Retour au pays natal de Jean Maleine..

Retour au Pays natal.

Embort, Cantal Auvergne
Embort, Cantal Auvergne

   Un pays de granits et de fleurettes,
 de brumes rosissantes et de sombre forêts.
 L'effort et les enfantillages, le jeu et la contrainte s'y marient bien
 pour prendre et pousser l'homme.
Henri Pourrat.

  
 La nostalgie du Pays le saisit une nuit, à Rio-de-Janeiro, en écoutant deux matelots parler de l'Auvergne, en patois.
   Un mois après, par un de ces matins lumineux et voilés dont l'automne a le secret, Jean Maleine prenait le train au quai d'Orsay.
   Tout le long du jour, il assista à la fuite éperdue des paysages : banlieue cuivrée, plaine monotone de Beauce, Loire divaguant dans les sables, Sologne aux rondes bleues de pins et de bouleaux, Cher romantique comme un Rhin d'estampes avec ses bois noirs, ses rochers nus et ses donjons croulants.
   Le soir violet surprit le convoi à Eygurande et dans l'air plus vif et quasi montagnard, Jean Maleine respira l'Auvergne toute proche.
   Des fantômes familiers l'accueillirent : pâtis bordés de vergnes, maquis odorants de fougères et de genêts. Les collines basaltiques, en capes dépenaillées de bruyères, semblaient se bousculer pour le recevoir. Des bois soupçonneux se penchaient à son
passage.
   Par les vitres baissées, Jean Maleine, recevait, en plein visage, les souffles forts, cinglants comme des gifles, de la vieille terre de lave et de granit. Sa tête bourdonnait comme une ruche. Soudain, il se mit à fredonner une bourrée oubliée , éternelle griserie des premières bouffées de vent natal !
   La nuit devint hermétique. Des formes vagues se chevauchaient dans le noir, mais d'instinct, Jean Maleine saisissait les traits essentiels de la terre maternelle. Cette seule vue trouble lui faisait bondir le cœur.
   Aux arrêts, les employés psalmodiaient des noms de gares connues : Single, Port-Dieu, Miallet !
   Les souvenirs montaient de sa mémoire comme des rougeurs au front.
   A Bort-les-Orgues, il descendit. Le grondement de la Dordogne emplissait la nuit ainsi qu'au soir de son départ pour l'Amérique. Il y avait quinze ans déjà...
Le chauffeur de l'autobus de Champs le dévisageait avec curiosité; alors, pour cacher son trouble, il interpella l'homme rudement :
-" Combien prenez-vous pour me conduire à Embort ?"
-" Quinze kilomètres... C'est cinquante francs ! " Compta, tout haut, l'autre.
Jean Maleine grimpa sur le siège et l'autobus démarra.
   Bouche entr'ouverte, il buvait à perdre haleine, l'air frais des landes, des forêts et des prairies. L'Auvergne mordait ses joues de baisers brûlants. Et de tout son corps penché en avant, de toute son âme, il se donnait à la terre maternelle et en prenait possession.
   Après Champs, il revit, avec émotion, la Rhue, l’héroïque rivière de son village qui étincelait, sous la lune, dans les gouffres.
   Dès lors, chaque tournant lui rappela un souvenir, chaque rocher une histoire.
La Roche des " Fades ", inclinée sur les bois, gardait toujours ses inquiétants mystères. Au lieu dit de la  " Croix de Barrade ", un petit frisson courut sur son échine et, à la dérobée, il jeta un regard méfiant au conducteur. Ah ! Que de fois, avec les galopins  du village, il avait passé, à toutes jambes, en détournant la tête, devant cette croix d’assassiné, plantée là comme un gibet, au bord de la route !
  Mais Embord approchait, il en percevait les odeurs familières... Car, il est des odeurs qui vous imprègnent dès votre enfance pour toute votre vie : odeur du village où s'écoula notre jeunesse, de la maison où l'on naquit.
La "Charreire" du hameau, cachée derrière le mur, l'attendait... Il descendit.
    Dès qu'il sentit sous ses pieds la pierre dure de l'antique chemin, ses yeux se brouillèrent de larmes... Il marchait en titubant, comme un homme ivre. Plus loin, il se pencha sur le " Radji ", la fontaine commune et but une gorgée d'eau de roche. Les refrains sonores des "barlits" de fer chantaient dans sa mémoire, une allégresse inconnue le portait.
   Au bout du chemin," l'Houstal " dressait son ombre massive dans la nuit bleue.
