Le Marchand de parapluies Auvergnats.

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 Ceux d'hier : le Marchand de parapluies.


   C'est vers 1860 que le métier de marchand de parapluies était le plus en vogue chez les émigrants d'Auvergne, et plus particulièrement parmi ceux du Cantal.
   A cette époque, ce métier, qui était dur est assez rémunérateur, demandait de l'énergie, de la patience, de la ruse parfois, de l'honnêteté et une certaine compétence professionnelle.
   On pourrait se demander pourquoi les Parisiens d'avant la guerre de 1870 n'apportaient pas sur place une sérieuse concurrence aux Auvergnats. Les causes en sont multiples, mais la principale est la suivante : c'est par le cri et le costume que les marchands de parapluies ambulants se distinguaient le plus du reste de l'humanité : il le fallait, dans un temps où chacun annonçait à pleines voix son métier. Et le Parisien n'eût jamais consenti à échanger son vêtement bourgeois et son langage de citadin contre le rude habit de velours, les gros souliers ferrés et la mélodie rustique du marchand de parapluies.
   L'Auvergnat n'était pas élégant dans sa mise, mais il était d'une propreté irréprochable, et ses vêtements étaient choisis de façon à n'être ni trop froids l'hiver, ni trop chauds lorsque venait la canicule.

parapluie d'Auvergne
   L'ancêtre des négociants en parapluies actuels n'avait pas de magasin, pas même de boutique, et il portait toute sa marchandise dans une sorte de sac pendu en bandoulière, ressemblant ainsi, mais de très loin, à l'Amour portant son carquois plein de flèches. Au reste, il y avait belle lurette que Cupidon, lui aussi, avait remplacé dans le sien les flèches par des baleines... Combien d'idylles(ces fleurettes) sont nées sous la pluie. On sait l'histoire (le coup du parapluie) : un élégant jeune homme en quête d'aventure se précipite vers la jeune personne qui n'a pas de parapluie, et lui offre la moitié du sien :
"Mon Dieu, Madame faites moi la grâce ..."
La suite se devine.
   Donc, il y avait dans ce carquois, des parapluies neufs, des presque neufs et des vieux, il y en avait de toutes les sortes, à tous les prix, pour tous les goûts et de toutes les couleurs.
L'été, le marchand de parapluies vendait des ombrelles.
   Son activité ne se bornait pas au reste à la seule vente, il achetait aussi, et raccommodait. Il raccommodait surtout, car à cette époque la vie était dure et l'on usait les parapluies jusqu'à la trame du tissu, jusqu'au cœur du bois ...
   Sous les fenêtres, le marchand de parapluies lançait d'une voix chevrotante et sur un ton lamentable ce chant pittoresque :

-" Qui a des parapluies déchirés à raccommoder ? "

Un journaliste de l'époque a dit de cet artisan :

-" Il vend du vieux pour du neuf, il achète du neuf pour du vieux "

   Ce n'était, il faut le penser, qu'une boutade facile, car le marchand de parapluies avait à défendre son bénéfice, donc sa subsistance même, contre des acheteurs assez pauvres et un tantinet avares.
   C'est à Paris, fatalement, que le courant de l'émigration devait le conduire, comme le chaudronnier, le brocanteur, le porteur d'eau, le charbonnier, le cocher de fiacre, ses frères d'infortune.
   Paris a un climat inconstant, humide quelquefois, pluvieux presque chaque hiver, le marchand de parapluies se doublait d'un météorologue averti, il interrogeait les vents, jugeait les nuages à leur forme, à leur couleur, à leur altitude, avant d'être marchand, il avait été berger, et il ne se trompait guère.
   Son commerce battait son plein, alors que tous les autres métiers étaient devenus impossibles à exercer, à cause de l'inclémence du ciel.
   Lorsque le temps était menaçant, il souhaitait la pluie, il la désirait, il l'appelait même et comme celui du pivert dans nos campagnes, le cri du marchand de parapluies : 

-" Arrrchant d'parapluies " ou simplement :
-" Pluie, pluie" Était mauvais présage pour le promeneur.

