Un conte de Noêl : Le jeune homme aux douze femmes.

La femme au fouet, de Mathieu le Nain
La femme au fouet, attribué à  Mathieu le Nain 

"De l'Ecuyer qui vouloit avoir douze femmes"


  Une veille de Noël, temps où les grands tiennent leur cour plénière, il y avoit dans le palais d'un haut baron plusieurs feux allumés. Le plus fort dit aux autres :

"Laissez moi sortir, je veux aller brûler la mer, et il partit. Parvenu au rivage, il s'écria :

" Mer, défends-toi, je vais te brûler."

A ces paroles, il s'élança dans les flots, mais qu'arriva-t-il ? Dans l'instant il fut éteint.

   J'ai connu un jeune homme qui étoit le plus mauvais garnement que jamais on eût vu. Il battoit tout le monde, enfonçoit les portes des filles, déchiroit leurs cottes; enfin il n'y avoit personne qui ne s'en plaignît, et tous les jours c'étoit
quelque doléance nouvelle portée au père. Remontrances, menaces, châtiments, la prison même, le bonhomme employa tout pour le corriger : rien n'y fit. On prit le parti de l'envoyer à la guerre. Il courut maint pays, se trouva à maintes batailles, il eut beaucoup de misère et de peine, voyagea sur mer, mais il revint sans être changé. Sa tête, après

toutes ces épreuves, se trouva encore aussi verte et son caractère tout aussi bouillant et aussi impétueux qu'auparavant.
Le père désolé ne savoit plus qu'imaginer. Il consulta ses amis.

" Mariez-le, lui dit quelqu'un, et je vous garantis qu'avant un an nous le verrons si maté que vous serez tranquille sur son compte."

Le vieillard résolut de mettre le remède en usage, et il prévint son fils du dessein où il étoit de lui donner une femme.

" Je le veux bien, répondit le garnement, mais à condition qu'avec celle-là vous m'en donniez onze autres, autrement je vous déclare que je n'en veux aucune ! "
En vain le père répond à ses fanfaronnades par des raisons qu'on peut imaginer; le fils persiste dans sa demande, et se prétend même fort modeste de n'exiger que douze femmes, cependant, sur les représentations de la famille , qui l'engage à essayer l'une, et sur la promesse qu'on lui fait d'augmenter le nombre s'il trouve dans la suite avoir sujet de se plaindre, il se marie.

mouton  Celle qu'avait choisie le père étoit une demoiselle jeune, éveillée et fringante, qu'on eut soin d'instruire des propos avantageux de son prétendu. Dans son âme, elle s'étoit bien promis de le mettre à la raison, et elle tînt parole. En moins de quinze jours, dit le poète, ce bélier fougueux et indompté devint auprès d'elle un mouton triste et paisible. Vous eussiez cru, ajoute-t-il, voir un bœuf fatigué revenir le soir de la charrue. Alarmée en apparence de son air froid et rêveur, la dame lui demandoit de temps en temps si elle commençoit à lui déplaire, et si déjà il ne l'aimoit plus, ou s'il aimoit ailleurs. Nécessairement il falloit bien alors rassurer la pauvrette sur ses craintes, et mon homme n'en devenoit pas plus gai. Bref, ses yeux se creusèrent, son visage s'allongea, il devint pâle comme quelqu'un qui sort d'une maladie, mais aussi plus de batteries, plus de querelles, o, n'entendoit pas plus parler de lui que de la fille la plus sage.

Or il arriva, sur ces entrefaites, que l'on se plaignit beaucoup dans le pays des ravages que faisoit un loup. Les Bourgeois, pour l'exterminer, indiquèrent une battue générale, et de tous cotés on accourut, qui avec des chiens, qui avec des arcs, des haches, des bâtons et des lances. L'animal destructeur fut pris enfin dans des toiles, amené en triomphe à la ville, et promené dans les rues. Vous eussiez ri de voir alors les femmes et les enfants venir, les uns après les autres, soulager leur petite colère en lui jetant des pierres, du mortier ou de la boue. Mais quand il fut question de le faire mourir les avis se partagèrent, les uns vouloient l'écorcher tout vif, les autres le laisser périr de faim, ceux-ci le brûler, ceux-là lui crever les yeux, c'étoit à qui inventeroit le supplice le plus extraordinaire.
Quelqu'un proposa de consulter le nouveau marié comme un homme qui, ayant voyagé beaucoup, pouvoit fournir un bon conseil. Celui-ci s'en défendit d'abord, mais, pressé par les Bourgeois, et obligé de donner son opinion :

"Mes amis, dit-il, vous voulez bien vite expédier votre prisonnier, n'est-ce pas ? "

"Oui, lui répondit-on"

"Eh bien ! Donnez-lui une femme, je ne sais rien de plus sûr !"

§


La même histoire, mais en poème cette fois :


couple du moyen age

Du jeune homme aux douze femmes :


Un simple est naïf villageois
Quand on parloit de mariage,
A Lamon disoit quelquefois:
"Mon père c'est trop peu, je crois,
D'une femme dans un ménage
Oh ! Si jamais je suis en âge,
Je veux en avoir au-moins trois.
"Mon fils, tu n'as tâté d'aucune,
Réponds le père, je le vois.
Trois femmes ! Je n'en avoit qu'une,
Et j'en avoit trop !. Un matin,
Le bon vieillard lui dit : "Lubin,
Tu connois bien dans le village
La fille du gros Mathurin !
Je te la donne en mariage. 
Prends en attendant, celle-là
Pour deux, trois mois, après cela,
Si tu tiens le même langage
Si tu n'as pas assez, mon fils,
D'une femme, alors je m'engage
A t'en avoir deux, quatre, six,
Oh ! Tant que tu voudras, Rubin prit le soir même
Babet pour femme, et fit ce qu'on fait quand on aime,
Alla grand train, puis s’arrêta.
Dont sa Babet à la puce à l'oreille,
Et la nuit tant et tant l'éveille,
Qu'au pauvre diable il ne resta
Que la peau sur les os. Alors dans le village,
Un loup, fameux par maint ravage,
Fut pris, et dans le canton
On opinoit sur la façon
Dont on devoit punir son brigandage.
L'un condamne au feu le glouton,
L'autre par l'eau veut s'en faire raison,
Plusieurs voudroient l'écorcher tout en vie.

"Et toi, mon fils, cria Lamon ?" 

"Hélas ! Dit-il, qu'on le marie !"

§





Sources : Fabliaux ou contes du XIII siècle, Legrand d'Aussy.
               © Regards et Vie d'Auvergne.
               Sources : Les Albums de photos originales et inédites à voir dans la colonne de droite.© Regards et Vie d'Auvergne

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