les Auvergnats de Paris, ceux de la limonade

 Ceux de la limonade, à Paris.

   Les cafés de Paris sont renommés dans le monde entier. A Montmartre, aux Champs-Elysées, à Montparnasse, d'imposants établissements, aux jours d'été, étalent leurs terrasses gaies sur l'asphalte. Les soirées sont douces, et, derrière les guéridons, enfoncé dans des fauteuils d'osier, on laisse couler le temps. Certains de ces cafés ont une histoire, d'autres, bien que conçus depuis longtemps, sont éclos d'hier : éclairage aux gaz rares, orchestre tzigane plus ou moins authentique, jazz plus ou moins "chaud" ou "teinté", garçons en veste éclatante de blancheur, glaces, nickels, peinture claire. D'autres encore font partie de l'histoire de Paris, on les trouve, brasseries tranquilles, cafés littéraires, au studieux Quartier Latin. Beaucoup naissent, quelques uns disparaissent, ainsi la vie.
   Qu'on s'informe, on trouvera à la tête de la plupart de ces cafés des Auvergnats pur sang, ceux qui sont arrivés. Et dans le personnel, ceux qui montent, garçons, gérants, caissières. Leur politesse exquise est de France, de Paris, même, au fond de leurs paroles congrues, ont sent une pointe d'accent du terroir, et l'on pense à ces grenats à ces améthystes, à ces topazes que les gamins de Royat ramassent dans les ruisseaux et qui ne sont que cailloux de couleur, jusqu'à ce que l'artisan leur ait donné un éclat, un poli qui fait songer aux eaux des lacs de montagne, aux dernières lueurs du jour.
   Des cafés, il y en a de toutes les classes, nombreuses comme les notes d'un piano : c'est le modeste vins-charbons, le "mastroquet " qui s'est un peu commis en devenant bistro, le café-comptoir... Puis cela monte, monte. Le comptoir s'allonge comme une vaste coulée d'étain figée pour toujours, et puis encore, tout à coup, disparaît : on atteint une classe de la société où il est bon de boire assis.
   Alors, les portes se ferment, les rideaux se tirent, les lumières se tamisent, voici le café discrètement chic  de la Madeleine, de l'Opéra.
Allons vers l'ouest où se propage la civilisation, montons ces Champs-Elysées que le monde nous envie. Partout éclatent des fulgurations de toutes les couleurs. Et des noms qui ont leur noblesse, tout l'armorial en lettres de feu. Flânons une heure en buvant un jus de tomates ou un citron pressé.
   Puis, quand les théâtres et les cinémas se videront, nous irons tout doucement (sommes nous pressés ?) à Montparnasse qui fût à l'âge d'or de 1926 une nouvelle Babel. Là, d'importants cafés disposés, dans un espace à peine plus grand qu'un champ de foire, comme les point cardinaux. Chacun a sa clientèle propre avec ses heures, ses exigences, ses habitudes ou ses manies, "sa" table aussi. Toute la nuit, ils se succéderont, froids ou gais, tristes ou exubérants. On trouvera, sous cette coupole, cette rotonde ou ce dôme, des rêveurs, des sages, des ivrognes, des bourgeois en goguette, et la théâtreuse, le poète chevelu, le peintre Danois, le littérateur honoraire, le fonctionnaire ponctuel, le petit jeune-homme qui découche, le voyageur de commerce, le policier, la grue, l'étranger entre deux vins... Que sait-je ?
Toute la société en pilule, derrière les portes à tambours. On ne sait quand dorment ces gens.
   Mais, au fait, quand dorment les débitants ? Dans les quartiers populaires, ils sont debout bien avant l'aube. Dès trois heures on entend la sonnerie aigrelette d'un réveil. La lumière se fait au premier étage, puis, quelques minutes plus tard, dans le café, filtrant par la rosace du rideau métallique. Les marchandes des quatre-saisons qui descendent aux Halles ne tardent pas à arriver, pressées, car il faudra revenir bien vite. Les travailleurs matinaux affluent aussi:
- Un crème...
- Un jus arrosé de rhum...
- Un coup d'blanc...
Entrant comme un cyclone, un homme vêtu de toile kaki, crie :
-Sens-unique !
C'est un verre de vin rouge qu'il désire et qui est bu aussitôt que servi.
   L'horloge à sonné la demie de trois heures. Un rideau de fer relevé d'une poigne vigoureuse, rrann, laisse apparaître des caisses d'oranges qui dégagent une subtile odeur d'éther.
   Quatre heures. Je ne sais où, un pas lointain et pressé sonne sur l'asphalte ; tac, tac, tac.
   Six heures. D'autres cafés se sont ouverts, un par un, sans bruit. Dans le marché couvert, en face, les bouchers ont commencé de débiter la viande et l'on perçoit le bruit des longs couteaux que l'on affute avec le fusil, d'une main habile.
   Partout des bruits divers, des brides de phrases lointaines, le choc des paniers sur le trottoir. Et tout un peuple, maintenant, sur cette place qui s'éveille tôt. Mais, son lever, auquel ont présidé les cafetiers, a duré trois heures d'horloge. 
Aujourd'hui, ce sera un beau jour pour les quatre-saisons.