   Survenait-il une averse ? L'homme pressé par quelques course urgente, l'homme du monde se rendant à une soirée trouvaient le marchand, et l'affaire se concluait sous un porche...
   Le marchand de parapluie ne bornait pas son activité à Paris seulement, il l'étendait à la banlieue proche ou lointaine, et la route de Saint-Germain ou de Versailles lui était familière. Comme enseigne, il portait, par tous les temps, un parapluie ouvert, malgré les moqueries des enfants et les aboiements des chiens.
   La Belgique aussi, le vit arriver, et la Hollande, et l'Allemagne, mais c'est une autre histoire.
Il logeait habituellement dans une maison modeste de quelque faubourg, ou plus souvent, dans le quartier des Halles qui est resté le quartier des fabricants de parapluies, le "quartier" comme ils disent. Un petit parapluie de bois ou de tôle placé près de sa fenêtre indiquait son domicile au passant.
   Voilà qui était l'ancêtre du négociant en parapluies actuel, et son destin qui l'obligeait à vivre dans la ville grise, boueuse, humide, hostile, loin de l'Auvergne natale aux horizons bleus, aux cimes altières, aux chaumières accueillantes.

   Puis les temps changèrent. Tant de persévérance dans l'effort, tant de misère, acceptée plutôt que subie, tant de travail devaient avoir, tôt ou tard, leur récompense.
   Un peu avant le début su siècle, les marchands de parapluies s'établirent, ils ne sollicitèrent plus le client, ce fut le client qui alla chez eux, car le parapluie, l'ombrelle et la canne étaient passées dans les mœurs, au même titre que le chapeau ou les chaussures.
parapluie d'Auvergne
Elles étaient bien modestes
alors, les boutiques
des marchands
de parapluies.

   Elles étaient bien modestes, alors, les boutiques de marchands de parapluies. Dans les quartiers populaires, on y vendait plus de coton que de taffetas, et, pendant la saison pluvieuse, on veillait tard : l'homme pour faire d'ingrates réparations et la femme à s'user les yeux sur des " pointes " ou des " ronds " à coudre.
   Puis les travailleurs du parapluie se spécialisèrent et le luxe des magasins actuels a sa raison d'être, si l'on songe combien les marchandises vendues sont précieuses.
   Les petits parapluies courts, plats, comme des ombrelles de Japonaises, sont un chef-d'œuvre du goût de Paris, au même titre que les robes de haute-couture, sorties de la rue de la Paix ou de la place Vendôme.
   La couverture est en soie, aux lisières tissées selon de fort jolis dessins, la poignée en ivoire, en galuchat, en peau de lézard ou de serpent, en bois précieux, en argent ou en or.
Rien n'est négligé : ni les pointes des montures, garnies de petits bouts, ni le bout du parapluie lui-même, qui sont en harmonie avec la poignée.
   La fabrication d'un de ces jolis objets qui font la joie des Parisiennes exige les soins et les talents de cent artisans divers.
   Or, que seraient aujourd'hui tous ces négociants tous ces fabricants, tous ces artisans, toutes ces vendeuses, sans le brave homme d'ancêtre auvergnat, qui, aux carrefours, stoïque comme un Spartiate, chantait, à tous les vents :

-" Pluie, pluie " ?

parapluie d'Auvergne





parapluie d'Auvergne Aurillac
Photo : Aurillac.fr



NDLR : Aujourd'hui la culture du parapluie Auvergnat existe toujours, comme ici à Aurillac, la capitale du Cantal, on en fabrique toujours et même de fort beaux. C'est l'occasion pendant l'été de parer les rues du centre-ville d'une multitude de parapluies aux couleurs chatoyantes, du plus bel effet. 



Source : Extrait de : l'Auvergne Littéraire, Artistique et Historique 1924. texte et dessin François-Paul Raynal

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