Jean Maleine s'arrêta pour mieux l'embrasser du regard. Et, malgré le voile de ténèbres, il reconnut le vieux logis couvert de tuiles, la grange attenante en coiffe de chaume, l'escalier de pierre et le balcon branlant.
   D'une main tremblante, il saisit la rampe, gravit les degrés disjoints, poussa la porte. Et ses yeux, qu'avait usé le spectacle quotidien de tant de terres lointaines, de mers mouvantes, de cieux changeants, redevinrent tout neufs.
   En bonnet de dentelles et la quenouille sous le bras, la grand-mère filait au coin du feu, assise à la même place où il l'avait quittée. Les flammes illuminaient la cheminée noire et le cher visage. L'horloge comptait les secondes dans le silence.
   Il s'avança. Alors voyant danser une grande ombre sur le mur, elle se leva. Elle regarda un moment, muette, et sans comprendre, ce garçon basané qui lui souriait. Tout à coup, un tremblement l'agita, des larmes coulèrent lentement sur ses joues ridées et dans un mouvement impétueux, elle tendit ses bras à l'inconnu en bégayant :
-" Mais, c'est mon Jean ! Mais c'est mon Jean !"
   Il se précipita vers ces deux mains parcheminées, baisa le front jauni auréolé de cheveux blancs.
   Une joie touchante rajeunissait le cher visage...
   Ah ! Non ! Elle ne l'avait pas oublié son Jean ! Et il fallait la voir trottiner dans la vaste salle, allumer la lampe à pétrole suspendue au-dessus de la table, s'agiter autour du vaisselier, ouvrir et fermer tiroirs et maie.
D'une voix chevrotante, elle posait une foule de questions dont elle n'attendait pas les réponses :
-" Mon Jean, je savais bien que je devais te revoir avant de mourir. Et dans tous ces pays et ces déserts as-tu trouvé du " brave monde ", comme par ici ? Et toutes ces bêtes et la chaleur... pauvre enfant ! Bonne Vierge : si ton pauvre grand'père pouvait te voir !"
   Jean Maleine, assis au "Cantou", écoutait, heureux et amusé, ce bavardage. Et ses yeux ne se lassaient pas de faire le tour de l'humble pièce.
   Il reconnaissait toutes choses, l'âtre accueillant, luisant de suie, toujours égayé d'une flamme bondissante et claire, le fauteuil paillé où le grand-père délassait, après le dur labeur des bois, ses membres fatigués, les chaises basses, la huche à sel, le tas de bois dans un coin, les chenets de fer à tête de Jacob et la marmite noire pendue à la crémaillère...
   Après l'écuellée de soupe, ils échangèrent leurs souvenirs devant l'éclair bleu des tisons et une douce torpeur l'engourdit.
   La grand-mère alla lui préparer un lit, mais avant de se coucher, il voulu revoir la grange poussiéreuse, embaumée d'aromates de foins et de parfums de pommes, l'étable obscure où il jouait, et derrière la maison, le pré, sous les étoiles, le cerisier tentateur et le châtaignier chenu.
   Il embrassa la grand-mère et gagna sa chambre. Le lit grand ouvert l'attendait. Il se glissa entre les draps rugueux, fleurant la menthe. Par une impérissable habitude, son corps retrouva la place favorite, encore marquée au creux de la couette de plumes.
   La fenêtre était ouverte, la nuit entra, odorante comme un verger, elle sentait l'automne.
   Elle était musicale aussi... Et il entendit à nouveau la berceuse des calmes nuits d'Auvergne, la berceuse de son enfance : souffles courts des bœufs, bruits de chaînes et de paille froissée, dans les étables, glouglou de la fontaine, grondement sourd de la rivière et friselis inquiet des feuillages et des chaumes sous le vent.

   Il écouta et s'endormit, sans hâte, en souriant : l'Auvergne l'avait repris.


Henri Pourrat.





Sources : texte de Henri Pourrat.

regardsetviedauvergne.fr
Regards et Vie d'Auvergne le blog des Auvergnats, de ceux qui l'aiment et de ceux qui ne la connaissent  pas.

Commentaires

  1. Bonjour, ce texte est signé Léon Gerbe, " l'écrivain de l'Artense", originaire d'Embort, il fait partie de son recueil "Au Pays d'Artense", préfacé par Henri Pourrat, dont il était fervent admirateur.
    Il exprime les émotions que Léon Gerbe ressentait lorsqu'il retrouvait la maison de son grand père Claude sur le chemin du Raji.

    Sa petite fille, Sylvaine Lobert présidente de l'association des Amis de Léon Gerbe

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