   Partout, à toutes heures du jour et de la nuit, on trouve des Auvergnats dans la limonade et dans l'hôtellerie, à tel point que si nos compatriotes revenaient brusquement dans leur pays, les Parisiens ne sauraient plus ni où se loger ni où se désaltérer.
   Certes, il ne faudrait pas chercher des prix de vertu parmi la clientèle des établissements voués à Bacchus, dans les cafés, les brasseries les bars, chez les mastroquets, les marchands de vins, les bistrots. Emile Zola, sacré sacré une fois pour toutes grand écrivain naturaliste, a, dans son "assommoir" cloué au piloris certains débits de bas étage où de pauvres bougres venaient chercher l'oubli et ne trouvaient que l'abrutissement alcoolique. Mais voila qui est déjà périmé, tout comme certains traités d'économie politique, car, depuis, il s'est passé des choses en France.
   Si l'on trouve des ivrognes partout, on en rencontre plus facilement, je crois, dans les "Américan bars" et même aux cocktails de la toute charmante Mme X. Les Auvergnats n'y sont pour rien, ils ne vendent pas de mixtures anglo-saxonnes et n'ont aucun goût pour les salons. Et point n'est besoin d'aller au café pour s'enivrer, exemple, les Etats-Unis d'Amérique lors de la loi de prohibition.
   De ne jours, on va surtout au café pour un rendez-vous, pour s'y désaltérer l'été, s'y réchauffer l'hiver, pour un coup de téléphone, pour consulter le Bottin ou l'indicateur des chemins de fer.
   Ecoutons Antoine Bonnefoy :
   " Si l'on considère qu'une fraction considérable de la population parisienne est contrainte de vivre dans des logements exigus, étriqués, surpeuplés, dans une gêne constante, on se rend compte que ces établissements sont le prolongement indispensable, pour ainsi dire fatal, des foyers trop sommaires. Le fait qu'ils soient tenu par une race d'hommes à l'esprit équilibré, au cœur sain, sérieux, pondérés, ouverts à la compréhension des indispensables disciplines sociales, n'est pas indifférent à l'ordre public. Il n'y a évidement pas lieu de tresser des couronnes à ceux qui les tiennent puisqu'ils trouvent la juste rémunération de leur travail dans l'exercice de la profession librement choisie, mais il y aurait une injustice flagrante à méconnaître l'utilité de leur fonction et à rééditer à leur endroit des calomnies éculées et des tartuferies surannées."
   Voilà, me semble-t-il, réhabilités ceux de la limonade.
   Je l'ai dit : au siècle dernier, beaucoup de porteurs d'eau l'ont lâchée pour le vin, mais c'est un peu ancien déjà. Voici le cas d'un type d'ascension des Auvergnats de la limonade. Venus à Paris comme garçons charbonniers, l'hiver, ils ont économisé, pris une gérance, puis ils ont acheté un commerce de vins et charbons, ensuite ce fut un café-hôtel, enfin un "Hôtel-Bureau". La crise à atteint si sévèrement cette corporation que je connais de nombreux hôteliers très heureux, en 1936, de pouvoir héberger des chômeurs (qu'ils recherchent même) de façon à toucher l'indemnité municipale... Ceux-là sont des victimes, les perdants d'une sorte de jeux de la spéculation. 
   La valeur des fonds, depuis la fin de la guerre, a augmenté avec une prodigieuse rapidité, presque selon une progression géométrique. On "tenait" un hôtel pendant deux ou trois ans, puis on le vendait, souvent en faisant le culbute, entendez par là : en vendant au double du prix d'achat. Il y a quelques années, le propriétaire d'un petit "vins-hôtels" de Grenelle avait comme client un comptable, l'homme de conseil, le lettré de la maison, surtout hantée par les Nord-Africains.
   La vie de l'hôtelier et de sa femme était bien modeste, tôt levés, couchés tard, ils besognaient à longueur de journée, sans l'aide d'aucun employé, attendant le samedi pour toucher le prix du loyer : quarante à soixante francs par semaine. Un jour, le commerçant demanda à brule-pourpoint à son client, après bien des hésitations, sans doute, quel serait à son avis le meilleur, moyen, en cas de vente, pour ne pas "déclarer" au fisc.
- Car je voudrais vendre ce fonds pour acheter une affaire plus importante.
- Et à quel prix comptez-vous vendre ?
- Six cent mille francs, car je vais moderniser mon hôtel. Je viens même de signer un devis d'installation du chauffage central pour quarante mille francs.
   Et le comptable, abasourdi, songea qu'il eut été très gêné de ne pouvoir payer son hôtelier ponctuellement, de peur de le mettre ainsi dans l'embarras...
  Les temps ont bien changé. L'industrie hôtelière se meurt sous les effets de la crise, sous les charges chaque jours plus lourdes. Mais les Auvergnats tiennent bon.
   Que faire d'autre ? Ils savent que l'avenir est à Dieu, indulgent à ceux qui peinent, et ils espèrent que reviendront les beaux jours.

Sources :  Les Auvergnats de Paris, L'Auvergne Littéraire et Artistique  ©  Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire  au bas des articles ou sur les réseaux sociaux.. Merci de votre visite et à bientôt. 

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