Le réveillon de Pierre Ruvidan, conte de Noël, par Henry Franz.

   Le réveillon de Noël.

Noël
Noël. 


 Non, jamais il n'y eut, de mémoire des anciens, plus joyeux réveillon, dans la grange de la mère Mariette, que celui de Noël 1945.

   Attenante à l'habitation, vaste, propre, elle a été transformée prestement, tout le monde s'y étant mis, en la plus magnifique des salles à manger. Des branches de verdure : sapins, lierre, houx, parent les murs, s'entrelacent en guirlandes au-dessous des poutrelles soigneusement débarrassées de leurs toiles d'araignée. Et la vaste table dressée au milieu, des planches sur des tréteaux avec un drap bien blanc en guise de nappe, offre le plus

appétissant aspect.

   Les restrictions ? Oubliées, finies, du moins ce jour-là : tout le hameau va festoyer, d'abord pour célébrer le retour au complet des chers rapatriés, car ils sont revenus tous les onze ! Puis en l'honneur de la divine naissance. Déjà, avant le départ pour l'église, ils ont chanté maints vieux Noël à la veillée, devant la crèche illuminée et fleurie si bien arrangée en un angle de la grange. C'est le berceau du dernier nourrisson de la mère Mariette, garni de paille, qui a reçu le gros poupon de celluloïd représentant l'enfant Jésus. Et quant aux bœufs, à l'âne, aux moutons, aux bergers, ils ont été découpés dans bois ou carton par le couteau ingénieux et patient des onze rescapés, qu'un tel labeur emplissait de joie.

   Combien seront-ils maintenant, à ce retour de la messe de minuit, où ils ont chanté et prié d'une seule âme reconnaissante ? Mariette, dès l'entrée, les renseigne:

   -" Seulement trente-sept, Pierre n'est pas revenu. "

   Un ah ! Unanime de désappointement. Ce grand Pierre Ruvidan, le valet de la ferme du maire, qu'est-ce qui lui a pris, alors qu'il était le plus ardent aux préparations de la fête, de s'en aller comme ça il y a quatre jours jours, sans même dire où ?

   Les suppositions se croisent : 

   - " C'est juste après que le facteur lui a apporté une lettre."

   - " Oui, même qu'il a fait une drôle de figure et qu'il a tout planté là pour courir prendre l'autobus de Besse."

   -" Dis donc, monsieur le maire, il ne t'a rien expliqué ? Et tu l'as laissé filer sans chercher à savoir? "

   A l'interrogation de son copain Bonnafous, le maire Thomas, un soldat de l'autre guerre, hausse les épaules :

   -" Tu crois que j'étais là pour l'attendre. Je faisais des labours au champ du communal. Quand je suis rentré, j'ai trouvé dans la cuisine ce mot au crayon :

   -"Obligé de partir pour affaire urgente, excuses et à bientôt."

   Devant l'impossibilité de savoir, il faut bien que les curiosités se calment. D'ailleurs à présent, c'est le joyeux brouhaha de l'installation autour de la table, où les fringales vont pouvoir se sustenter.

   - " Hein, mon vieux !"  Lance Julien Sauvat à son voisin Rémy qui fut au stalag VII B son compagnon d'infortune, dommage que nous n'ayons pas eu ça pour nous caler les joues chez les Boches. N'est-ce pas Sylvie ?

   L'interpellée, la sœur de Rémy, visiblement très loin de la réunion joyeuse, ne répond pas et les plaisanteries se croisent :

   - "C'est le grand Pierre qui a emporté ta langue?"

   -  "Faut te faire une raison, ma fille, puisqu'il a promis de revenir bientôt..."

   -  "Alors on lui fera la commission pour toi, puisque tu as l'air de ne pas oser lui dire..."

   Rougissante, revenue à la réalité, Sylvie tente de protester, mais sans succès. Et le réveillon se poursuit, au milieu des rires.

   Soudain un coup à la porte, une entrée brusque saluée d'une clameur : 

   - "Enfin : le lâcheur !"

   Pierre Ruvidan est là, très emmitouflé dans un grand manteau, lui si peu frileux d'ordinaire et un vilain petit chien, entré derrière lui, se colle à ses talons craignant visiblement une rebuffade. Tous se sont levés, l'entourent, étonnés, questionnent :

   - "Qu'est-ce que c'est que cette sale bête ?"

   - C'est ça peut-être que tu es allé chercher ?

