Vieux temps.
J'étais sauvage !
Ah ! Il y en a aujourd'hui qui sont trop faciles, trop douces. De mon temps on était plus sévère : celui qui tient à vous revient. Un bon s'en va, un meilleur se prépare, marche !
Je n'avais que dix-sept ans quand mon pauvre père mourut. Il fallait bien que je me "donne train". L'argent ne venait pas comme maintenant à tire larigot. J'allais aux foires avec le bouvier. Ah ! Je savais bien me garder, il ne se risquait pas à me manquer de respect.
Pauvre ! Celui qui m'aurait dit une parole déplacée, je lui aurais jeté mon sabot à la figure. Je n'étais pas bâtie de pâte molle comme les femmes d'aujourd'hui. Messieurs de Dieu ! Si quelque chose me contrariait, tout mon sang me portait.
Si vous saviez ce que j'ai fait un jour ! Nous avions "Pierrette" pour bouvier (j'ai connu Pierrette depuis : il venait à la maison et cassait des noisettes sous son pouce) Pierrette avait des idées sur moi, mais je ne voulais pas de lui, tenez !
-Parce qu'il n'était que domestique !
- Oh non. D'ailleurs, il avait bien de l'argent. Six mille de placés. Figurez-vous qu'il voulait me les donner "
-" Mais vous seriez bien heureuse, me disait-il. Si vous saviez combien je vous aime ! Jamais personne ne vous aimera autant que moi "
Je n'ai pas besoin d'aimer Pierrette, je m'aimerai bien toute seule. Les amitiés ne font pas les affaires.
- Le pauvre homme ! Et vous n'aviez pas pitié de lui ?
- Je m'en moquais bien. Je ne le rendais pas malheureux. Je lui faisais bien son droit. Qu'est-ce qu'il voulait de plus ?
- Mais qu'est-ce que vous avez fait une fois, grand'mère ?
- On fanait. J'étais sur le char. Quand il a fallu que je descende, Pierrette est venu me tendre les bras.
- Pas de ça !
Il m'avait assez agacée en me donnant le foin.
Je lui dis :
-Otez-vous de là, Pierrette, ou je vous marquerai, aussi vrai que je m'appelle Eugénie.
- Oh ! Vous n'êtes pas si méchante ...Laissez moi vous descendre ?
Il me tenait les bras. Je ne fais ni une, ni deux, je lui lance ma galoche. Aussitôt le coup, aussitôt le sang.
- Je vous l'avais bien dit, Pierrette.
Et même il ne se fâcha point.
- Et puis, grand'mère ?
- Et puis, tiens, marche Pierrette !
Il y en avait bien d'autres qui venaient me voir. Il y avait un gendarme. Il entrait, il demandait Melle Eugénie. J'étais un jour à l'étable et j'entendis que ma pauvre mère le lui disait : Ah ! Pauvre. Comme si je voulais me marier avec un gendarme ! Je me dis : "tu va te cacher dans une crèche", puis je pensai : " s'il t'y trouvait, tu aurais bien trop honte ".
Je me sauvai à la grange et puis dehors... et je ne le vis pas cette fois.
Un autre jour, j'étais allé à la foire du 15 mai à C......J'y avais conduit un porc, que je n'avais pas vendu.
Mais ce jour-là, c'était compliqué. Le matin, j'avais rencontré Jean Palou et il m'avait dit qu'il m'attendrait pour repartir. Nous avions convenu de nous retrouver devant l'épicerie de la Miettoune Vigier, tu sais bien, celle qui avait pris Vigier Campot. Elle était sorti de Riom. Ah ! Mais tu ne l'a pas connue, c'est ta mère. Mon Dieu, comme on devient !
Je quittais le foirail en menant le porc, mais voilà que je trouve Guillaume. Il m'a dit qu'il m'accompagnerait. Je ne voulais pas, vous pensez-bien (nous étions juste devant le café de la Poste)
-Si ! Si ! Je veux venir. Vous ne m'empêcherez pas de faire chemin avec vous ?
Il avait pris la corde et menait le porc.
- Oh ! Faites comme vous voudrez. Il y a de la place pour deux sur la route.
Mais à cinquante pas de là (devant chez la Miettoune) nous trouvons Jean Palou, il se croyait des droits. Il a voulu les montrer en prenant la corde pour lui. Alors Guillaume, mon pauvre mari, vous comprenez dit qu'il était capable de mener un porc quand il l'avait pris et qu'il le mènerait tout seul.
J'aurais voulu que la terre m'engloutît, tant j'étais peu à mon aise. S'ils s'étaient battus !
-Et après ?
-Après, ma foi, après, Palou est parti chez lui en arrivant à M.....
- Il avait perdu ?
- Bah ! Celui-là ou un autre, ça m'était bien égal. On m'aurait dit " tu va prendre Palou, le Gendarme, Dalmassou, Guillaume, qu'est-ce que ça pouvait me faire ?"
- Et s' il y en avait eu un que vous aviez aimé ?
- J'aimerais un homme qui ne soit pas mon mari ! Ah ! qu'est-ce qu'ils m'étaient pour que je les aime ?
C'est comme une fois avant notre mariage : quinze jours avant, peut-être, mon mari était venu m'accompagner, mais il ne voulait pas finir d'arriver à la maison parce qu'il avait trop de chemin à faire pour repartir. Au ruisseau, il me demanda de l'embrasser. Il a été rebiffé d'importance. Je te tournais les talons et sans regarder derrière moi.
Ah ! Pauvre. je n'aurais pas voulu lui laisser comprendre que j'avais envie de le regarder :
-"Je ne me retournerai pas ! "
Mais quand le chemin fait un coude, en regardant sur le côté, je le vis au même endroit. Eh bien ! Restez-y toute la nuit. Je pensais bien :
-" Pourtant, tu as bien été trop mal élevée de partir comme une sauvage, sans lui dire au revoir "
Ah Bah : tant pis pour lui !
Mais j'étais enfant tout de même. Mon pauvre homme me l'a assez dit. Enfin ! Aujourd'hui on ne l'est pas trop, non, et il y en a plus d'une qui ne sait pas traverser cette montagne de jeunesse.
M.- A. Méraville (1)
-1) Marie-Aimée Méraville : auvergnate du Cantal, institutrice, écrivaine, 1902-1963.
Sources :Texte de Marie-Aimée Méraville © Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner au bas des articles. Merci de votre visite et à bientôt.
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