Superstitions de l'Auvergne.
Sauxillanges, Puy-de-Dôme. |
L'Auvergne, cette vieille terre de France qui, à une époque
inconnue, se vit impitoyablement crevassée et boursouflée par les
soulèvements volcaniques, cette patrie des vaillants Arvernes, aux sites
imposants, aux mystérieuses forêts de sapins, aux nombreuses ruines féodales, devait, moins qu'aucune
autre, échapper à l'influence des lutins et de tous les esprits
malins.
Sur la terre bouleversées, au fond des vallées "opposées et alternées" qui
portent à la rêverie, et où, comme le dit le poète :
" Les rivières s'en vont superbes, les ruisseaux
Murmurent au milieu des fleurs et des roseaux"
Le paysan d'Auvergne est resté simple et croyant, les naïves
traditions des siècles passés sont demeurées vivaces dans son esprit, et ont
échappé au flot de scepticisme qui envahit nos cités et atteint jusqu'à nos
provinces.
Lorsque, le soir, après une journée de rude labeur, quand il
a, pendant douze ou quinze heures, joué du marteau à l'atelier, ou dirigé
des bœufs sur la montagne, l'Auvergnat revient s’asseoir à son
foyer rustique, il aime conter à ses enfants et à
quelques voisines, des histoires de revenants, de démoniaques ou de lutins. Il croit fermement à ce qu'il raconte et sait communiquer son assurance à ses jeunes auditeurs, réunis en rond autour de l'immense cheminée où une épaisse bûche à demi éteinte, achève de se consumer en éclairant la chambre de lueurs blafardes. Et quand la vieille horloge a sonné l'heure du coucher, et que chacun se lève et s'en retourne chez soi, il croit, dans son imagination encore toute troublée, voir quelque blanc fantôme traverser la cour, ou quelque ombre obscure se mouvoir sur le mur. Et n'essayez pas de détromper ces naïves intelligences ! Ne cherchez pas à conduire dans ces sanctuaires de la fiction, la déesse et son miroir ! Quelque moyen que vous employiez, vous perdriez votre temps.
Le paysan d'Auvergne est en proie à une sorte de pusillanimité religieuse dont il ne se permet point de contrôler le plus ou le moins de raison d'être; il se complaît dans ses fausses croyances, il aime ses erreurs, et touchât-il la réalité du doigt qu'il refuserait encore avec entêtement à l'admettre. Les révélations les moins récusables, les faits les plus probants, bien loin de le faire revenir à la saine vision des choses, l'enfoncent quelquefois d'avantage dans sa superstition. Les récits suivants, qui sont vrais dans tous leurs détails, le prouvent.
quelques voisines, des histoires de revenants, de démoniaques ou de lutins. Il croit fermement à ce qu'il raconte et sait communiquer son assurance à ses jeunes auditeurs, réunis en rond autour de l'immense cheminée où une épaisse bûche à demi éteinte, achève de se consumer en éclairant la chambre de lueurs blafardes. Et quand la vieille horloge a sonné l'heure du coucher, et que chacun se lève et s'en retourne chez soi, il croit, dans son imagination encore toute troublée, voir quelque blanc fantôme traverser la cour, ou quelque ombre obscure se mouvoir sur le mur. Et n'essayez pas de détromper ces naïves intelligences ! Ne cherchez pas à conduire dans ces sanctuaires de la fiction, la déesse et son miroir ! Quelque moyen que vous employiez, vous perdriez votre temps.
Le paysan d'Auvergne est en proie à une sorte de pusillanimité religieuse dont il ne se permet point de contrôler le plus ou le moins de raison d'être; il se complaît dans ses fausses croyances, il aime ses erreurs, et touchât-il la réalité du doigt qu'il refuserait encore avec entêtement à l'admettre. Les révélations les moins récusables, les faits les plus probants, bien loin de le faire revenir à la saine vision des choses, l'enfoncent quelquefois d'avantage dans sa superstition. Les récits suivants, qui sont vrais dans tous leurs détails, le prouvent.
Poule Noire :
Dans la partie départementales du Puy-de-Dôme qu s'étend aux
environs d'Issoire, se rencontre Sauxillanges, petite ville très ancienne qu'on dirait semée au milieu des volcans
éteints, sur les bords d'une toute petite mais charmante rivière, l'Aumère.
Un couvent de Bénédictins y fut fondé vers neuf cent seize, par Guillaume le
Pieux, duc d'Aquitaine, on en voit encore des vestiges, et les vieillards de
l'endroit pourraient vous narrer plus d'un souvenir se rattachant à ces
ruines monacales.
Là, le paysan croit encore aux évocations diaboliques. Quand,
tourmenté par certain projet ou torturé par quelque remords, il veut
consulter le Vilain, il se rend dans la campagne, le soir, et choisi un
endroit écarté où deux routes se croisent, car c'est aux carrefours, dit-on,
que l’esprit malin apparaît de préférence, et c'est pour empêcher ses
visites trop fréquentes et les malheurs qui en résulteraient, que le clergé
d'Auvergne a transformé en calvaires la plupart des endroits où des chemins
se rencontrent.
Un fois arrivé au carrefour choisi, qui doit être privé de croix, il
prononce à trois reprises et d'une voix distincte :
" Poule noire !... Poule noire !... Poule noire !..."
Le Diable apparaît aussitôt, et le conciliabule a lieu...
Dès que le paysan désire terminer l'entretien et replonger le
Tentateur dans les ténèbres, il dessine sur sa poitrine un grand signe de
croix. Mais il faut qu'auparavant il se soit armé d'un chapelet, sans lequel
ses signes seraient vains, et le Vilain triomphant l'emporterait malgré lui
en enfer.
