Le feu à l'usine Bourdon d'Aulnat en 1886.

 L'incendie,  

vu de Clermont.

   Hier, vers huit heures et demi du soir, une lueur rouge, s'étendant à l'est, sur un vaste espace du ciel, frappait les yeux des promeneurs, encore assez nombreux, de la place de Jaude. On ne sut d'abord trop que penser et on émit l'idée, un peu hasardée, vu la saison, d'une aurore boréale se reflétant jusqu'à notre horizon.
   Mais cette idée dut bientôt être abandonnée, la lueur sanglante ne présentait aucun des caractères d'une aurore boréale, elle s'étendait tout à coup, très vive, embrasant tout un coin du ciel, puis, subitement aussi, elle s'éteignait comme voilée et adoucie.

En ville :

   il devenait donc évident que la tâche rougeâtre était due à un violent incendie. Les promeneurs partirent au pas de course, cherchant à s'orienter vers le lieu du sinistre prévu. Dans la ville, la clarté rouge avait été aussi aperçue, et bientôt les quelques personnes étaient devenues une foule véritable.
   Mais on cherchait vainement, la lueur rouge fuyait toujours. De la place Royale, désignée d'abord comme foyer de l'incendie, on descendit au pâté de maisons qui terminent le boulevard Trudaine, puis au Petit lycée, et finalement à la gare. Le feu, disait-on de toutes parts, avait pris aux ateliers de la "petite vitesse".
   Et cependant, arrivés là, la clarté lugubre, était toujours à l'horizon, mais plus vive, plus intense que jamais. On en revint donc à une auréole boréale, et déjà on riait, quand un ouvrier en blouse, monté sur un cheval couvert d'écume, passa au triple galop en criant :
- Ce feu est à la sucrerie de Bourdon !

Le feu est à Bourdon :

Sucrerie de Bourdon, Aulnat, 63, Auvergne
Sucrerie de Bourdon, Aulnat, 63, Auvergne

   Bourdon, c'était loin, six kilomètres bien comptés, mais l'élan était donné, et, sans arrêt, la foule arrivée à la gare, continua sa course et enfila la route qui se trouvait du reste devant elle.
   Au même instant, l'alarme était répandue dans la ville entière. Dans les casernes on sonnait le lever et les clairons de la compagnie des pompiers parcouraient les rues, faisant retentir le sinistre "au feu !"
   L'indication du lieu du sinistre surexcitait tous les esprits, on se représentait cette usine magnifique de Bourdon envahie tout entière et dévorée par les flammes. Déjà la pompe de la gare était en route, le départ de celles de Clermont fut rapidement organisé, grâce à l'habileté et au dévouement de MM.Désaymard et Michy, capitaine et lieutenant de notre compagnie de sapeurs-pompiers, et de M. Teillard, architecte de la ville. On "s'attela" vaillamment aux pompes, et, tous au pas de gymnastique, franchirent gaillardement, en moins d'une heure, les six kilomètres qui séparent Bourdon (Aulnat) de Clermont.

A Bourdon :

   Quand on arriva à Bourdon, les compagnies de Sapeurs-Pompiers et les habitants des villages voisins, Lempdes, Malintrat, etc, y débouchaient en foule. La pompe de Montferrand était déjà placée et prête à fonctionner.
   Derrière les habitants de Clermont arrivèrent les soldats du 36e régiment d'artillerie, de la caserne Desaix. Les "soldats ouvriers des Gravanches", venus presque au même moment, se joignaient à eux, et le service fut promptement et habilement organisé. L'entrain et le dévouement de ces braves gens étaient admirable.

