Le marchand de Salaisons d'Auvergne, du quartier de la Roquette à Paris.
Les nombreux Auvergnats qui vivent dans le quartier de la Roquette ne le quittent guère que pour aller "au Pays", à leur "Pagus", de loin en loin, et assez régulièrement, se retremper dans l'atmosphère de leur enfance et de leur jeunesse, visiter leur famille restée là-bas, et s'emplir les poumons d'air neuf, en un mot : pour s'y refaire une santé physique et morale.
Ils ne quittent la Roquette sans espoir de retour que lorsque les ans et une vie de labeur incessant les ont contraints au repos. Alors, après avoir vendu leur fonds, ou cédé à leurs enfants, ils vont retrouver la Limagne fertile, les Puys bleus du Cantal, les causses Lozériens ou les vignobles Rouergats. Mais certains d'entre-eux ne peuvent se résoudre à abandonner définitivement Paris, et partagent leur vie entre le pays natal et leur ville d'élection, d'avril à septembre, ils sont paysans, d'octobre à
mars, ils retrouvent leur quartier et leurs amis, ils se rendent visite et s'assemblent pour des banquets qui ont leur noblesse, ou même pour de pacifiques parties de cartes. Leur vie de travail leur permet de se promener à petits pas, sur l'asphalte parisien, qui vit leurs débuts pénibles, leurs luttes et leurs triomphes, les peines et les joies dont toute vie est tissée. Ils ont gagné le droit sacré, leur tâche remplie, leur vie faite, de :
"Botar li mas darriès lou quiou" (1).
On s'est demandé quelle était la cause de l'identité de tempérament des habitants d'une même province. Problème passionnant que le Dr Fiessinger a, je crois, résolu, au cours de son article du "Mercure de France" du 1er mai 1935.
" Et d'abord, écrit-il, comment s'organise l'âme d'un pays ? Les facteurs ne manquent pas. Les uns sont de nature physique, les autres touchent à des tendances et à des habitudes morales, et c'est dans ces sources variées que le corps humain puise les particularités de sa sève. Comptons d'abord le jeu des influences physiques, la nature ou la richesse du sol où l'homme a établi sa demeure, les conditions d'humidité ou de sécheresse, la luminosité ou l'opacité de l'atmosphère, le changement ou l'égalité de température... Soumis aux effluves des radiations climatériques et des diverses formes d'énergie qui nous entourent, subissant l'excitation du chaud et du froid, offert au contact des nourritures et des boissons qu'absorbe son estomac, l'homme tire de ces sensations multiples la pression du ressort qui met en oeuvre la machine de la nutrition, la circulation des humeurs, la surveillance des gardiens régulateurs qui assurent l'harmonie de l'équilibre et que l'on appelle les sécrétions internes..."
L'Auvergnat est rude, comme son pays aux hivers rigoureux et aux étés accablants. Il est fort, mais point toujours massif, dans le grand Cantal, on rencontre un type grand, blond musclé, c'est l'homme des montagnes, descendant incontestable des Celtes. Enfin, l'Auvergnat est net, intelligent, loyal et énergique. On lui reproche son âpreté au gain, il ne faut pas voir là : avarice, mais tenir compte des conditions de vie, difficiles dans son pays, assez pauvre, notamment en Haute-Auvergne et surtout en Gévaudan.
L'originaire du Massif-central est difficile pour sa table. Certes, un plat de "Patranque" ou une copieuse soupe aux choux se digère mieux à Mauriac qu'à Paris, mais il n'est pas moins vrai que si l'Auvergnat a conservé dans la capitale ses coutumes, sa musique et ses danses traditionnelles, il s'est attaché à sa cuisine savoureuse et toute spéciale.
Entre chez le marchand de salaisons et, si peu que tu soit gourmand, tu auras l'impression que, propriétaire, tu "mangerais le fonds".
Voici le petit salé, les jambons fumés dans l'âtre au long de l'hiver, les côtes "la Roulhade", les jambonneaux.
Voici les saucissons, dur comme du bois, les saucisses de l'Aveyron, les "Tripoux", les "Gratons" que les Parisiens ont déjà adoptés, d’impressionnants quartiers de lard tout frais sortis de la saumure, et comme givrés. Toute une savoureuse "Cochonaille".
