Souvenirs d'Auvergne.

Souvenirs d'Auvergne, de Jean Bouchary.

CPA Allagnon
La Vallée de l'Allagnon.


 L'Allagnon

   Rivière, j'ai pour toi un grand amour. Quand je viens chaque année passer un mois dans mon village, c'est toi que j'admire la première. Je t'aperçois bien avant les toits du bourg. Tu coules, souple, aux pieds des montagnes, tu chantes et les Martins-pêcheurs se plongent dans ton eau avec joie.
   J'aime les gués, les pilières qui barrent ton cours, tes gouffres, tes cascades que les truites remontent en se riant et quand l'onde est lente et limpide, je vois des paillettes d'or qui brillent dans ton lit.
   Tous les arbres poussent le long de tes rives, petit torrent d'Auvergne, le bouleau, le peuplier, le frêne, le vergne, parfois des coudriers ou des saules qui trempent dans ton onde leurs longues branches.
   Ainsi, tu traverses prés, villages et forêts, l'hiver gonfle ton flot, le fait jaunâtre, le printemps le verdit, l'été le rend plus clair et l'automne, le vieil automne, ami de Bacchus, te jette par poignées du haut des collines des feuilles couleur ambre ou rougies par le jus des grappes.

La Bourrée

CPA la bourrée auvergnate
La Bourrée Auvergnate.


   C'est la fête au village, avec entrain on danse la Bourrée. Les fils se sont souvenus des coutumes des pères, les filles ont mis la coiffure du pays.
   Le Cabrettaïre est assis sur une chaise grimpée sur une table, il souffle avec joie pour faire tourner ce joli monde. Dansez les filles avec les gars aux doux accents de la cabrette. Les couples se forment aux grès des préférences. On présente les dames, les mouvements s'exécutent un peu lents d'abords, puis vifs quand la danse et en train... c'est fini.
   Le Cabrettaïre se repose. Il tient entre ses doigts rugueux, durcis par le travail, un verre de vin et s'amuse à faire jouer dans le cristal les rayons du soleil. Oh ! la jolie teinte que prend le jus vermeil.
   Les filles se promènent, tout le monde cause. On a décoré la place avec des guirlandes de papiers rose, bleu et vert.
   Et la danse continuera jusqu'au soir et toujours après chaque Bourrée, le Cabrettaïre lèvera son verre à la santé de la compagnie.

L'Espignatel

CPA Molompize, Cantal
L'Allagnon à Molompize, Cantal.


   C'est un bois de sapin surmontant un coteau, le plus beau bois du village. Le soleil glisse entre chaque arbre et l'on se croirait dans un temple, c'est celui de la nature. Le matin je me lève de bonne heure et je vais m'y reposer en lisant Virgile.
   Le village est encore endormi quand je le traverse, je passe par Bégoule et lentement je monte par un sentier pierreux vers l'Espignatel. Quelle beauté, quelle fraîcheur.
   Après maints détours, me voici dans le bois, je lis doucement. Oui, c'est bien là qu'il faut lire le grand Virgile, dans le cadre délicieux de cette forêt, dans cette matinée de printemps où s'exhale de la terre une buée odorante. Les oiseaux sifflent dans les palmes des sapins, le sol de la forêt est tapissé de mousse, d'aiguilles de pins qui font glisser dans la marche.
    Le chemin disparaît bientôt, je vais doucement, parfois une fleur distrait mon attention, une petite fraise des bois à la joue rouge se cachant dans les feuilles vertes et jaunes attire mon regard, et quand j'ai assez lu, je m'étends sur le tapis de mousse, regardant le ciel bleu où de légers nuages filent...

Le soir à la ferme
Repas du soir à la ferme Auvergnate.

   Nous sommes rentrés ce soir dévalant la colline. Les derniers rayons du soleil tentaient de pourpre et d'or les feuillages. On entendait au loin des croassements des corbeaux. Nous avons rencontré d'autres paysans pareils à nous qui revenaient au village.
   Maintenant, la porte est close, les volets sont fermés, tout est silencieux par les rues. La lune se lève au-dessus du bois de la Croix, il se fait tard.
   Nous avons mangé la soupe aux choux avec le traditionnel morceau de lard. Elle sentait bon quand la fermière l'a posée sur la table et quand l'un d'entre nous a soulevé le couvercle, une chaude buée parfumée a empli la pièce. Mais à cette heure, la table est nette, le feu pétille, les brassées de sarment se tordent comme des bras, les genêts flambent. La porte est close et le vent siffle dans les rues.
   Il est tard. L'horloge dans un coin de la salle bat, rythmant le cœur du monde, la grand-mère s'est assoupie et rêve, le chien grogne dehors et tire sur sa chaîne, le chat près des tisons sommeille, les griffes rentrées dans ses gaines de velours.
   Il faut éplucher les châtaignes, c'est le travail du soir. Elles tombent dans un joli panier en osier, c'est pour le déjeuner du matin avec les crêpes de blé noir...
   Oh la douce intimité, heures charmantes, le chat d'étire et bâille, laissant voir une langue rose et de fines dents.
   La vieille horloge en noyer sonne dix coups. Le silence règne en la demeure, on entend que la respiration régulière de l'aïeule qui se mêle au bruit ténu de chaque seconde.

Jean Bouchary

Sources :  Texte de Jean Bouchary dans Floréal 1923, (magazine universel de la famille) ©  Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner aux publications du blog, au bas des articles. Merci de votre visite et à bientôt. 

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