Le Mexicain amoureux.

Usson le village.
Usson.


Le Mexicain amoureux.
   L'histoire qu'on va lire m'a été contée en Auvergne, l'été dernier, par la maman d'un de mes amis, dont l'accorte vieillesse se pare de mille grâces souriantes, à la fin d'un repas pris au jardin et arrosé d'un délicieux vin de pays, gai et fruité.
   Derrière nous, une gorge d'où montait, avec le grondement du torrent, une fraîcheur que rendait plus exquise le souvenir d'un après-midi torride. Devant nous, une vaste vallée fermée, à cinq lieues de là, par la chaîne des Puys que le couchant teignait de violet, et, en premier plan, la montagne d'Usson, où une monumentale statue de la Vierge domine les ruines du
château construit avec des prismes de basalte.
   Pourvu jadis d'un triple mur d'enceinte, de vingt tours de défense, d'un donjon formidable, ce nid d'aigle servit de résidence forcée, pendant près de vingt ans, à la Reine Margot. Le matin même, dans ce pauvre village délabré d'Usson, naguère prospère et ceint de vignes opulentes, mais que ses habitants ont abandonné pour l'usine, nous avions visité la maison de la Reine, qui occupait son exile de dévotions, d'intrigues, de bonne chère, de musique. Elle aimait même les musiciens, à telles enseignes qu'elle fit exhausser les lits de ses femmes pour vérifier sans trop se baisser si elles ne cachaient pas dessous un jeune et beau choriste de l'église cathédrale du Puy, qu'elle protégeait tendrement.
   Mais revenons à notre histoire et précisons qu'elle se passe à Clermont, en 1864. Des officiers mexicains faits prisonniers par les troupes du maréchal Forey étaient internés dans cette ville, où ils circulaient librement.
Quelques-uns d'entre eux ne déplurent pas aux grisettes, et un capitaine séduisit même l'épouse d'un notable commerçant établi rue Balainvillers.
Elle était extrêmement jolie, au témoignage de la mère de mon ami, sa compagne de pension, avec ce beau visage régulier, ce corps sculptural, cette harmonie latine que l'on rencontre si souvent en Auvergne, où beaucoup de femmes ressemblent à des Arlésiennes où à des Espagnoles.
   Le mari de cette dame voyageait assez souvent pour ses affaires et ses absences duraient trois ou quatre jours.
   Quelle imprudence, si l'on possède une très jeune femme aux yeux ardents, aux gestes délurés, à l'esprit curieux et romanesque, qui s'ennuie et qui lit les poésies de M. de Lamartine et de M. de Musset, de la laisser seule à la maison quand il y a des fringants officiers mexicains par la ville !
   Un officier mexicain ! Un homme qui vivait dans un pays mystérieux, aux passions exaltées, aux forêts à peine explorées. Concevez quel charme magique pouvait dégager, aux yeux d'une petite bourgeoise sentimentale de Clermont, cet étranger qui arrivait d'une contrée quasi fabuleuse, dévastée par une guerre cruelle !
Le Mexicain amoureux.   Bref, vous devinez que pendant les absences du mari, le capitaine allait tenir compagnie à la jeune femme. L'aventure classique. Ce qui l'est encore plus, c'est le retour inopiné du négociant, en pleine nuit, soit qu'il eût des soupçons, soit qu'il fût très impatient de retrouver sa femme.
   Dès qu'il entendit s'arrêter dans la rue la calèche qui ramenait l'époux, le capitaine, qui ne dormait pas, il avait certainement mieux à faire, sauta prestement du lit, fit un paquet de ses vêtements et fila dans le jardin.
   Était-ce le plaisir de constater que sa femme se trouvait seule au bercail ? Ou celui de regagner ses pénates, après une longue randonnée ? Jamais le mari ne s'était montré si empressé.
   Mais, par une singulière ironie du sort, le couple conjugal fut aussi inopinément troublé que l'avaient été les amants.
   Soudain, un homme courut sous les fenêtres, qui battaient la générale. Les cloches du tocsin, comme un cœur affolé, furent secouées à brèves saccades.
 "  Le feu ! "
   Le mari, homme de bien, appartenait au corps des sapeurs-pompiers. N'écoutant que les mâles suggestions du devoir, il s'arracha des bras de son épouse, se vêtit en un tournemain et se jeta dans la rue, où déjà des gens se hâtaient vers le sinistre, tandis que paraissaient aux fenêtres des camisoles émues et des bonnets de coton effarés.
Le pompier prit ses jambes à son cou et vola vers l'incendie.
   Mais, hélas ! La vertu n'est pas toujours récompensée. Quand ce courageux philanthrope, animé d'un si louable zèle pour combattre les calamités publiques, parut sur les lieux de l'incendie, il fut accueilli par d'unanimes moqueries.
On se permit de critiquer sa tenue, qu'il n'avait pas eu le loisir de fignoler, dans son ardeur à secourir ses concitoyens. Il est vrai qu'on avait jamais vu, de mémoire de Clermontois, un pompier habillé d'un dolman (1) de capitaine mexicain...
   Par la plus fâcheuse inadvertance, l'officier avait oublié sa veste et le mari, non moins étourdi, l'avait endossée, ce qui démontre bien qu'on ne devrait jamais rien faire avec précipitation, quelle que fût la gravité des conjonctures.
Je nourris pour les amants la plus indulgente faiblesse.
   - Cette comédie a dû se terminer en tragédie ?
   Demandai-je à la maman de mon ami, avec une pitié alarmée. 
   Rassurez-vous, me répondit-elle dans un malicieux sourire, les femmes sont aussi fines à Clermont qu'ailleurs. Le capitaine fréquentait de temps en temps chez le mari, fort honoré de sa présence.
   Mon amie sut persuader à son époux que l'officier lui avait simplement confié sa veste pour qu'elle en recousît les brandebourgs (2), qui étaient jaunes, si j'ai bonne mémoire...
   Un petit nuage rose vif s'étirait, comme une plume de feu, au-dessus de la Vierge d'Usson. Et je songeais que la Reine Margot eût aimé cette histoire, qui sent son décaméron (3), mais qui est pourtant rigoureusement Auvergnate...


Gaston Derys.

1) Dolman : Vêtement militaire d'officier, orné de galons et tresses.
2) Brandebourg : Ornements en forme de nœuds tressés.
3) Décaméron : recueille de contes coquins  sur la vie amoureuse.





Sources : texte de Gaston Derys, Le Journal amusant, 1926. 
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