   Du geste il les fait taire. Il veut sourire et ce sourire tremble. Il rejette en arrière son manteau :

   - "Il a quinze jours, il s'appellera Noël, dit-il simplement."

   Indifférent aux airs ironiques aux mines ébahies, il se tourne vers la mère Mariette et lui tend un bébé !

   - "J'ai pensé, puisque vous avez toujours des nourrissons, que vous pourriez prendre celui-là. Avec vous il sera bien et vous savez, je me charge de tous les frais, vous pouvez être tranquille."

   Alors seulement, il surprend certains clins d'yeux, devine certaines allusions et dit, très grave :

   - "C'est le petit à la Marie-Rose. La mère est morte avant-hier à l'hôpital d'Issoire."

   Tous se regardent, surpris : Marie-Rose, si légère et si jolie, cette fille que Pierre projetait d'épouser jadis et qui, pendant la guerre, était devenue par sa conduite la honte du village et avait dû, il y a quelque mois, le quitter, son état faisant scandale.

   La mère Mariette proteste, indignée : 

   - "Et tu veux que je m'embarrasse de ça ! Que ces peut-être la pire des canailles qui en est le père et que la mère, elle a joliment bien fait de mourir, a été la dernière des trainées ? C'est donc que tu en tenais toujours pour elle ?"

   Sans s'émouvoir, il fait un signe de dénégation, et doucement, hésitant parfois à exposer toute sa pensée, il laisse tomber les phrases pitoyables dans le grand silence qui vient de se faire :

   - "Comprenez-moi. J'étais là-bas, je n'ai pas vu mourir ma mère, mais c'était une sainte, vous le savez. Si elle était encore là, elle m'aurait engagé à agir ainsi que je l'ai fait. Non, je n'aime plus Marie-Rose, mais je la plains, la pauvre n'a pas eu de mère pour la garder du mal puisqu'elle était de l'Assistance. Elle m'a écrit l'autre jour, voici ce que disait la lettre :

   - Pierre, je sais que je vais mourir. Je voudrais te voir pour que tu me pardonnes et être sûre que le Bon Dieu me pardonnera "

   "Alors, je suis parti. Elle a su que je ne lui en voulais pas et je lui est promis de m'occuper de son petit, d'en faire un bon Français et un bon chrétien. M. l'aumônier de l'hôpital m'a approuvé, à qui j'ai demandé conseil, de vouloir adopter et aimer cet abandonné, il est innocent, lui. J'ai dit qu'il s'appellerait Noël, j'aurais dû ajouter : Noël Ruvidan."

   Bonne femme, se retenant de pleurer d'attendrissement, la mère Mariette, en femme experte, donne au bébé les premiers soins, le tourne et le retourne pour le langer, le fait boire. Tous sont émus.

   Ils ont oublié les alléchantes promesses du réveillon, ils entourent leur camarde, le félicitent; Une boutade de Rémy détend la situation : il lance une bourrade amicale au grand Pierre en disant :

   -"Sacré Ruvidan, il est pressé d'être en famille. Et ce pauvre mioche aura au moins le plus beau papa du village !"

   On rit, mais Sylvie, doucement, s'est avancée, confuse, sentant que son audace est en ce moment nécessaire. Elle touche le bras de Pierre, il la regarde et elle murmure :

  - "Et quand tu voudras, Pierre, il aura aussi une maman."

   Ebloui du bonheur qu'il entrevoit, le grand gars serre dans ses mains robustes la menotte de la fillette. Et c'est un ban enthousiaste qui salue cette annonce de fiançailles.

   Devant la crèche, sur la paille retirée du berceau, le petit chien s'est couché. Dans le berceau la mère Mariette vient de déposer l'enfant, à la place du poupon de celluloïd :

   -" C'est bien mieux, tout de même, un Jésus vivant, murmure la bonne femme, déjà maternelle, au nouveau-né."

   Tous approuvent, un grand souffle de bonté passe sur la réunion. Puis la gaîté reprend ses droits, Rémy entraine Ruvidan vers la table du réveillon où tous se réinstallent, tandis que Julien Sauvat clame :

   -" Camarade, la séance continue : notre ami Ruvidan a besoin de prendre des forces pour élever son ainé, et tous, au dessert, nous allons trinquer à ses fiançailles."


Henry Franz.

CPA Noël
Noël.


   Sources :  © Article et illustrations Regards et Vie d'Auvergne, d'après un texte de Henry Franz, un auteur Auvergnat énigmatique, puisque sous ce nom se cachait une femme.

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