La Rue de Lappe et le Passage Thiéré,
La petite Auvergne de Paris.
Il y a, en plein faubourg Saint-Antoine, un fief Auvergnat autour de la Rue de Lappe et du Passage Thiéré qui s'allongent parallèlement entre la rue de la Roquette et la rue de Charonne.
Dans ce quartier où naquit la Révolution en 1789 et où travaille tout un monde d'adroits ouvriers qui fabriquent des meubles si élégants qu'on n'en fait de tels nulle part ailleurs, dans le coin de la ville, voué au bois, les Auvergnats vivent du métal.
"La Rue de Lappe, a écrit Jules Vallès, est la fosse commune des instruments du travail et de la guerre".
En cinquante ans, son aspect n'a pas beaucoup changé.
Les boutiques sombres des marchands de machines s'alignent des deux côtés de la rue et, dans ces rez-de-chaussée, s'entassent les engins les plus divers : des tours, des raboteuses, des pompes, des fraiseuses, des moteurs, des perceuses, des enclumes,
des scies à ruban... Les pièces détachées trouvent aussi leur place : là, ce sont des arbres de transmission avec leur carapace de graisse consistante, armure jaunâtre qui les défend contre les attaques de la rouille ; ici, ce sont des poulies de tous les diamètres. Voulez-vous des moteurs électriques ? Ils sont là, depuis le Lilliput pour machine à coudre jusqu' au puissant cinquante chevaux. Sont-ce des outils que vous cherchez ? Voyez cette boutique : derrière les carreaux s'offrent des vilebrequins, des limes, des petites meules d'émeri, des scies pour le bois ou le fer, des marteaux, des pinces, mille autres encore...
Mais parmi ces boutiques où le métal est roi, il en est qui sentent bon le terroir, où les jambons fumés pendent, tentants ; où la demi-lune de la tourte de pains "bis" entamée voisine avec la "Fourme du Cantal", pleine lune tombée du ciel d'Auvergne.
La Rue de Lappe pourrait être aussi bien d'Aurillac ou du Puy. Elle a laissé des sœurs au pays près de l'église Notre-Dame du Port de Clermont-Ferrand, et à Murat et à Mauriac.
Le matin, souvent un embouteillage, dû à l'étroitesse de cette voie, donne lieu à des échanges de quolibets entre conducteurs de lourds camions. Ici, on livre un tour-revolver et le cocher à la veste noire et au large feutre donne un coup de main et des conseils éclairés à des hommes en cotte bleue, là, on enlève une scie à ruban... Il y a des exclamations, patoises bien souvent, de la bonne humeur, et cette joie d'une qualité à part que procure l'accomplissement d'une tâche rude.
La Rue de Lappe doit son nom à un jardinier du XVIIè siècle, elle est longue de 265 mètres et a 10 mètres de largeur. On conçoit mal qu'il y est eu, en cet endroit noir, des jardins fleurie, et pourtant à cette époque le faubourg Saint-Antoine était la banlieue, presque la campagne ; le roi Henri IV y avait établi ses écuries et ses forges.
Au no 23 est la Cour du Cantal, au 26 la Cour Saint-Louis. Ce sont des sortes de boyaux profonds où sont établis des fabricants de comptoirs pour café et d'autres petits industriels. Pas un pouce carré de terrain n'est perdu.
Au no 21, le Passage Louis-Philippe relie la Rue de Lappe au Passage Thiéré, qui doit son nom à l'ancien propriétaire. Cette voie privée commence à l'inverse de sa voisine, rue de Charonne, où une grille ferme, la nuit, son issue; elle se termine sur la voûte d'une maison, au no 45 de la rue de la Roquette.
Comme la Rue de Lappe, ce boyau, que les urbanistes guettent, a des appendices : la Cour Quellard, au 9 bis; au 11, la Cour Veissière et, au 16, la Cour Baduel, dont les noms sont spécifiquement Auvergnats. On peut dire de la Cour Veissière qu'elle est le cimetière de la ferraille. En plein milieu se dresse, à une belle hauteur, un inextricable amas de débris les plus hétéroclites : des cylindres de fers rouillés, des morceaux de charpentes métalliques que quelque incendie a tordues, des grues hors d'usage, des chaudières réformées et tout un monceau d’instruments vaincus par la flamme, l'humidité ou l'usure.
Plus encore que la Rue de Lappe, le Passage Thiéré a l’aspect d'une rue de ville Auvergnate. Le pavage inégal convient tout juste au passage des lourdes voitures de ferraille et, comme pour ajouter une note pittoresque, des canards, des vrais, certains jours de pluie, fouillent de leur bec plat les flaques d'eau boueuse restées au creux des pavés. De trottoirs, point. Ou si peu que c'est ne rien dire.
Rue de Lappe, Passage Thiéré, les noms des commerçants sont bien d'Auvergne. Les fonds sont en général très anciens. Il y a quelque cinquante ans, ce n'étaient que de très petites affaires, montées sou après sou, avec ténacité, Dieu sait au prix de quels efforts acharnés. La petite remise de ferraille, il y a un demi-siècle, représentait des centaines de centaines d'étages montés par les porteurs d'eau qui, l'hiver, se gelaient aux fontaines, en attendant leur tour.
Et puis, ces affaires ont prospéré. Avant que la crise ne vint, la Rue de Lappe et le Passage Thiéré étaient des sortes de fabuleux alambics où entrait le métal et d'où sortait la fortune. Mais les temps ont changé, bien que les habitants de ces deux voies du vieux faubourg y soient toujours les maîtres, bien qu'ils soient si solidement plantés dans ce coin de sol, si profondément ancrés et qu'ils en aient fait un fief Auvergnat inattaquable.
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Ceux de la ferraille.
La rue de Lappe, aujourd'hui, sur le blog : l'atelier BBCOX
Sources : Les Auvergnats de Paris, l'Auvergne Littéraire et Artistique, 1924.
© Regards et Vie d'Auvergne.
http://www.regardsetviedauvergne.fr/
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
C'était un beau quartier, plein de vie.
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