Conte de Noël : Le Noël des pauvres petits enfants.

 Le Noël des pauvres petits enfants.

Noël des petits pauvres


   C'était la nuit de Noël. Le vieil homme, dont la barbe blanche est si chère à ceux qui n'ont pas encore au menton un seul poil brun ou blond, allait de toit en toit, revêtu de son ample et légendaire houppelande. A vrai dire, s'il s'en était recouvert, c'était surtout pour obéir à la coutume.
   Le lourd manteau l'embarrassait plutôt en effet, le gênait dans ses moindres mouvements, et surtout lui tenait plus chaud qu'il ne convenait, tant les hivers d'aujourd'hui sont moins rigoureux que ceux d'autrefois. C'est à croire qu'utilisant le progrès des hommes, le Bon Dieu a fait installer, pour la saison froide, le chauffage central dans le ciel, du moins dans la partie éthérée qui surplombe nos contrées.
   Quoi qu'il en soit, et sans nous attarder plus en avant à l'étude des radiateurs de l'espace, le Bonhomme Noël se livrait donc à sa tâche, qui, bien qu'annuelle, n'en était pas moins des plus accaparante. Malgré la crise des foyers et celle de la natalité, il y a en effet encore tant de cheminées et tant se souliers d'enfants sous le ciel ! Parfois, las de se pencher sur les terrasses plates ou inclinées qui ouvraient en le regardant des tas de petites bouches rondes ou rectangulaires prêtes à avaler avec gourmandise toute la manne céleste qu'il laisserait tomber, le vieil homme regrettait que les nuits d'hiver fussent si longues.
    Il interrogeait le ciel pour regarder si l'aube n'allait pas bientôt y poindre, et se disait avec amertume que si la nuit de Noël tombait en été il bénéficierait du moins de la loi de huit heures.
    Mais si las qu'il pouvait être, cela ne l'empêchait pas de rester un très bon homme et c'est ainsi qu'il s'arrêta à la lisière d'un faubourg, auprès d'un toit, misérable, entre les plus misérables, d'où s'échappait une fumée si légère et si mince que l'on aurait dit le sillage d'une âme qui s'en retournait à Dieu.
   Et c'était en effet une âme, l'âme d'une poupée, qui se dissolvait dans la transparence vaporeuse et bleue, et qui contait aux étoiles et au clair de lune sa tragique et douce aventure.
   J'étais la pauvre poupée, disait la fumée, la pauvre poupée d'une pauvre petite fille. C'était sa seule joie de me prendre dans ses bras, et de caresser mon visage et mes cheveux, en chantant.
    Et je l'aimais de m'aimer. Mais il est venu un jour où ses petites mains brulées par la fièvre n'ont plus eu la force de me soulever. On l'a couchée dans son petit lit blanc et, moi, on m'a oubliée dans un coin... Depuis la pauvre petite fille se meurt, se meurt ! 
   Elle ne chante plus jamais, c'est parents, eux, pleurent sans cesse... Le plus triste, c'est que malgré la fièvre qui lui consume le corps, elle frissonne de froid dans son lit... 
   Aussi, cette nuit, comme faute de charbon ou de bois, le feu s'éteignait dans l'âtre, j'ai compris qu'il me fallait lui prouver mon amour...
   Et pour qu'elle ait encore un peu chaud, je suis entrée dans la cheminée, et je me suis couchée sur le bûcher qui s'est ranimé à mon contact... Hélas ! Hélas ! Je ne suis qu'une pauvre petite poupée, et bientôt de mon corps plein de son et de mon âme pleine d'amour, il ne restera qu'un petit amas de cendres.
    Bientôt, il va faire de nouveau bien froid dans la petite chambre !
   Ainsi parlait la fumée, la fumée qui, bientôt, elle aussi allait mourir. Et le vieil homme blanc sentait des larmes monter à ses yeux. C'est que si sa hotte était pleine de jouets, elle ne contenait pas, hélas, de remèdes pour sauver les petites filles qui se meurent !
   Mais il ne s'agissait pas pour lui de s'émouvoir, il lui fallait simplement agir, et d'autant plus vite que sa mission le réclamait. Un rayon de lune, pendait à ses côtés... Au moyen de ce fil lumineux, vite, il téléphona à la maman de l'enfant Jésus, qu'il existait, sous un toit misérable, une petite fille qui se mourait.
Il n'avait pas besoin d'en dire plus...
   Puis il reprit sa route... Mais bien des enfants cette nuit là, bien qu'ils eussent été sages de toute l'année, ne trouvèrent point dans leurs souliers le jouet dont ils avaient  rêvé !
   C'est que tous les soldats de bois, avaient, sans même se concerter, abandonné volontairement la hotte sainte de Bonhomme Noël, et, durant toute la nuit, s'étaient jetés dans la cheminée de la petite malade, afin qu'elle continuât à avoir chaud.
   Et cela n'est pas étonnant en somme !
Les soldats, même ceux de bois, ne sont-ils pas faits pour aller au feu !

Georges Dessoudeix.

 
Source : © Texte original de Georges Dessoudeix,  de Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner aux publications du blog, au bas des articles. Merci de votre visite et à bientôt. 

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