Récit d'Auvergne : Histoire d'un fantaisiste, en Livradois.

Histoire d'un fantaisiste.

Olliergues, Puy-de-Dôme.

  

Olliergues, Puy-de-Dôme.

 Jean, le fils indépendant et fantasque, joueur de vielle dans sa première jeunesse, n'avait jamais pu se plier au travail de la terre, ni au métier paternel. N'ayant pas d'argent, il se fit colporteur. Il achetait à Thiers, à crédit, quelques douzaines de couteaux, quelques paires de ciseaux, du papier à lettre, il suivait les foires et les marchés, criant, faisant l'article pour vendre sa camelote.
   D'autres fois, passant par Ambert, il prenait quelques douzaines de chapelets qu'il vendait pour préserver de la rage, en chantant la complainte de saint-Hubert. Il avait aussi
de la petite mercerie, du fil, des aiguilles, des boutons, etc... Les gens du pays se souviennent encore de lui, tant il avait de blague, les forçant à lui acheter par son entrain et sa bonne humeur. Il était passé maître pour vanter sa marchandise, plus d'un de ses boniments est resté légendaire. Dès qu'il arrivait sur une place de marché, on s'attroupait autour de sa caisse.
   Et il peinait le malheureux, toujours à pieds par les chemins, portant sa lourde caisse sur l'épaule, attachée par une courroie. Il en faisait des kilomètres ! Le mardi à Courpière, le mercredi à Cunlhat, le jeudi à Ambert, le samedi à Olliergues, le dimanche à Thiers, ou bien dans d'autres coins du département. Combien de fois n'avait-il pas passé la nuit, sa boite sous la tête, dans un fourré du bois de Randan. Ses bonnes fortunes, c'est quant il rencontrait un compère plus riche qui le faisait monter dans sa voiture. Son rêve eût été d'avoir une voiturette et un âne, seulement voilà, sitôt qu'il avait fait une bonne vente, il s'empressait de faire emplette de marchandises nouvelles, et s'il restait quelques boni ( bénéfice) il invitait des amis, et l'on buvait la monnaie jusqu'au dernier sou.
   Il lui était arrivé de rester des mois, des années même, sans reparaître au village. On avait de ses nouvelles de loin en loin, par des gens de l'endroit qui l'avaient rencontré, soit à Thiers où les tisserands s'en allaient vendre leurs toiles, soit ailleurs. Un beau jour, on le voyait revenir en guenilles, hâve, épuisé. Ma grand'mère, dont il était le préféré, le soignait, le dorlotait, l'habillait de neuf et lui l'amusait, elle et ses sœurs, par sa gaieté, son bagout de forain, ses chansons. Il reprenait sa vielle et cela attirait les jeunes gens qui venaient danser dans la grange. On l'aimait malgré ses frasques, il était si franc, si désintéressé, pas méchant pour un sou. Seul, mon grand-père ne l'estimait guère :
-"Celui-ci, avait il coutume de dire, c'est mon larron !"
   Quand il s'était remis un peu, la nostalgie de la liberté, du grand chemin, des aventures le reprenait, et tandis que sa famille était aux champs, vite il mettait son meilleur habit, ses gros souliers ferrés, se collait sa boite sur le dos et le voilà parti.
   Le soir, on l'attendait un peu, pas longtemps, la caisse ayant disparu, on savait ce que cela signifiait. Ma grand'mère pleurait un peu. Le vieux ronchonnait, disait que s'était un bon débarras et on n'en parlait plus jusqu'à son retour toujours imprévu.
   Tout de même, la trentaine passée, il sembla s'assagir et se maria à une fille de la commune. Dès lors, les grandes absences furent finies. Il sortait juste pour se procurer du travail. Il réparait les parapluies et les fusils, vendait et réparait les montres, se rendait dans les maisons pour dégraisser et faire marcher les horloges. Il vendait aussi de la bijouterie de pacotille : bagues, boucles d'oreilles, chaînes de montre, broches en cuivre agrémentées de verroteries, qu'il déballait sur la place les jours de marché. Avec cela il gagnait bien sa vie, mais il fallait que sa femme tint la bourse, car l’argent lui coulait des doigts.
   Un samedi soir, jour de foire à Olliergues, il avait fait une assez bonne recette. Il s'attabla au cabaret avec quelques camarades et but copieusement. Quand il sortit de la dernière auberge, il était un peu étourdi par le vin, sur le chemin du retour, il se coucha au bord d'un talus et s'endormit. Il gelait à pierre fendre. Il resta ainsi je ne sais combien d'heures. Pendant la quinzaine qui suivit, il traînassa, sans tenir le lit, il se disait un peu enrhumé. Un soir, une fièvre violente le prit et deux jours après, il mourait d'une méningite, laissant un fils, un gamin de trois ans.
   Mon grand'père était mort dix mois auparavant. Ma tante et son petit vinrent habiter avec ma grand'mère qui était toute seule. Sa fille aînée, ma tante Marie, était mariée sur les limites de la commune touchant Augerolles, et ma mère, la plus jeune était au chemin de fer. Les deux femmes restèrent ainsi pendant six ans à cultiver, comme elles le pouvaient, leur coin de bien, payant les journées qu'on leur faisait par un peu de couture.
   Après la mort de ma grand'mère, ma tante et son petit Emile, vinrent habiter Olliergues, gagnant leur vie avec grand peine.
Elle y est encore, elle continue le métier que lui avait appris son mari, elle vend et répare des parapluies.
   Mais elle est seule. Son fils a été tué à Metzeral (Alsace) le 27 mai 1915.


 R.Combe

Autre article sur le même thème : le marché à Olliergues
Sources : L'Auvergne Littéraire et Artistique 1929.                 © Regards et Vie d'Auvergne.
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