Voici les fromages : le "Cantal", jaune et gras comme une lune tombée du ciel d'Auvergne, le "Roquefort", qu'on ne peut fabriquer qu'à Roquefort, où les brebis trouvent de savoureuses herbes de montagne et où les caves, creusées à même le roc, sont d'une incroyable fraîcheur, la Fourme d'Ambert, le bleu, dont dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est puissant, et ces minuscules fromages de chèvre que l'on désigne sous le curieux vocable de "Cabecoux", le saint-Nectaire, qui sent déjà la plaine... Tous les fromages qui donnent au vin sa vraie noblesse.
Voici les délicieuses pâtisseries, les "Fouaces" ou "Fougasses", selon qu'elles sont du Rouergue ou du Quercy, les tartes de Tome...
Et les "Bourriols" ou "Pompes", galettes de sarrasin que l'on peut, le matin vers neuf heures, manger rue de Lappe, chauds et oints de beurre fondant. Les "Bourriols" tendent à disparaître, et pourtant, quant on les fabrique, ils sont un régal pour l'odorat qui, déjà, en perçoit les délicats effluves, et, pour la vue, car la pâte, préparée la veille, est étendue sur la "Tuile", au dessus d'un feu de bois, avec dextérité par la ménagère. Ils constituent l'indispensable complément d'un repas Auvergnat qui, sans cela, serait un concert sans basses.
Parlerai-je des Cèpes séchés ? Et des galoches, dont le marchand a adjoint la vente à son commerce. Il en est lui même chaussé et quand aux creuses on pénètre dans sa boutique, on l'entend traverser la rue en courant : tac, tac, tac, tac, venant du petit bureau de tabac d'en face.
Alors, pourquoi, je te le demande, pourquoi veux tu que les Auvergnats quittent leur quartier de la Roquette où ils ont tout ce qu'il leur faut : "Panem et circenses" (2) et aussi, ce qui manquait aux Romains de la décadence : leur travail quotidien qui les fait libres ?
1) Botar li mas darriès lou quiou : mettre les mains derrière son dos !
2) Panem et circenses : du pain et des jeux de cirques
Sources : Texte : les Auvergnats de Paris, François-Paul Reynal, 1924.
© regardsetviedauvergne.fr
Regards et Vie d'Auvergne le blog des Auvergnats, de ceux qui l'aiment et de ceux qui ne la connaissent pas.
Ils ne quittent la Roquette sans espoir de retour que lorsque les ans et une vie de labeur incessant les ont contraints au repos. Alors, après avoir vendu leur fonds, ou cédé à leurs enfants, ils vont retrouver la Limagne fertile, les Puys bleus du Cantal, les causses Lozériens ou les vignobles Rouergats. Mais certains d'entre-eux ne peuvent se résoudre à abandonner définitivement Paris, et partagent leur vie entre le pays natal et leur ville d'élection, d'avril à septembre, ils sont paysans, d'octobre à
mars, ils retrouvent leur quartier et leurs amis, ils se rendent visite et s'assemblent pour des banquets qui ont leur noblesse, ou même pour de pacifiques parties de cartes. Leur vie de travail leur permet de se promener à petits pas, sur l'asphalte parisien, qui vit leurs débuts pénibles, leurs luttes et leurs triomphes, les peines et les joies dont toute vie est tissée. Ils ont gagné le droit sacré, leur tâche remplie, leur vie faite, de :
"Botar li mas darriès lou quiou" (1).
On s'est demandé quelle était la cause de l'identité de tempérament des habitants d'une même province. Problème passionnant que le Dr Fiessinger a, je crois, résolu, au cours de son article du "Mercure de France" du 1er mai 1935.
