et excommunication contre certains animaux appellés chenilles, vermisseaux ou aultres insectes qui font et donnent du dommage dans les vergiers desdits demandeurs et aultres héritages des lieux circonvoisins où elles peuvent porter dommage a ce qu'ilz ayent a quitter lesditz héritages et à se retirer dans d'aultres lieux ou ils ne puissent faire ni donner aucun dommage.
Procureurs Sabbatier, Fondary, contre Me Antoine Gaultier huissier, curateur nommé auxdites chenilles, vermisseaux et aultres insectes par ordonnance du vingt-huitièmes apvril dernier, Deffandues par Reynaud jeune, a plaidé.

   Nos Petrus Granier, presbitis officialis Claramontensis... etc. (Suit une formule latine dont voici la traduction) :

    " Nous Pierre Granier, prêtre, official de Clermont, marchant sur les traces de nos prédécesseurs, assis sur notre tribunal, les yeux élevés à Dieu, investi de toute autorité pour prononcer la sentence dans le cas présent, au nom de Dieu Tout Puissant, du Père, du Fils et du Saint Esprit, de la bienheureuse Mère de Dieu, des saints apôtres Pierre et Paul, donnons avis d'admonester les chenilles, et nous admonestons et supplions les chenilles et animaux susdits sous peine d'excommunication, de malédiction et d'anathème, pour que, sous un délai de six jours elles aient à se retirer des enclos, des vergers des terroirs de Fontgiève, Chamalières, Aulnat, Gerzat, Malintrat, Pralong, de Saint-Alyre, du Bas, de Cloval et qu'elles aient à ne faire aucun mal là ni ailleurs dans ce diocèse. Si au jour fixé notre admonition ne produit aucun effet, ces six jours écoulés en vertu de notre autorité nous les anathématisons et nous les maudissons.
Et signé Granier, officiali.
   
Fait judiciellement le mercredy XIVème  may 1670. Prononcé lad. sentence à maistres Anthoine Fondary et François Sabatier, procureurs desdits demandeurs et à maistre Gilbert Raynaud, procureur dudit Gauthier, curateur, le quatorzième may mil six cents soixante et dix, et signé Depreux, greffier."




Sources : texte L'Auvergne Littéraire et Artistique, 1929 (Gallica-BNF)
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