Tribunal révolutionnaire d'Auvergne.


La Ganse blanche à saint-Anthème.

Mathevon

27 prairial an VI (15 juin 1798)

   Mathieu-Marguerite Chapot, dit la Plume, né le 26 juillet 1770 de Me Pierre Chapot, chirurgien, et de demoiselle Marie Couchet, officier de santé à saint-Anthème, district d'Ambert.
   Est prévenu d'avoir fait partie d'un rassemblement politique d'égorgeurs ou d'assommeurs et d'avoir tenté d’assassiner un Mathevon (1) ou patriote de Montbrison.

   Rééditer les indignations posthumes contre les infamies de la Justice politique serait chose superflue, mais signaler les inconséquences, les incohérences et les surprises de la Justice sans qualificatif, ne laisse pas que d'offrir à l'esprit du moraliste un sujet d'étude utile et instructif.

   Dans le courant de l'an III, la jeunesse royaliste de saint-Anthème arborait au chapeau, en signe de ralliement, la ganse blanche pareille à
celle que les gendarmes et la cavalerie portent en brandebourgs sur la poitrine. Elle avait fait, paraît-il, assez consciencieusement la chasse aux patriotes Foréziens, anciens pourvoyeurs des prisons et de la guillotine.
   En l'an VI, les Mathevons, ayant repris le dessus, poursuivirent par tous les moyens en leur pouvoir les Ganses Blanches de l'an III.
   Le 16 frimaire en VI, Chapot se trouvait à Montbrison. La gendarmerie l'arrête sous prétexte qu'on le soupçonne de vouloir se soustraire à la réquisition militaire. De plus, son nom figure sur un état des égorgeurs de Lyon dressé par le Ministre de la police générale. On l'expédie sous bonne escorte à Lyon, où on l'incarcère dans la prison dite de Roanne.
   Là, on s'aperçoit que Chapot est muni d'un certificat régulier d'exemption définitive de service militaire, en qualité d'officier de santé, délivré le 7 fructidor an II et vérifié le 27 brumaire an VI. De plus, il devient constant que Mathieu Chapot n'est pas la même que le sieur Chapot fils, porté sur le rapport de police.
   Raymond Perret, juge de paix de l'arrondissement de la Raison, canton de Lyon, est assez embarrassé. Mais voici qu'un nommé Jean Defont, marchand fripier à Montbrison, déclare qu'en l'an III il a failli être assassiné par le prévenu. Ecoutez plutôt :
  A la fin de germinal 1795, il avait quitté Montbrison pour échapper aux " assommages " et s'était réfugié au désert. Mais, frappé d'une maladie du péritoine, il cru devoir gagner Pont-sur-Ance, ci-devant saint-Anthème, avec sa femme, pour faire appel aux secours de la médecine. Le chirurgien le fit placer au secret à l'auberge Duguet. Un matin, il vit paraître à son chevet Chapot, accompagné d'un prêtre, qui l'engagea à se confesser. Chapot disait :
" Il faut le faire enchaîner, car je le reconnais pour un Mathevon "
Le prêtre répondait :
" Demain seulement, car je ne crois pas qu'il passe la nuit "
 Quoiqu'ayant la mort entre les dents, Defont était parti à onze heures du soir avec sa femme, pour échapper au triste sort qu'on lui préparait, et vécut durant dix-huit jours dans une cabane où, n'étant pas soigné par aucun médecin, il finit par se guérir.
   Plus tard, un jour de foire, il revint encore à saint-Anthème, mais à peine avait-il étalé sa marchandise, qu'il vit venir à lui Chapot la Plume, qui lui asséna un coup de trique et voulut l'abattre à coups de pistolet. La pauvre victime ne fut sauvée que par miracle...
   Voilà donc une nouvelle piste qui permettra à la Justice de na plus lâcher son prisonnier.
   La procédure est envoyée à Ambert, l'accusé aussi. Il est écroué le 5 nivôse. J-B Tournaire, directeur du jury, reprend l'information et réunit un nombre considérable de témoignages. Cependant aucune déclaration ne vient corroborer les dires du sieur Defont. Les témoins reconnaissent bien que Chapot avait des opinions contraires à celles des patriotes, mais la municipalité elle-même proteste dans un certificat contre la prétendue agression dénoncée. Plusieurs personnes affirment en outre qu'elles doivent la vie à la sauvegarde que Chapot leur a prêtée à l'époque des troubles.
  Néanmoins le jury d'accusation déclare qu'il y a lieu de traduire devant le Tribunal criminel l'accusé qui est, en conséquence, transféré à Riom le 7 pluviôse. C'était le quatrième pèlerinage qu'on lui faisait accomplir en moins de quatre mois. Il commençait à trouver que c'était beaucoup.
   Or voilà-t-il pas que le Tribunal criminel s'avise de trouver que l'on a mal procédé. On a oublié, dans le mandat d'arrêt, de viser l'article 70 de la loi du 3 brumaire, or, du moment que l'article 70 n'a pas été visé, rien n'est régulier. Le Tribunal annule donc par un jugement du 15 pluviôse an VI et ordonne que tout sera recommencé.
   On recommence sous la direction du citoyen juge Jean-Gaspard Mioche.
   Mais le prévenu, dont la patience était à bout, fausse compagnie au geôlier de la prison de Riom et prends la clef des champs. Ce n'était heureusement pas très compliqué à cette époque, et une sage retraite à un moment opportun s'opérait sans de trop insurmontables difficultés.
   Dès que l'accusé fut en fuite, l'affaire changea de tournure et un quatrième avatar se produisit dans la procédure.
   Cette fois c'était un nommé Claude Boharde, officier de santé à Moingt, qui avait été saisi à saint-Amant-Roche-Savine par une bande de quarante Ganses blanches commandées par Chapot la Plume, ligoté avec une longe de cheval et exposé à perdre la vie.

