La peste noire à Riom en 1631, chapitre 2.

Riom 1631, chapitre 2.

église du Marthuret, Riom.
Eglise du Marthuret, Riom.

 Chères lectrices et lecteurs, le confinement dont nous sommes tous astreints pour contrer le déploiement de ce redoutable virus : Coronavirus est parfois difficile à comprendre, voici donc un texte déjà très ancien, qui nous rappelle que rien est bien nouveau, les épidémies et pandémies ont décimé des millions de gens depuis la nuit des temps.
Bonne lecture, restez chez vous, protégez : vous et les vôtres, gardons espoir.

   Les pauvres se lamentaient, les riches multipliaient les aumônes, tous passaient leurs nuits en prière, des jeûnes, des pénitences publiques étaient ordonnés, l'épouvante gagnait les plus courageux et couvrait la ville d'un deuil funèbre. Dans ce péril extrême, il fut décidé que la procession expiatoire serait célébrée le 14 de juillet, que la châsse miraculeuse du bien-heureux Saint-Amable y serait solennellement portée et que tous les religieux, toutes les corporations, tous les notables, bourgeois et populaire iraient ainsi à Notre-Dame de Marsat.
   Dès que le jour fut venu, chaque habitant se rendit en silence à l'endroit qui lui avait été
assigné par l'ordonnance consulaire. Les cloches ne faisaient plus entendre, hélas ! ces carillons joyeux des fêtes de l'Eglise, elles s'associaient par des tintements plaintifs à la douleur commune et appelaient comme en gémissant les fidèles à l'austère cérémonie.
Il était cinq heures du matin, quand le cortège se mit en marche. Il partit du parvis de la collégiale de Saint-Amable, passa par le carrefour des Taules, descendit vers Notre-Dame-du-Marthuret pour, de là, sortir par la porte de Clermont, longer les fossés du coté du couchant et prendre le chemin qui va en droite ligne au bourg de Marsat, lequel est à cinq traits d'arbalète des remparts de Riom.
   En tête, s'avançaient lentement toutes les croix processionnelles des églises et des couvents, précédées d'enfants de chœur agitant de petites sonnettes pour annoncer le passage de la procession.
    Venaient d'abord les arquebusiers portant leurs arquebuses sous le bras, pendantes en terre, la mèche éteinte, la batterie couverte d'un crêpe noir.
   Suivaient à quelques pas les tambours, les fifres, mais sans se faire entendre.
Après eux venait la capitaine de la ville lequel avait un crêpe à sa pertuisane, les douze sergents de son escorte en portaient également un à leur Hallebarde.
Derrière eux marchaient les quatre capitaines des quartiers et leurs milices, tous rangés en bon ordre et bien armés.
   Après, s'avançaient sur deux rangs les corps d'état, chacun avec sa bannière, dans l'ordre suivant : les tanneurs, les orfèvres, les charpentiers-menuisiers-tourneurs, les laboureurs, les boulangers, les bouchers, les tapissiers, les teinturiers, les maçons, les serruriers, les tailleurs, les tisserands, les maréchaux-taillandiers, les aubergistes, les perruquiers, les charrons, les ferblantiers et les vitriers.
   Après, venaient les pénitents noirs, la tête et le visage couverts de la cagoule, ayant au milieu d'eux les porte-enseignes de la Passion, tous pieds nus, tenant d'une main de grands falots de toile et de l'autre des bâtons ferrés surmontés d'une croix rouge.
   Après, et également pieds nus, les quatre cents écoliers du collèges escorté de leurs maîtres les pères de l'Oratoire.
Après, les pères Capucins au nombre de soixante.
Les pères Cordeliers au nombre de quarante.
Les dames religieuses non cloîtrées, toutes tenant des rosaires et récitant des prières à voix basse.
   Quelques pas plus loin, marchaient les clercs de la basoche au nombre de neuf cents, les corporations des notaires royaux, des médecins, procureurs et avocats, tous portant des torches.
Après, marchaient les gens de la maréchaussée.
Ceux de l’hôtel des Monnaies, juges, procureur du Roy, greffiers, directeurs, contrôleurs et essayeurs.
Messieurs du Bureau des finances, le premier président, les trésorier de France, les chevaliers d'honneur, les avocats, procureurs du Roy et greffiers, revêtus de leurs insignes et portant des cierges avec leurs armoiries.
Messieurs les officiers et magistrats, président, conseillers et autres composant la Sénéchaussée et le siège Présidial.
Les prêtres, les aumôniers et chapelains des différentes églises et chapelles.
