Photo noir et blanc, trois anciens à l'auberge.

L'Auberge.

   L'auberge ? N'en faites pas de leçons aux enfants. Dans nos campagnes, le vrai lieu de réunion, ce n'est plus l'Église, ce n'est pas l'école, c'est l'auberge.
   Elle est au bord de la route, sur la place, au rez-de-chaussée, à portée du moindre désir. Vous passez, vous rencontrez quelqu'un, vous rentrez. Elle vous accueille avec sa large devanture vitrée et sa porte toujours ouverte, les yeux, le dé, le fil de la patronne vous sourient ou bien la fraîcheur de la petite bonne vous appelle.
   Allez chez un ami, le faire venir chez vous, quelle affaire ! Il faut l'attendre et se préparer, balayer la maison, essuyer la table, le poêle, ranger l'appui de la fenêtre; il faut aller à jour dit et le faire exprès. Une visite ? Cela engage. Savoir pourquoi "il" vient ? Faut que se parler quand on se rencontre ou qu'on passe, qu'on se trouve à passer comme cela au hasard des occasions. Sinon, les femmes en font des gorges-chaudes après, et piaillent et piaillent...
On s'abandonne. Un quart d'heure la vie est facile et se soumet. On a toujours quarante sous dans son gousset pour les occasions. Plaisir imprévu de n'être plus chez soi et de se débrider. On raconte des histoires, de boniments, des gouailleries, on apprend les nouvelles : filles et garçons, et les parentés, et les farces de la Toinette :
   -Ce sacré André, quelle cuite il tenait dimanche ! Ce Quiquandon, quel farceur ! L'aurait-on dit ?
   Voilà qu'un filet de poésie coule dans l'âme en même temps qu'un verre de vin dans le gosier : la rue, la place, les arbres et la paix que composent les femmes, les enfants, les brouettes, les devantures, toutes ces choses familières qu'on regarde en fumant sa pipe.
   Et puis, bon dieu ! Être débarrassé des femmes pour un moment, on sait qu'on retrouvera la sienne ce soir, cela suffit; on est tranquille, on l'aura toujours. On lui carotte cent sous, dix francs et on est bon pour payer un verre, quoi !
   Personne n'est de caractère aussi facile que des hommes qui boivent. Entre voisins, une vieille haine couvait sur le cœur : être si proches porte à porte tous les 365 jours de l'année, c'est pas rigolo, vous savez ! On se rencontre au marché, retour de la foire, partis un peu :
   -Tonin paye un verre !
Et on se regarde surpris : on est du monde comme les autres, ni plus mauvais, ni plus méchant, et on fraternise. Personne n'a fait le premier pas : l'honneur est sauf et on conclut :
   - Nos femmes, laissons-les dire !
   Auberges ! Reposoirs du dimanche à l'ombre, à l'heure de la petite messe et de la grande, pendant que le curé dit ses prières et que sèche le foin dehors. Dans un gosier bien brûlé et bien en pente, le vin blanc est bon et il enflamme un rire au creux de la vie.
   Auberges ! Vous êtes les meilleurs juges de paix, vous inclinez à l'indulgence, à l'oubli, au bon laisser vivre. Devant vos tables boiteuses de cerisiers, nos paysans redeviennent Gaulois, guillerets, bavards, farauds, vantards aussi et courageux :
- Eh ! Pauv'homme, les tombait dans mon jour, les trente quintaux de foin si peu qu'il y ait de l'herbe et pas trop de taupes ! Mais il y a du temps de cela !
-Té, voilà le Francelon et le Boisor, ils vont à l'audience, sont en-tenaillés l'un contre l'autre, sonnons-les!
-Hé, las-bas ! Voulez-vous trinquez avec nous !

Lucien Gachon.



Sources : texte de Lucien Gachon, illustration © regardsetviedauvergne.fr
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