" Et d'abord, écrit-il, comment s'organise l'âme d'un pays ? Les facteurs ne manquent pas. Les uns sont de nature physique, les autres touchent à des tendances et à des habitudes morales, et c'est dans ces sources variées que le corps humain puise les particularités de sa sève. Comptons d'abord le jeu des influences physiques, la nature ou la richesse du sol où l'homme a établi sa demeure, les conditions d'humidité ou de sécheresse, la luminosité ou l'opacité de l'atmosphère, le changement ou l'égalité de température... Soumis aux effluves des radiations climatériques et des diverses formes d'énergie qui nous entourent, subissant l'excitation du chaud et du froid, offert au contact des nourritures et des boissons qu'absorbe son estomac, l'homme tire de ces sensations multiples la pression du ressort qui met en oeuvre la machine de la nutrition, la circulation des humeurs, la surveillance des gardiens régulateurs qui assurent l'harmonie de l'équilibre et que l'on appelle les sécrétions internes..."
L'Auvergnat est rude, comme son pays aux hivers rigoureux et aux étés accablants. Il est fort, mais point toujours massif, dans le grand Cantal, on rencontre un type grand, blond musclé, c'est l'homme des montagnes, descendant incontestable des Celtes. Enfin, l'Auvergnat est net, intelligent, loyal et énergique. On lui reproche son âpreté au gain, il ne faut pas voir là : avarice, mais tenir compte des conditions de vie, difficiles dans son pays, assez pauvre, notamment en Haute-Auvergne et surtout en Gévaudan.
L'originaire du Massif-central est difficile pour sa table. Certes, un plat de "Patranque" ou une copieuse soupe aux choux se digère mieux à Mauriac qu'à Paris, mais il n'est pas moins vrai que si l'Auvergnat a conservé dans la capitale ses coutumes, sa musique et ses danses traditionnelles, il s'est attaché à sa cuisine savoureuse et toute spéciale.
Entre chez le marchand de salaisons et, si peu que tu soit gourmand, tu auras l'impression que, propriétaire, tu "mangerais le fonds".
Marchand de salaisons du quartier de la Roquette à Paris |
Voici les saucissons, dur comme du bois, les saucisses de l'Aveyron, les "Tripoux", les "Gratons" que les Parisiens ont déjà adoptés, d’impressionnants quartiers de lard tout frais sortis de la saumure, et comme givrés. Toute une savoureuse "Cochonaille".
Voici les fromages : le "Cantal", jaune et gras comme une lune tombée du ciel d'Auvergne, le "Roquefort", qu'on ne peut fabriquer qu'à Roquefort, où les brebis trouvent de savoureuses herbes de montagne et où les caves, creusées à même le roc, sont d'une incroyable fraîcheur, la Fourme d'Ambert, le bleu, dont dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est puissant, et ces minuscules fromages de chèvre que l'on désigne sous le curieux vocable de "Cabecoux", le saint-Nectaire, qui sent déjà la plaine... Tous les fromages qui donnent au vin sa vraie noblesse.
Voici les délicieuses pâtisseries, les "Fouaces" ou "Fougasses", selon qu'elles sont du Rouergue ou du Quercy, les tartes de Tome...
Et les "Bourriols" ou "Pompes", galettes de sarrasin que l'on peut, le matin vers neuf heures, manger rue de Lappe, chauds et oints de beurre fondant. Les "Bourriols" tendent à disparaître, et pourtant, quant on les fabrique, ils sont un régal pour l'odorat qui, déjà, en perçoit les délicats effluves, et, pour la vue, car la pâte, préparée la veille, est étendue sur la "Tuile", au dessus d'un feu de bois, avec dextérité par la ménagère. Ils constituent l'indispensable complément d'un repas Auvergnat qui, sans cela, serait un concert sans basses.
Parlerai-je des Cèpes séchés ? Et des galoches, dont le marchand a adjoint la vente à son commerce. Il en est lui même chaussé et quand aux creuses on pénètre dans sa boutique, on l'entend traverser la rue en courant : tac, tac, tac, tac, venant du petit bureau de tabac d'en face.
Alors, pourquoi, je te le demande, pourquoi veux tu que les Auvergnats quittent leur quartier de la Roquette où ils ont tout ce qu'il leur faut : "Panem et circenses" (2) et aussi, ce qui manquait aux Romains de la décadence : leur travail quotidien qui les fait libres ?
1) Botar li mas darriès lou quiou : mettre les mains derrière son dos !
2) Panem et circenses : du pain et des jeux de cirques
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Sources : Texte : les Auvergnats de Paris, François-Paul Reynal, 1924.
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