   Le 27 prairial an VI, le jury déclara solennellement que le sieur Mathieu Chapot n'était nullement convaincu d'avoir attenté à la vie du sieur Defont, mais qu'il était convaincu d'avoir fait partie d'un rassemblement d'égorgeurs qui avaient tenté d'assassiner Claude Boharde.
   En conséquence, Chapot fut condamné à la peine de mort.
Siégeaient : Prévost, président.
                    Pellet, Murol, Chapsal et Jaladon, juges.

   C'était, avec Bernard le Major, le second officier de santé de l'arrondissement d'Ambert condamné à mort le même jour.
   L'exécuteur en fut pour un poteau exposé sur la place publique.

Mais tout n'était pas dit.
   Quatre ans plus tard, la situation politique s'était un peu améliorée. Le 30 germinal an X ( 20 avril 1802 ), Mathieu Chapot se représenta à Riom devant ses juges pour purger sa contumace, et une nouvelle information eut lieu.
   Cette fois le jury déclara, non moins solennellement qu'en l'an VI, qu'il n'était nullement constant qu'un rassemblement politique eût existé à saint Anthème, que Claude Boharde avait été arrêté par des hussards de Moulins et que l'on avait jamais attenté à sa vie.
   Dès lors, Mathieu Chapot fut acquitté.

Et nunc erudimini ! ( et maintenant soyez instruits ) Que d'autres plus habiles que moi tirent la moralité des décisions de la Justice humaine.


1) Mathevons : ou Chaliers, c'était un mouvement Jacobin Lyonnais engagé dans de saignantes querelles avec les Royalistes, ils étaient aussi appelé : les " terroristes coupeurs de têtes " ! 


   Sources : Le Tribunal criminel du Puy-de-Dôme de 1791 à 1800 par Marc de Vissac. ©Article Regards et Vie d'Auvergne. Vous pouvez laisser un commentaire au bas de l'article.

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