"Le lai (*) de la Rosalie Poumarat."
   
       Beaux Seigneurs du XXe siècle, héritiers des fiers barons pour qui
      jadis ont chanté mes ancêtres, aujourd'hui qu'il pleut et que l'orage a
      détruit votre antenne, je vais charmer votre désœuvrement par le plus
      beau de mes poèmes. Oyez, gentes Dames et Damoiselles, nobles Sires de,
      haut parage,, oyez tous la merveilleuse histoire, pleine de larmes et de
      deuil, de la vieille mère Poumarat, morte l'autre matin.
     Ceci est l'histoire de la vieille Rosalie Poumarat, qui
      n'avait pas su comprendre la grandeur de son époque, et qui ne voulait pas
      que son fils abandonnât ses champs pour l'usine.
     Elle ne voulait pas qu'il s'en allât travailler dans les
      usines, où, grâce à vous, magnanimes Seigneurs, se forge la glorieuse
      Civilisation. Elle avait peur de vos villes et de leur voluptés, belles
      Dames que je vénère, et c'est pour cela qu'elle est morte.
     Parce que son cœur était trop rouge dans sa gorge fanée
      de vieille femme, la mère Poumarat, du hameau de Besse en Auvergne, est
      morte.
     Il y avait Jules Poumarat. Et Jules Poumarat était le fils de
    la vieille Poumarat. Et Jules Poumarat était revenu du service militaire.
    Durant un an et la moitié d'un autre, il avait 
vécu la vie de régiment, avec sortie en ville, tous les soirs après la soupe. Il y a des lumières, du bruit, des parfums. On se ballade le long des trottoirs. On ne s'en fait pas. On rigole. Et à la caserne, les derniers temps surtout, c'était la vie rêvée.
vécu la vie de régiment, avec sortie en ville, tous les soirs après la soupe. Il y a des lumières, du bruit, des parfums. On se ballade le long des trottoirs. On ne s'en fait pas. On rigole. Et à la caserne, les derniers temps surtout, c'était la vie rêvée.
     Mais ici ! ...quoi ! c'est Besse ! Besse, tout là-haut perché
    sur la montagne chauve. Toujours quelque chose de ne pas fini. Du souci plus
    qu'on en voudrait. Quel pays ! Pas d'électricité. Jamais une petite auto
    pour passer. En fait de parfums...
     Alors un jour, Jules Poumarat a dit :
  "La ville c'est plus beau que Besse. C'est plus beau encore que le bourg de
    la vallée, au bord de l'Allagnon. En ville il y a des cinémas, tous les
    soirs. Il y a du pain frais, tous les midis. Et puis, on s'amuse à
    volonté."
      Voyez, Jules Poumarat voulait s'en aller. Partir à Clermont
    :
  " j'irai m'embaucher chez Michelin"
  Mais sa mère :
  "Toi! Faire ça !...Toi ! Oh !"
     Et elle a pris le balai pour balayer la cuisine. Le Jules
    s'est assis sur la chaise basse, près des landiers. La Rosalie balaie sa
    cuisine, aux larges dalles qui sonnent sous les galoches. Le vent apportait
    de l'étable l'odeur des bouses fraîches. Par la fenêtre ouverte, entrait
    l'odeur puissante de l'étable. Et Jules Poumarat a dit :
  " A Clermont, les gens n'ont pas besoin de galoches pour patauger dans le
      fumier. Parce que à Clermont, il n'y a pas de fumier."
  Après un long moment, il a ajouté :
  " Ici, c'est un trou, un sale petit trou perdu ".
     La Rosalie appuya son balai dans le coin. Jointes ses mains
    sèches et jaunies, ses yeux se sont levés au plafond enfumé. Et la Rosalie
    pensait que son défunt était bien heureux de ne pas entendre ces choses. Car
    c'est la fin de tout, à présent. Elle ne savait que dire :
  "Toi, toi ! Faire ça !"
     Mais Jules Poumarat était revenu changé du service. Lui si
    vaillant autrefois ! Il a déshabitué d'être son maître, de se commander à
    lui. Et il voudrait une autre caserne, où l'on a qu'à obéir :
  " Fais ci, et puis maintenant fait ça "
     Alors, il irait dans les usines. Comme a fait notre voisin
    Joseph Dupuy, et de même Amable Senèze et Jean Thomas. Comme ceux-là ont
    fait, il ferait aussi.
     Et Jules Poumarat a pris sa pipe dans sa poche, l'a bourrée
    soigneusement, et il l'a allumée avec une allumette suédoise. Elles coûtent
    plus cher, mais elles ne sentent pas le soufre. Puis il a baillé à forte
    voix. Et ce n'était pourtant que dix heures au soleil.
   
