Les folles histoires de la Ménétou (tirées du folklore Cantalien)

 Ménétou.

CPA Cantalienne en tenue


   Cette chanson évoque pour moi le souvenir d'une vieille Menette, petite, ratatinée, qu'on avait surnommée "Ménétou" (petite Menette). Sous sa guimpe grise, ses yeux noirs, vifs, pétillants, éclairaient d'un sourire avenant sa figure ridée comme une pomme cuite, égayée d'un nez "rébika", retroussé, effronté, rouge, rutilant. Lorsque j'étais enfant, j'allais souvent veiller chez elle, pendant les longues soirées d'hiver, pour écouter ses vieux contes intéressants, ses histoires terrifiantes de sorcellerie, du sabbat, du "Dra" malicieux, qui lui avait joué un vilain tour...
   Ah ! Ce méchant diablotin, quelle mauvaise farce il lui avait faite ! Elle était alors jeune fille et travaillait à la journée, avec une autre ouvrière, au Castel de Faussanges (ndlr Saint-Cernin). Elles étaient seules, dans une chambre, assises près de la fenêtre, les pieds sur un chauffe-pieds, elles raccommodaient de vieilles culottes en devisant gaiement... Soudain, elles entendirent des rires stridents et ironiques... sortir du chauffe-pieds... Effrayées, elles n'osaient fuir, appeler, saisie de la peur du diable. Car, c'était bien un diable de l'enfer...le "Dra" malicieux, elles le reconnaissaient à son rire strident et à ses propos effrontés, qui se cachait dans leur chauffe-pieds et leur disait des bêtises, en les accompagnant de grands éclats de rires, Mon Dieu, qu'allait-il leur arriver ?
    Elles se gardaient bien de répondre à ses plaisanteries. Leurs doigts tremblants n'avaient pas la force de tirer l'aiguille, elles n'osaient lever la tête, se regarder, se demandant ce que leur voulait cet esprit malin ? Quelle diablerie leur ferait cet espiègle gnome ? Lorsqu'elles sentirent une vive chaleur entre leurs jambes... Le "Dra" malicieux leur avait mis le feu au 'pantuel" au pan de la chemise !
"-Oquel bougrré dé diaplotou nous foguel rofia lou parpollioau !"
   Ce bougre de diablotin nous fit roussir le papillon ! Disait la Menette scandalisée, 
Vous pensez si les jeunes ouvrières sautèrent sur leur chaise ! Et la vielle Menette sautait encore, en racontant cette plaisante histoire, comme si elle avait le feu au papillon !

Le Diable :

