La Grande Guerre en Auvergne, novembre 1914 à Brioude.

Instantanés de guerre,  du 5 au 28 novembre 1914 à Brioude. Haute-Loire.

Brioude, Haute-Loire, la Gare.
Brioude, la Gare.


Jeudi 5 novembre 1914 : forte gelée.
   Le numéraire se fait de plus en plus rare, l’or devient un mythe, l’argent le suit, il faut s’attendre à des surprises, la guerre terminée. Le papier parait être juste jeté sur le marché, en trop grande, en excessive quantité, et le métal qui en est le gage, dont il est la représentation, ne doit
certainement pas atteindre le dixième de la valeur des billets en circulation.
11 heures soir :
    Il vient de passer en gare un détachement d’infanterie territoriale des contingents de Seine-et-Marne, que l’on achemine vers le front ; Ce sont des hommes âgés d’au moins quarante ans ; la cantine gratuite les a ravitaillés.
   L’un d’eux, encore domicilié à Château-Thierry lors de la bataille, s’est trouvé être un ancien employé de M. Chouzy et l’a reconnu ; il nous a conté les agissements des « boches » pendant l’occupation de la ville et leur retraite. Ils ont tué des habitants inoffensifs et pillé toutes les maisons dont les propriétaires avaient fui.
   Lorsque la ville eut été évacuée, avec quelques autres citoyens, il dût pourvoir à la sépulture, des soldats tombés au cours de l’action :

  " J’en ai, dit-il, relevé 31 horriblement mutilés par les obus, sur l’avenue de Soissons. Les allemands avaient, en se retirant, emporté leurs morts et laissé leurs blessés dans une ambulance."

Vendredi 6 novembre 1914 : Il pleut.
   Les communiqués se suivent et se ressemblent ; on ne nous a rien dit d’un engagement qui aurait eu lieu à Mailly, dont l’ennemi fait une grande victoire.
   Comme toujours, il y a des gens disposés à croire les racontars les plus extravagants, je les rapporte tels qu’on les fait circuler :
-On dit qu’un grand personnage, blessé en Argonne, agonise à Strasbourg, l’on veut que ce soit le « Kronprinz »(1), (ce serait bien son tour, il a été tué assez souvent déjà !)
-On dit que devant Varsovie un grand personnage a été tué et transporté en Prusse avec des marques de respect ne laissant aucun doute sur sa qualité…C’est le « Kronprinz » ! Une fois de plus !
-On dit que le général en chef des armées allemandes en France, blessé grièvement en Flandre, agonise à Namur !

Samedi 7 novembre 1914 :
   Une grande victoire a été remportée par les Russes en Galicie.
11 heures soir:
  Les militaires de passage ont été tellement nombreux aujourd’hui, que toutes les provisions de la cantine gratuite ont été épuisées, et cependant elles étaient copieuses.

Dimanche 8 novembre 1914 : Temps brumeux.
   Hier un prévenu a tenté, vers 4 heures et demi du soir, de se suicider dans le cabinet du juge d’instruction, il s’est porté plusieurs coups de couteau à la gorge ; blessures sans gravité ; des deux, du juge et de la victime, le plus malade n’était pas celui qu’on pense.

Mardi 10 novembre 1914 : Temps froid.
11 heures soir.
   Un détachement de 400 hommes du 34ème  territorial se rendant au front par Langres vient de passer, après s’être restaurés à la cantine, ces militaires, qui sont pour la plupart des ouvriers parisiens (région d’Asnières et Saint-Mandé), ont écrit à leurs familles sur des cartes postales, contenant des vues de la ville, qui leur ont été distribuées.

Mercredi 11 novembre 1914: Temps assez beau.
9 heures matin :
   Les Allemands sont entrés dans Dixmude. On parle en ville de la découverte d’une expédition de valeurs provenant du pillage des localités du front, qui aurait été faite à un sieur D. par son fils soldat de médiocre réputation avant la guerre, lequel se serait cependant depuis comporté vaillamment. (Le 5 décembre, le soldat D. a été arrêté par la prévôté de son corps d’armée).
   Ces vols de recel étaient, parait-il, connus de certaines personnes dont on s’étonne de voir le nom mêlé à cette affaire et qui auraient, bien antérieurement, il est vrai, recommandé énergiquement D. au Président de la République, se portant garants de sa moralité…

Vendredi 13 novembre 1914 : temps doux.
   Les gendarmes viennent d’envoyer à l’arsenal leurs fusils et carabines Lebel pour armer les nouvelles formations ; on leur donne en échange des fusils Gras. Les pompiers de l’arrondissement envoient également leurs uniformes, d’énormes ballots sont partis ce matin pour le corps d’armée.

Lundi 16 novembre 1914 :
   On va reporter à Coulommiers et Fontainebleau les dépôts des régiments qui, au moment de l’invasion avaient été refoulés sur Mende, Millau et Marvejols
   L’intendance a demandé au ravitaillement l’envoi immédiat de 150 tonnes de foin ! Et… l’on ne peut disposer que de 20 tonnes ! L’intendance croit sans doute qu’on peut utiliser tout ce dont elle a payé l’achat, mais il y en a une soixantaine de wagons qui sont pourris faute de soins.


Mercredi 18 novembre 1914 : Temps froid, -6°.
   Il a passé cette nuit 27 officiers allemands prisonniers que l’on conduit au Puy, ils ont toujours l’attitude insolente que j’ai observée lors des précédents convois.
   La guerre prend une tournure nouvelle, c’est la guerre de position. Nous avons pris la partie ouest d’un village situé sur la rive gauche de la Meuse appelé Chauvoncourt, où étaient les casernes de Saint-Mihiel.
On annonce pour demain soir le passage de 2000 hommes en quatre trains.
   Nous venons d’apprendre la mort de Clovis Corny, professeur mobilisé, encore un excellent enfant de Brioude que la guerre nous enlève.



