Conte de Noël pour les grands...

 Le petit Noël de Nana.

Noël Lapin


Pour jeunes gens, petites femmes, sénateurs, et, 
en général, les amateurs de polissonneries.

   Elle avait eu bien souvent déjà des moments de découragement sans sa carrière de petite grue, Nana Nichon, mais jamais elle ne s'était sentie si triste que ce soir du 25 décembre. Elle avait passé la soirée aux Folies-Tabouche en quête d'un réveillonneur un peu cossu et s'était vainement fatigué les joues à sourire à tous les messieurs qui avaient des pelisses.
    Tandis qu'elle regagnait la rue de Moscou, un peu rageuse de rencontrer des bandes joyeuses qui allaient souper et de voir aux devantures de grosses oies bien grasses, presque inconvenables en des postures inqualifiables, l'idée lui vint d'aller jeter, à tout hasard, un coup d'œil dans la salle des pas-perdus de la gare Saint-Lazare.
    Un train venait d'arriver et un flot de voyageurs faisait irruption par une porte. Parmi eux se trouvait un gros chasseur d'aspect réjoui, un peu rougeaud, un type de campagnard riche, dont la carnassière rebondie expliquait la bonne humeur.
   Il tomba en arrêt sur Nana Nichon et dut bientôt être convaincu que la grue, au contraire des autres gibiers, lève le chasseur. Connaissance fut bientôt faite et le rougeaud personnage se trouvant un peu fatigué pour aller réveillonner, préféra rentrer tout de suite chez Nana Nichon.
   Vous n'espérez pas que je vais vous conter ce qui se passa quand le chasseur diligent que l'ardeur dévorait, eut jeté dans un coin son carnier et attaché son chien au pied du lit ?
    Je ne fais pas de la littérature qui se regarde en transparence. Mieux vaut laisser travailler les imaginations... chacun, de cette façon, s'amuse à sa façon...
   Tout ce que je peux vous dire, c'est que lorsqu'elle vit son chasseur tout à fait content de son petit réveillon, Nana Nichon, bien gentiment, se leva, prit ses deux mignonnes pantoufles et dit avec un accent enfantin :
   -Je vais mettre mes petits souliers dans la cheminée pour que le petit Jésus m'apporte quelque chose... s'pas gros chéri ?
   Le gros chéri dont le couvre-pied de satin moulait la masse imposante, se mit à rire d'un gros rire à l'idée que le petit Jésus, c'était lui.
   Les chaussures placées, la lampe fut éteinte et bientôt un ronflement de basse et un petit ronronnement de contre-alto indiquèrent un double sommeil réparateur.
   Quand Nana Nichon se réveilla, il faisait jour. Elle venait de rêver que le petit Jésus, un gros petit rougeaud de cinquante ans, avec une grosse moustache, avait déposé dans la cheminée une bourse remplie de Louis !
   Elle s'assit, se frotta les yeux... Le gros chasseur n'était plus à côté d'elle ! Elle bondit !... Plus de vêtements ! Plus de chien ! Il était parti !!... Affolée, elle s'élança vers la cheminée et là... dans les cendres froides, blotti entre les deux pantoufles, elle aperçut, épeuré, un pauvre petit lapin, qui, sans doute attrapé vivant par le chien, était pendant la nuit sorti subrepticement du carnier...
   Ce fut le petit Noël de Nana Nichon. Elle lui mit un ruban et le dressa à faire peur dorénavant la nuit aux amoureux qui auraient des velléités de filer à l'anglaise...

Miguel Zamacoïs.

Source : texte extrait du "Journal amusant" du 16 décembre 1899.   © Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner aux publications du blog, au bas des articles. Merci de votre visite et à bientôt. 

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