    Et le Diable ! Figurez-vous que cette Menette avait dansé avec le Diable ! Qu'elle l'avait vu "cornu et barbu comme un bouc offrou" (1) !
   C'était au mariage du fils du "Couarou", du propriétaire, de Lavergne. Avec les filles et les gars des environs, elle était allée, suivant la coutume, à la "vesprade" soirée de noce; Il y vint aussi un beau cavalier, élégant, que personne ne connaissait. Il dansait si bien, lançait des œillades si amoureuses, savait si agréablement chanter fleurette, que toutes les filles voulaient danser avec lui, les hommes bisquaient, les femmes en raffolaient. Comme les autres, et peut-être plus que les autres, elle avait écouté les propos galants de ce beau cavalier, s'était laissée séduire par ses caresses.
   Au matin, elle valsait encore avec lui, amoureusement appuyée sur la poitrine de son valseur, voluptueusement bercée au rythme de la valse. Lorsque, brusquement, aux premières lueurs de l'aube, au premier chant du coq, son beau cavalier se changea subitement en un bouc cornu et barbu offrou ! Qui vomissait des flammes par le nez, par la bouche, et qui essayait de l'emporter ! Elle tomba, évanouie, tandis que tous les invités se sauvaient épouvantés !
   Avoir dansé ! Flirté avec le Diable ! Quelle honte, quelle horreur ! S'écriait la Menette blême et frémissante de frayeur, les yeux exorbités de terreur, comme si elle voyait encore le Diable "cornu et barbu comme un bouc offrou" 
   Après de telles aventures, aussi émouvantes, si terrifiantes, il n'était pas douteux que le Diable voulait l'enlever, l'emporter vivante au fond de l'enfer. Pour lui échapper, elle prit conseil du curé, et résolu de renoncer au monde, à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, de se réfugier dans le tiers-ordre. Sous la guimpe grise et la triple protection du crucifix, qu'elle portait toujours dans son "Babarel" (2),  de son chapelet, et du cordon de Saint-François, qui faisait sept fois le tour de ses reins, elle ne craignait plus le Diable, il ne pouvait plus l'enlever.
   Depuis, elle vivait tranquille dans son "oustoulou" (3), cultivait son hort, entendait régulièrement la messe tous les matins, suivait dévotement tous les offices. A force de fréquenter les curés, d'entendre chanter la messe, vêpres et complies, elle avait appris quelques bribes de latin qu'elle débitait à tous propos. Pour pénitence de ses fredaines de jeunesse, elle ne manquait pas de réciter, tous les soirs avant de se coucher, deux chapelets, l'un pour les vivants, l'autre pour les âmes du purgatoire. Quand aux damnés de l'enfer, ce n'est pas la peine de perdre son temps à prier pour eux, disait-elle. Ces réprouvés n'ont pas besoin de prières. Ils sont damnés pour l'éternité... Requieçant in pace !
   Lorsque je veillais chez elle, elle ne consentait à me raconter une histoire qu'à la condition que je l'aiderais ensuite à réciter les deux rosaires. Je répondrais au chapelet. La pénitence était un peu longue pour un enfant de dix ans, mais, pour entendre des histoires aussi intéressantes... Je savais aussi que la Menette s'endormirait sur son fauteuil, avant la fin des deux chapelets, et que je pourrais m'esquiver doucement, la laisser vider à son aise son "Pégaou", sa cruche de vin !

Le pégaou :

   Ah ! Le "pégaou" de la Menette ! Il était connu dans toute la région, inséparable de la vision de la Ménétou. Ménétou sans son "pégaou", c'était un corps sans âme. C'est que la brave fille avait un petit défaut, elle aimait "à lever le coude ", à boire un bon coup, elle vidait à merveille le gobelet, aussi facilement qu'elle dévidait les grains du rosaire.
   Elle chérissait presque autant, Dieu lui pardonne, son "pégaou" c'est à dire le contenu, le jus de la vigne, que le Seigneur. Elle tenait toujours au frais à "l'iyeiro" (4) un tonnelet d'une baste, qu'elle "tâstait", goutait fréquemment, et n'oubliais pas de renouveler. Avant de me conter un conte, elle ne manquait pas d'aller remplir au tonnelet, son petit "pégaou" jaune, poli, bronzé par l'usage, cerclé de fil de "régiaou" de fer. Elle s'asseyait au coin du feu sur un vieux fauteuil de paille, recouvert d'un "coussi" plaçait le "pégaiou" près d'elle, sur la table, à coté d'un grand verre bleu, en forme de tulipe, précieux souvenirs du défunt curé Chaumeil, qui le lui avait donné.  De temps en temps, elle interrompait sa narration et n'oubliait pas de s'arrêter à chaque Gloria du chapelet, pour boire un coup...Il fallait voir Ménétou soulever onctueusement le "pégaiou", verser le vin lentement et le faire mousser dans le verre, le visage épanoui d'un sourire réjoui écouter les joyeux glouglous de la liqueur de Bacchus, saisir le verre, l'élever disant :
"Ti bi Ménéto ! Pour toi Menette ! 
   Savourer le jus de la vigne par petites gorgées, avec des clignements d'yeux expressifs, en faisant claquer sa langue, et poser le verre vide sur la table en ajoutant : " Deo gratias "
Surpris, étonné... je répondais : "Amen" !
   Au troisième ou quatrième Gloria, la Menette était plus "escarbillée" (5) plus expéditive, elle récitait rapidement les "Ave", en caressant du regard de ses yeux escarbillés, son "pégaou", dévidait lestement des dizaines, parfois elle sautait même des grains du chapelet,
   Dieu lui pardonne ! Pour arriver plus vite au "Gloria" saisissait fébrilement le "Pegaou" remplissait son verre débordant, et sans le savourer le vidait d'un trait, en esquissant quelques pas de bourrée, en chantant :

