Émeute de Mardogne (Gergovie) sous la révolution.

Eglise de Mardogne, Gergovie en Auvergne
Eglise de Mardogne, Gergovie en Auvergne, de nos jours.

Émeute de Mardogne 1/2.

24 frimaire an II ( 14 décembre 1793)


   Mardogne ou plutôt Merdogne, n'avait encore reçu la visite que d'un seul César, celui qui avait lutté avec ses légions romaines contre Vercingétorix, le défenseur de l'indépendance Arverne. Le second César qui la visita plus tard, et qui devait transformer son nom en celui plus euphonique de "Gergovie", était encore à naître.
   C'était une riante petite bourgade, gracieusement assise, dans sa robe d'épis et de pampres, au flanc sud-est du plateau légendaire qui, lui sert aujourd'hui de vocable.
   Elle formait une simple section de la commune de la Roche-Blanche, canton de Veyre-Monton, district de Clermont.
   Son église du Xe siècle au porche assez curieux, anciennement desservie par un religieux à la nomination du couvent de saint André de Clermont, l'était maintenant par un prêtre constitutionnel, le citoyen Rouzet, qui avait remplacé l'abbé Pazagnes, réfractaire au serment civique.
   Le desservant Rouzet, jadis enrôlé dans le régiment de Bretagne, vivait dans sa paroisse en bon républicain, en communauté d'idées avec ses confrères, le curé et le vicaire de la Roche-Blanche, assermentés comme lui.
   Mais à quoi servent les concessions de conscience ? Les prêtres constitutionnels, choyés par le pouvoir quand le pouvoir avait eu le désir de créer un clergé laïque, étaient à leur tour devenus suspects depuis que la Révolution ne voulait plus de clergé du tout.
   Devançant d'instinct l'oeuvre de la convention, Couthon venait, à son retour de Lyon, le 24 brumaire an II (14 novembre 1793), de publier son fameux arrêté sur la suppression des cultes. Désormais tout titre de curé, de vicaire ou de ministre d'un culte était aboli ; supprimés aussi les costumes et les traitements ecclésiastiques, supprimés encore tout signes extérieurs, clochers, cloches, croix, images, statues. Aux termes de l'article 3 :

 " Tous les effets et ornements précieux contenus dans les églises, en nature de cuivre, fer, plomb et argent, devront être retirés sur le champ par des commissaires pris partie dans l'Administration du district, partie dans la Société populaire, pour être envoyés ensuite à la Convention."

   C'est en exécution de cet "ukase" (1) du proconsul Auvergnat que, dix jours plus tard, le dimanche 5 frimaire, les commissaires délégués et la municipalité de la Roche-Blanche se présentèrent à l'église succursale de "Mardogne", pour l'expurger de tous les objets consacrés au culte. La population presque entière du village était sur la place, bourdonnante, houleuse, hostile, mais encore convenue. S'attaquer à leur ancien curé, ç'avait été dur, s'attaquer à leur église, c'était trop. La dépouiller, la voler, voir emporter en plein jour, par des bonnets rouges couvrant des têtes avinées, calices, saints ciboires, ostensoirs, patènes, chandeliers... N'était-ce-pas commettre un sacrilège ou le permettre ?

   Le curé Rouzet envoie chercher la clef du temple chez une bailesse (2). On pénètre, on inventorie, les officiers municipaux en écharpe fouillent le tabernacle, les tiroirs et les crédences, catégorisent par métal leur butin, et, leur besogne terminée, veulent se retirer en cortège. Le secrétaire-greffier porte dans ses bras les effets en cuivre, le procureur de la commune, plus élevé en dignité, a la garde des objets en argent.
   Mais la "majesté de la Loi" ne peut pas en imposer plus longtemps à la foule indignée. Suzanne Chardat a battu le rappel dans toutes les maisons. Les huées, les injures, les outrages tombent comme grêle sur les commissaires ahuris d'une imprécation aussi unanime. Puis ce sont les coups et les horions. On se précipite sur le secrétaire-greffier qui est obligé de lâcher ses reliques, sur le procureur de la commune auquel on arrache les objets sacrés, et qui est contraint de prendre la fuite à toutes jambes. Le cortège entier est mis en pleine déroute, jusqu'aux limites de la section, la population lui fait à coups de pierre une mémorable "conduite de Grenoble" (3).

   Qu'on juge de l'irritation des Représentants du peuples en mission ! Couthon ! Maignet ! Ainsi bafoué, ainsi provoqués chez eux ! Si la première exécution de leurs ordres relatifs au culte entraînait de pareils scandales, qu'en adviendrait-il, grand Dieu ! Ou du moins grand Etre Suprême !

   Aussitôt, le 6 frimaire, Maignet édicte de Clermont l’arrêté suivant :

" Les Représentants du peuple, députés de la Convention nationale près l'armée des Alpes et dans divers départements de la République, 
" Considérant que c'est en frappant les premiers coupables qu'on parvient à répandre la terreur et à arrêter le crime,
" Considérant que c'est à trouver l'auteur de l'émeute qu'il faut s'attacher, que l'auteur du délit est celui qui profitait de l'abus qu'on réforme, que tout indique que c'est Rouzet qui est le provocateur de assassinat commis contre les officiers municipaux dans la commune de la Roche, dans l'exercice de leurs fonctions, puisqu'il est desservant de la ci-devant église que l'on purifiait.
" Considérant que la tranquillité publique a été troublée à Mardogne et qu'il est à craindre qu'elle éprouve à chaque instant de nouvelles atteintes.
" Ordonnent que les Administrateurs du département du Puy-de-Dôme y enverront sur le champ cent citoyens de la garde nationale de cette ville, qui seront logés et nourris aux dépens des habitants du lieu de Mardogne, et que toutes dépenses de cette expédition seront supportées par cette commune, en raison de la part plus ou moins active que chacun a eue à cette émeute, et, dans le cas où l'on ne pourrait parvenir à acquérir les connaissances, que cette somme sera répartie en raison des contributions.
" Chargent expressément l'Accusateur public, auquel sera envoyé par l'Administration du département tant le présent arrêté que le procès-verbal dressé par les officiers municipaux, d'instruire contre le nommé Rouzet, ci-devant desservant de Mardogne, et ses principaux complices la procédure pour fait d’assassinat commis sur des magistrats du peuple dans l'exercice de leurs fonctions.

" Ordonnent que le dit Rouzet sera mis, par les soins du Procureur général syndic sur le champ en arrestation et traduit au Tribunal criminel du département."

" A Clermont-Ferrand, le 6 du mois de frimaire, l'an II de la République une est indivisible. "

  Signé : " Maignet. "


1) Ukase : ou Oukase mot russe pour désigner un décret, un arrêté, une décision.
2) Bailesse : administratrice de l'église  
3) Conduite de Grenoble : vieille expression pour indiquer une exclusion, une reconduite à la sortie de la ville à coups de pierres.

 A suivre dans le prochain article : l’Arrêté de Couthon.


Sources : texte : Le Tribunal criminel Révolutionnaire en Auvergne, Marc de Vissac 1897.
               Photos : © Regards et Vie d'Auvergne.
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