Le lieu du sinistre :



Sucrerie de Bourdon, Aulnat, 63, Auvergne
Sucrerie de Bourdon, Aulnat, 63, Auvergne

   L'incendie s'était déclaré au bout d'un corps de bâtiment, formant l'extrémité gauche de la fabrique, au fond de la grande cour principale, à coté de l'aile où sont placés les "turbines".
   Le bâtiment incendié est distinct de la fabrique proprement dite, qui se compose de deux corps immenses de bâtiments : un central flanqué de deux autres parallèles et de même architecture. A l'extrémité, où l'incendie a pris naissance, est placé une sorte de magasin général contenant les matières nécessaires à l'entretien des machines de l'usine : huiles, graisses, enduits de tous genres, il s'y trouvait, de plus, un dépôt de graines de betterave.
   A droite de ce magasin d'approvisionnements et séparée de lui par un mur heureusement fort épais, se trouve la forge que suit, toujours dans le même sens, un magasin de sucres presque toujours abondamment garni.
   Si le feu s'était étendu à ces dernières parties du bâtiment, les pertes auraient été littéralement incalculables, car la fabrique entière fût certainement devenu la proie des flammes. Par bonheur, l'incendie n'a détruit que la première partie du bâtiment, celle où était placé le magasin d'approvisionnements. C'est, du reste, un lieu prédestiné, car le feu l'a déjà détruit, nous a-t-on dit, plusieurs fois.

L'incendie. Ses causes :

   L'incendie s'est déclaré vers sept heures et demie. Il a éclaté tout à coup, avec une intensité, une violence inouïe. Un craquement sourd, ce fut tout, et les flammes s'élevèrent aussitôt à une prodigieuse hauteur, embrasant le ciel de cette lueur sinistre qui jeta l'effroi et l'alarme dans tous les villages voisins jusqu'à Clermont.
   Quelles avaient été les causes de cette explosion soudaine ? C'est ce qu'on n'a pas déterminé. M. le Directeur de l'usine n'a pu donner aucun éclaircissement à cet égard. On parlait cependant, parmi les ouvriers, d'une fuite de gaz qui se serait enflammée on ne sait trop comment.
   Quoi qu'il en soit, au bout de quelques minutes à peine, la toiture et les charpentes du magasin flambaient, menaçant de répandre l'incendie dans le bâtiment tout entier. On donna aussitôt l'alarme, on expédia des courriers à cheval partout où se trouvaient des secours et, en attendant, on mit en batterie les trois pompes de l'usine qui purent fonctionner aussitôt, grâce à la proximité d'un ruisseau assez fort. On arrivait ainsi à empêcher à peu près les progrès du feu jusqu'à l'arrivée des secours.

On combat l'incendie :

   Quand les pompiers de Clermont arrivèrent sur le lieu du sinistre, huit ou neuf pompes, venues de divers points, étaient déjà placées. Avec les nôtres, le nombre montait à 12. La chaine fut aussitôt formée et bientôt l'eau tomba à grands flots sur les poutres embrasées.
   Soldats, employés, simples civils, sapeurs-pompiers, tout le monde travaillait avec la même ardeur, ne se laissant rebuter par aucun obstacle, escaladant à l'envi le toit branlant pour jeter à bas les poutres qui s'enflammaient ou pour mieux diriger le jet des pompes.
   Et pourtant le danger était très grand. Du haut en bas, la partie incendiée du bâtiment n'était qu'une vaste fournaise, lançant des flammes énormes et des tourbillons étouffants de fumée noire.

On se rend maitre de l'incendie :

   Enfin, à onze heures, après une heure et demie d'héroïques efforts, on était maître de l'incendie. Le magasins était entièrement détruit, les murs seuls restaient debout, mais du moins les bâtiments voisins, la forge et le magasin de sucre étaient préservés, et l'incendie, faute d'alimentations, devait s'éteindre peu à peu de lui-même.
   Par précaution, on a laissé sur les lieux du sinistre plusieurs pompes, outres celles de l'usine. Un détachement du 139e régiment de ligne est venu remplacer les artilleurs du 36e régiment, harassées et mouillés.
   Nous avons remarqué sur le lieu du sinistre : MM. Dufaix, secrétaire général, Dhubert, commissaire central, Dubrac et Marchal, commissaires de police, un grand nombre d'officiers de toutes armes, etc. Les pertes n'ont pu être évaluées exactement, nous avons entendu parler de 400,000 fr, mais ce chiffre nous parait bien élevé.

   Sources :Texte extrait du "Petit Clermontois" du 1er décembre 1886.© Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner au bas des articles.  merci de votre visite et à bientôt. 


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