Lo bouolé lo Moriano,
Lo bouolé may l'ouraï
L'onoraï you quéré
Lo menoraï !
Malgré soun Payré
L'espousoraï !


Je la veux la Marianne,
Je la veux, je l'aurai.
J'irai la chercher,
Je l'emmènerai !
Malgré son père
Je l'épouserai !

   Après le sixième ou le septième Gloria, la Menette "s'espandissait" sur son fauteuil, écartait les jambes, allongeait ses pieds sur les landiers "s'esparpaillait" à la chaleur du feu, elle rapprochait son "pégaou", le soupesait pour se rendre compte de la quantité de vin qu'il restait encore, le prenait sur ses genoux, le caressait, le serrait dans ses bras, le berçait sur sa poitrine, comme un poupon, au rythme des Avé, coulant vers son cher "pégaou" des regards langoureux, parfois larmoyants, tandis que son débit devenait de plus en plus lent, sa bouche pâteuse marmottait les Avé, en les espaçant de longs bâillements. Mais elle se redressait au Gloria, élevait le "pegaou" de toute la longueur de ses bras, debout, la tête renversée en arrière, elle ouvrait une large bouche, et buvait à la régalade, en laissant couler librement le "pégaou"...
   Ebahi, je regardais couler le vin avec de joyeux glouglous dans le gosier de la Menette, sans altérer son sourire réjoui, en pensant, quel "garganelle", quel gosier ! quel "tréjidou", qu'elle descente, quel "engoulème" quel avaloir. J'en oubliais de répondre au "Deo gratias" que marmonnait la Menette en bousculant sur la table l'incassable "pégaou".
   -Eh bien petit tu dors ? 
Disait la Menette en trébuchant dans son fauteuil. 
-Tu ne réponds pas : Amen ? Amen, cela veut dire ainsi soit il, que le Bon Dieu me fasse la grâce d'en boire autant, pendant longtemps !
   Et le Bon Dieu fit la grâce à la Menette d'en boire autant, pendant plusieurs années encore. Mais, un matin, les voisins trouvèrent Ménétou morte sur son fauteuil, serrant dans ces mains crispées son "pégaou" vide, qu'elle avait trop bien vidé.


1) Offrou : en patois Cantalien, Affreux.
2) Babarel : les anciennes robes à Babarel avaient une armature de corset, genre de vertugale ou vertugarde cousue à l'étoffe de la robe et du corsage largement ouvert et évasé à la hauteur des seins, formant avec la poitrine un nid, où brillaient, entre les dentelles de la bavette et la soie éclatante du grand mouchoir d'épaule, les bijoux Auvergnats : Croix, cœurs et Saint-Esprit pendu au cou par de longues chaines d'or.
3) Oustoulou : petite maison en patois. 
4) Iyeiro : réduit vouté contigu à la cuisine, où l'on place les "forrats", les "cuivrines", et qui sert à la fois d'évier, de cave, et de garde-manger.
5) Escarbillée : j'ai francisé quelques mots Patois qui n'ont pas de synonymes en français. Voici leur signification : escarbillé, veut dire gai, pétulant, escargaillé veut dire écarquillé, vif, pétulant, espandissait veut dire s'allongeait, se prélassait, s'esparpaillait : exprime les mouvements de la poule dans le sable, écarte les plumes, allonge ses ailes aux chauds rayons du soleil.

Source : Texte extrait de : Chants Populaires d'Auvergne, Folklore Cantalien, par Fernand Delzangles,1910 ©  Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner aux publications du blog, au bas des articles. Merci de votre visite et à bientôt. 


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