Des toits...

CPA les toits de Clermont-Ferrand
CPA les toits de Clermont-Ferrand


   La brume comme un voile tendu entre le ciel et la terre, me dérobe la Limagne qui repose au pied des Monts du Forez. Elle semble une tenture en grisaille sur laquelle se détache le fouillis des toits rouges.
   Des toits, des toits avec leurs cheminées qui baillent et d'où s'échappe, exubérante, la fumée. Cà et là un clocher d'église, les poteaux du télégraphe, le faîte d'un arbre isolé, la cheminée d'une usine sise à l'écart comme la ruche que l'on relègue au fond du jardin.
  Ces toits : les uns d'ardoise mate se confondent avec la grise pierre de Volvic des murs, les autres, vermillon, brillent lavés par la pluie récente; D'aucuns en briques arrondies qui se chevauchent sont côtelés et semblent faits de pots de terre enfilés, les uns dans les autres.
   Les toits, et sur les toits de la fumée. Blanche, grise ou noire, elle est la proie du vent. Elle s'élance, couchée sur le côté, se relève, tourbillonne et disparait emportée par son maître tout-puissant. Pourquoi lutter !
   Il doit être si doux de se confier au vent, de tournoyer dans l'air et de se dissoudre dans l'espace, molécule infime qui sera un peu de cet air qui bleuit l'horizon.
   Car la fumée ne monte pas paisible vers le ciel... Et la voir ainsi s'abîmer vers la terre, se redresser, m'est un malaise qui m'atteint au plus profond de l'être. Elle s'harmonise trop bien avec l'inquiétude de mon cœur avide dont se joue, inflexible, la Destinée au sourire ironique.
  A côté de celles qui fument, les cheminées sans feu, comme autrefois les femmes stériles, semblent maudites...
   Ces toits, tout mon horizon se soir. J'ai l'impression qu'ils me narguent, car je ne les contemple aussi longuement que lorsque je ne puis rien voir au-delà.
   Je déteste cette brume opaque qui restreint le champ de la vie et me contraint à ne voir de Clermont que cet amas de vieilles maisons sordides et repoussantes comme les vices secrets du corps.
   Ah ! Vienne un rayon du joyeux soleil ! Magicien bienfaisant, il déchirera le voile brumeux et je retrouverai enfin le vaste horizon que l'aime : la plaine indolente, couchée aux pieds des puys. Monarques couronnés de neige.
Jehan Debrenne.

Sources :Texte de Jehan Debrenne dans l'Auvergne Littéraire Artistique et Félibréenne, 1925.     © Regards et Vie d'Auvergne. N'hésitez pas à laisser un commentaire ou à vous abonner au bas des articles.  merci de votre visite et à bientôt.