     Quoi de tragique, ô nobles Bourgeois, dans cette histoire paysanne
      ? Des rustauds bailleront. Mais vous, votre intelligence subtile le
      devine. Oui, Seigneurs, c'est ici le conflit de l'ancien monde avec le
      nouveau. La vieille Rosalie vous représente le passé, la vie bornée et
      bestiale, la hideuse routine. Mais Jules, le jeune et beau gars, c'est le
      champion de la vie nouvelle, de la formidable industrie, et, pour tout
      dire,  du progrès. Ainsi Jean-Progrès a raison contre
      Rosalie-Routine. C'est pourquoi la vieille femme n'a plus qu'a mourir.
     La suite a  donc été que la Rosalie s'est mise à courir
    comme une perdue. La douleur à la pensée de rester seule dans cette ferme la
    rendait comme folle. Et elle s'était mise à courir, ayant jeté sa mante
    sur ses épaules, vers le village au fond de la vallée. Cette peine était
    vraiment trop lourde. Non, non, que la fin soit ! Et elle dévalait, heurtant
    les cailloux de ses galoches, l'air un peu ivre, à cause de la tête qui n'y
    était plus, et ces vieilles jambes plus très solides.
      Fracas des galoches, le long de la pente. Fuite de Rosalie, à
    une vitesse uniformément accélérée, vers le village qui grossit.
  Alors le père Hugon, qui bine ses betteraves à côté du chemin :
" Ho, Rosalie !"
Mais Sourde.
Et encore la Dorothée, qui garde ses trois vaches :
" Où va-tu si vite, Rosalie ? "
Mais pas de Rosalie. Qu'est-ce qu'elle a donc d'être si pressée ? Et tous s'interrogeaient, et on ne savait pas.
Et maintenant, c'est la fin de la journée. On entend l'eau chanter plus fort. Voici Louis Besson qui revient des champs. Assis sur son char, conduit par deux vaches rouges. Elles traînent le pas et bavent, au soleil couchant, de jolis fils qui brillent. Alors Besson :
" Hâ, Hâ, foutues !"
Et l'aiguillon dans le flanc, et les vaches qui sursautent. Sa femme ne lui donne pas le temps de descendre ;
" Dis-donc, Louis, la Rosalie Poumarat... "
Dans le bourg, ça sentait bon la soupe chaude. Les hommes se hâtaient de rentrer, fatigués, parce que la journée a été longue. Il y a Vergne qui passe, la pioche sur l'épaule, et qui cause avec le grand Chaminu, le tailleur de pierre :
" Tout de même, dit Vergne."
Puis :
" Et c'est donc profond, en cet endroit la rivière ? "
Maintenant, tout le monde savait la nouvelle.
Vers la grand-Pont, sur la large avenue, là, il y a les belles maisons des riches. Elles sont très blanches, et elles ont un beau trottoir par-devant. Et leur toit est en ardoise fine. Là, Monsieur Villedys, qui est notaire, prenait la fraîcheur sur le pas de sa porte. Il appela son voisin, Monsieur Delavant, qui est médecin :
" Alors, vous connaissez l’événement ? "
Et ils entament la conversation.
On a entendu :
" Cette femme, elle n'avait pas à se frapper comme ça "
" Le métier de paysan est la plus noble tâche, s'est écrié Monsieur Villedys. Et il aspirait un gros cigare avec une bague rouge au milieu.
Et encore :
" La vie paisible des champs... L'idylle de la campagne..."
Mais Monsieur Delavant :
" Permettez. Le dépeuplement des campagnes est un mal nécessaire, causé par le processus du développement de la grande industrie, dû lui-même à l'expansion coloniale des pays occidentaux à civilisation économique avancée... "
  
Alors, il y eu l'angélus qui sonnait. Et ce fut, Seigneurs, la nuit tout à fait.
  
  
  
 
  
(*) Lai : poème, récit, fabliau du moyen âge
  
 
" Ho, Rosalie !"
Mais Sourde.
Et encore la Dorothée, qui garde ses trois vaches :
" Où va-tu si vite, Rosalie ? "
Mais pas de Rosalie. Qu'est-ce qu'elle a donc d'être si pressée ? Et tous s'interrogeaient, et on ne savait pas.
Et maintenant, c'est la fin de la journée. On entend l'eau chanter plus fort. Voici Louis Besson qui revient des champs. Assis sur son char, conduit par deux vaches rouges. Elles traînent le pas et bavent, au soleil couchant, de jolis fils qui brillent. Alors Besson :
" Hâ, Hâ, foutues !"
Et l'aiguillon dans le flanc, et les vaches qui sursautent. Sa femme ne lui donne pas le temps de descendre ;
" Dis-donc, Louis, la Rosalie Poumarat... "
Dans le bourg, ça sentait bon la soupe chaude. Les hommes se hâtaient de rentrer, fatigués, parce que la journée a été longue. Il y a Vergne qui passe, la pioche sur l'épaule, et qui cause avec le grand Chaminu, le tailleur de pierre :
" Tout de même, dit Vergne."
Puis :
" Et c'est donc profond, en cet endroit la rivière ? "
Maintenant, tout le monde savait la nouvelle.
Vers la grand-Pont, sur la large avenue, là, il y a les belles maisons des riches. Elles sont très blanches, et elles ont un beau trottoir par-devant. Et leur toit est en ardoise fine. Là, Monsieur Villedys, qui est notaire, prenait la fraîcheur sur le pas de sa porte. Il appela son voisin, Monsieur Delavant, qui est médecin :
" Alors, vous connaissez l’événement ? "
Et ils entament la conversation.
On a entendu :
" Cette femme, elle n'avait pas à se frapper comme ça "
" Le métier de paysan est la plus noble tâche, s'est écrié Monsieur Villedys. Et il aspirait un gros cigare avec une bague rouge au milieu.
Et encore :
" La vie paisible des champs... L'idylle de la campagne..."
Mais Monsieur Delavant :
" Permettez. Le dépeuplement des campagnes est un mal nécessaire, causé par le processus du développement de la grande industrie, dû lui-même à l'expansion coloniale des pays occidentaux à civilisation économique avancée... "
Alors, il y eu l'angélus qui sonnait. Et ce fut, Seigneurs, la nuit tout à fait.
    Alexandre Borrot.
  
  (*) Lai : poème, récit, fabliau du moyen âge
Sources : texte de Alexandre Borrot, l'Auvergne Littéraire et Artistique 1927.
© Regards et Vie d'Auvergne.
http://www.regardsetviedauvergne.fr/
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
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