Vendredi 20 novembre 1914 : il fait très froid, -8°.
   On a enterré aujourd’hui un militaire nommé Magnabal, instituteur à Albi, mort à l’hôpital auxiliaire, des suites de ses très graves blessures
11 heures soir :
   Les convois de troupes annoncés viennent de partir, il a été distribué 1500 rations de pain, viande et chocolat, thé et café, six passe-montagne et deux cache-nez. Il fait un temps affreux ! Pensons à ceux qui sont aux tranchées. Les casernes de Chauvoncourt étaient minées, elles ont sauté et nos soldats avec.

Dimanche 22 novembre 1914 :
   Il neige, la couche est épaisse de 15 centimètres. Les passages de troupes et leur complet ravitaillement continuent ; il a été distribué hier un peu plus de mille rations à des détachements des 46ème et 246ème d’infanterie et 34ème territorial.
   C’est la foire de la Saint-Clément ; depuis hier les mulets et les poulains abondent sur le marché ; les prix sont très élevés, les propriétaires font des affaires d’or.

Lundi 23 novembre 1914 : c’est le dégel.
   Si les mulets et les chevaux s’enlèvent à très bon prix, il n’en est pas de même des bovins des moutons et des porcs, il y a une baisse de près de 50%. 
   On publie un appel général devant le conseil de révision de tous les réformés, ajournés ou classés dans les services auxiliaires, pour le samedi 1er décembre.
   La foire n’est pas brillante.


brioude, la foire
Brioude, foire de la Saint-Clément.


Mardi 24 novembre 1914 : temps assez beau.
   L’ennemi bombarde Soissons ! Cette nouvelle, cause une très vive et très légitime émotion.
Midi :
   Il vient de passer un détachement de 400 hommes du 76ème d’infanterie se rendant au front, ils paraissent bien en forme et sont plein d’entrain. La cantine gratuite, outre les aliments, leur a distribué 120 pièces de lainage (tricots, chaussettes, passe-montagne, etc.).
10 heures soir :
   Il a passé une trentaine d’Hindous se rendant à Marseille, leur costume est original, ce sont de grands et beaux gaillards, au teint très bronzé, au visage expressif, ils sont très secs et paraissent très nerveux ; Ils ont refusé le pain, la viande, le café et le thé, n’acceptant que du lait ; ils vont au-devant de leurs compatriotes sur le point de débarquer.

Jeudi 26 novembre 1914 : temps assez beau.
   Aujourd’hui on a célébré à Fontannes un office à la mémoire du capitaine Henry Boyre, chevalier de la légion d’honneur, tué à la bataille de Charleroi, officier de valeur sorti dans les premiers rangs de Saint-Cyr et l’un des plus jeunes légionnaires ; La cérémonie a eu lieu au milieu d’une grande affluence.
    Dans l’auto qui me ramenait à Brioude, se trouvait Mme B. qui nous a dit qu’elle venait de recevoir des nouvelles de son mari qui est à Ypres, et qui demande des lainages et des chaussures imperméables :

« Ils sont, dit-elle, dans une boue liquide. Ses bagages, qui contenaient des souliers bien conditionnés, ont été pris par les allemands à Sarrebourg ».

   Le Sous-Préfet, parlant ce matin du rôle des commissions d’appel des allocations aux familles dont les soutiens sont mobilisés, donnait à entendre qu’elles devaient se conformer, dans leurs décisions, aux désirs (je n’ose pas dire aux ordres) de l’administration !
S’il en est ainsi on se demande pourquoi de telles commissions furent instituées ?
   Les citoyens qui les composent ne sont pas des serviteurs, ils sont des juges ne relevant que de leur conscience, pour mettre dans la balance, d’une part les besoins présents des familles, et d’autre part les intérêts du Trésor National.
   On fait vacciner les réfugiés des départements envahis, les municipalités veillent à ce que leurs enfants fréquentent les écoles ; mais à en croire le maire d’un chef-lieu de canton voisin, tout n’est pas rose pour ceux qui les ont recueillis : habitués à des gros salaires dépensés sans esprit d’épargne, ces gens vivaient largement et ne voudraient rien changer aux habitudes acquises, d’où des exigences qui indisposent à leur égard.

Samedi 28 novembre 1914 : beau temps.
   C’est le calme, mais il ne durera pas, car un officier supérieur allemand, qui serait dit-on prisonnier au Puy, aurait annoncé une grande poussée pour le 19 novembre ; le grand état-major du Kaiser ayant reçu l’ordre de lui livrer Calais pour le 2 décembre, anniversaire de l’avènement de François-Joseph au trône d’Autriche et jour d’ouverture du Reichstag .
   Les réquisitions d’avoine continuent. Ce soir sont partis les territoriaux de 42 ans, MM. Bessaire épicier, Granet orfèvre, Rivoire et Ribeyre charcutiers et bien d’autres.


A. Bertrand.


1) Kronprinz: Prince héritier de l'Empire Allemand et Autrichien (Dauphin), Victor Auguste Ernest de Hohenzollem, commandant des "Hussards de la Mort".


A suivre: décembre 1914.(NDLR)


Voir aussi sur le même sujet 


 
                                     
  Article : la vie de Marcellin 1914 et son carnet de guerre.


Sources : Les Albums de photos originales et inédites à voir dans la colonne de droite.© Regards et Vie d'Auvergne

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