Pour avoir négligé de prendre cette précaution, un tailleur de
Sauxillanges, fut ainsi emmené dans l'empire des ténèbres. Longtemps il y
souffrit les tortures des damnés, et fut en butte aux mille et une vexations
du Démon, qui ne lui accorda le pouvoir de retourner sur la terre que
lorsqu'il se fut fabriqué un vêtement avec une foule de minuscules morceaux
d'étoffe mis à sa disposition. Il y travailla pendant neuf ans, soutenu dans
cette tâche ingrate par un invincible désir de quitter l'infernal séjour et
de revoir sa famille et son village.
Il se trouve sans doute encore aujourd'hui certains vieillards
de Sauxillanges qui ont, disent-ils, parfaitement connu ce tailleur, et qui,
à la veillée, racontent son enlèvement et ses souffrances avec une foi si
vive et une tette sincérité qu'ils donnent la chair de poule aux moins
crédules.
Je rencontrai dernièrement un de ces vaillants artistes
d'Auvergne, cœurs excellents et lutteurs infatigables, sur le front desquels
un labeur opiniâtre, constamment avivé par une volonté de fer, finit par
planter quelques rayons d'une gloire bien méritée, et comme j'abordais avec
lui ce curieux chapitre des superstitions, il me conta un incident qui lui
arriva dans sa jeunesse et qui a justement trait au même sujet.
Les ruines de l'ancien monastère dont j'ai parlé plus haut,
avaient été louées à un vieux jardinier, le père Tournade, qui, à certaines
époques de l'année, sous-louait lui-même les greniers à foin aux bouchers de
Sauxillanges.
" J'avais entendu plusieurs fois, me disait-il, le père
Tournade raconter des scènes épouvantables qui se passaient dans ses
greniers, c'étaient des bruits, des chuchotements, des voix étouffées qui
avaient à plusieurs reprises terrifié le pauvre homme, si bien que pour tout
au monde, il ne s'y fût jamais hasardé seul le soir. Et il ajoutait que le
Diable y apparaîtrait sûrement à quiconque l'invoquerait dans certaines
formes qu'il indiquait.
Bien que jeune, ajouta mon interlocuteur, j'étais passablement
sceptique, et je m'étais souvent moqué ouvertement des terreurs du père
Tournade. Un soir donc, je jouais sur la Place avec plusieurs enfants de mon
âge, il me poussa tout à coup l'idée de tenter l'entreprise. La porte était
ouverte, j'entrai, et derrière je vis se dresser un large escalier
conduisant aux greniers à fourrages. Je gravis les premières marches, puis,
pour suivre à la lettre les prescriptions du vieux jardinier, je m'arrêtai à
la troisième et prononçai d'une voie claire :
" Poule noire !..."
Mes camarades, inquiets sur le dénouement de ma téméraire
ascension, respiraient à peine et me suivaient des yeux, mais sans oser
franchir le seuil de la porte. J'escaladai trois autres marches, et je
prononçai de nouveau :
" Poule noire !..."
Puis trois autres encore, en répétant la même formule invocatoire. et
j’attendis !...
Au bas de l'escalier, mes jeunes amis, plus intrigués et plus attentifs que jamais, écarquillaient les yeux et retenaient leur souffle dans l'attente d'un événement surnaturel. Moi-même je ne bougeais plus, on n'entendait aucun bruit, et l'on eût pu, je crois, percevoir dans l'air le vol de quelque papillon nocturne...
Tout à coup, je reçus sur la face un soufflet le plus éclatant et le mieux appliqué dont ma joue gauche ait jamais essuyé le choc ! Il me sembla voir mille petits points rouges danser devant mes yeux comme des gouttes légères de lumière, et, tout étourdi, avec des tintements dans l'oreille, je dégringolai l'escalier !
Mes jeunes témoins avaient détalé de toute la vigueur de leurs muscles, frappant le sol de leurs sabots, comme une bande de jeunes poulains effarouchés.
Le lendemain tout le village se racontait l'aventure, et chacun ne manquait pas d'y ajouter de nouveaux détails. Beaucoup affirmaient que le Diable, voyant qu'il avait affaire à un jeune fanfaron, s'était contenté de le corriger de sa bravade, sans daigner l'emporter en enfer.
Et comme j'attendais l'explication terre à terre du prétendu miracle, le narrateur ajouta :
" Je connus quelques jours plus tard le simple mot de l'énigme. L'auteur du soufflet était un garçon boucher qui avait pénétré avant moi dans le grenier pour y chercher le souper de ses chevaux. Il avait écouté notre conversation et voulu mettre fin à l'aventure d'une manière qui lui parut plaisante, mais dont je conserverai longtemps le souvenir. Tant il est vrai, ajouta-t-il philosophiquement, qu'une impression morale de grave plus profondément dans notre mémoire, lorsqu'elle est accompagnée à sa naissance d'une sensation physique."
" Et vos compatriotes, lui demandai-je, se sont sans doute rendus à l'évidence quand le mystère fut découvert ?"
" Oh ! Erreur ! erreur profonde ! Me dit-il. J'essayai vainement de leur prouver que j'avais été touché par une vulgaire main humaine, qui n'avait rien de diabolique, ce furent toujours, pour beaucoup d'entre-eux au moins, les cinq doigts crochus du redoutable Diable d'Enfer qui m'avait si bien cinglé la figure."
Et le père Tournade, en particulier, triomphait hautement de ma déconvenue.
Edmond Desombres.
Sources : La Tradition, 1887.
© regardsetviedauvergne.fr
Regards et Vie d'Auvergne le blog des Auvergnats, de ceux qui l'aiment et de ceux qui ne la connaissent pas.
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