Les chanoines prébendés et semi-prébendés des chapitres de la Sainte-Chapelle, du Marthuret et de St-Amable, tous portant la chape et un cierge à la main, les chantres psalmodiant les litanies de St-Amable.
Enfin, s'avançait la châsse du Saint, portée par trois gentilshommes, trois consuls, trois bourgeois et trois religieux, entourée de tous les membres du corps de ville, ayant en main des torches aux armes de Riom.
   Suivaient immédiatement le premier consul, le sénéchal et le premier président du Bureau des Finances, derrière eux marchaient les confréries du Sacré-Sacrement, du Saint-Esprit, de la Charité et de la Sainte-Croix.
Puis les dames de la ville selon leur rang.
Puis les maîtresses du Refuge, les hôpitaux et les pauvres.
   Dès que la procession fut arrivée devant la modeste église de Marsat, elle trouva sous le porche pour la recevoir le révérend Abbé de Mozat, entouré des officiers claustraux et des religieux de son abbaye. Comme seigneur du lieu et chef d'un monastère royal, il portait la crosse et la mitre et c'est avec ces insignes qu'il précéda dans le sanctuaire la châsse et les hauts dignitaires qui lui faisaient escorte.
   Quand l'église fut remplie, la foule qui n'avait pas pu entrer s'agenouilla sur la place et dans les rues avoisinantes, puis l'office commença.
Après la messe, le premier consul vint au pied de l'autel, déposa entre les mains du curé la lampe d'argent donnée par la ville de Riom et fit vœu de la tenir perpétuellement allumée devant l'image miraculeuse dont il implorait la protection en faveur de ses infortunés concitoyens.
   Cette cérémonie achevée, l'assistance se rangea sous le porche et sur la place pour entendre les exhortations d'un des pères de l'Oratoire. Pendant ce temps, comme la foule s'étendait au loin, d'autres religieux répandus de distance en distance, dans les rues, le long des chemins, formaient des groupes d'auditeurs et leur prêchaient l'espoir et la prière.
Enfin le cortège se reforma dans le même ordre qu'à l'arrivée et à dix heures la procession, après avoir fait le tour entier des remparts, était rentrée en ville.
   Ce fut un spectacle bien fait pour émouvoir les cœurs que celui offert par cette multitude recueillie, priant et pleurant. Il n'était personne dans cette foule qui n'eût perdu quelqu'un des siens, qui ne tremblât pour un parent, pour un ami, pour lui même !
Par un contraste singulier, le temps était splendide. Le soleil brillait dans un ciel pur, la campagne était couverte de riches récoltes, la nature semblait heureuse et disait à l'homme consterné que la vie régnait sur terre et qu'il fallait avoir confiance en Dieu. Mais la mort, souveraine implacable ! régnait aussi à ses côtés. Il la voyait, il la sentait, frappant nuit et jour, sans se lasser.
   Ces ordonnances consulaires pleines de menaces, dont il lisait chaque matin les prescriptions sévères, ces précautions terrifiantes qui glaçaient les plus généreux et fermaient les cœurs à la pitié, ces maisons murées où les victimes de la peste se mourraient quotidiennement dans un abandon cruel, ces glas lugubres annonçant à toute heure un trépas nouveau, le rendaient morne, triste et sans courage.
Il fuyait la clarté du jour, s'enfermait dans son logis, croyant l'ombre et la solitude un abri contre le redoutable fléau. Il avait peur de tout, il avait peur partout. Il n'avait été touché ni des beaux costumes des ses officiers et de ses magistrats, ni des ornements rehaussés d'or et de pierreries dont ses prêtres étaient revêtus, ni de la châsse étincelante du patron de la contrée, promenée en grande pompe à travers les champs où la mort était venue la première faire sa moisson. Il ne se sentait d'amour ni pour cette nature luxuriante, ni pour ce soleil générateur, ni pour rien : il avait peur ! Et cette peur extrême prenait le mal dans son germe, le développait et le faisait éclore fatalement. C'est pourquoi, couché sur les talus des chemins, sur les places, dans les rues, écoutait-il dans une indicible épouvante ces moines qui lui criaient : 
" Confiance, courage, espoir ! "

Hippolyte Gomot.


 Autre article de ce blog sur le même sujet : La peste noire à Riom chapitre 1

   Sources : extrait de : Riom et la peste noire, par Hippolyte Gomot. © Textes et Photos Regards et Vie d'Auvergne.Vous pouvez laisser un commentaire au bas de l'article.

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