Le Parisien revenu, en Auvergne.
"Les gens qui sont sortis, tout de même ça se connait"
Ludovic, il est "sorti", et il est allé loin, il est allé jusqu'à Paris. Et il y est même resté beaucoup, il y est resté vingt-cinq ans. Quand un homme a passé vingt-cinq ans à Paris, vous pouvez dire qu'il revient changé...
Ludovic est revenu. Il n'avait pas mangé de l'argent... Il a racheté des prés, arrondi son peu de "Cinquantième" et fait construire la Maison.
Oh ! Il a bâti "dans le grand", une belle maison avec un premier, des greniers, et au rez-de-chaussée, grande cuisine pavée, cave, souillarde, "salon" contigu à la cuisine...
entendez la chambre de Ludovic et de son épouse, il y a dedans une table ronde à tapis, une garniture de cheminée, sans compter les autres meubles. Dans la chambre des filles, une armoire à glace. La femme de Ludovic a un poêle à charbon pour les fers à repasser, et les deux conjoints des cartes de visite. Chez Ludovic, on "taille fin" (on est distingué) et on est sérieux aussi, on ne rit pas par les trous des murailles.
Ludovic pouvait bien vivre de ses rentes, personne ne dit le contraire, et encore ? Le plus fin si trompe. Il n'est pas habitué à rester sans rien faire, mais ses filles mariées, et seul avec sa femme, il a de l'ouvrage. N'importe, il n'oublie pas tout-à-fait la supériorité de ses antécédents, et ne s'assimile pas aux gens du commun. ( Les gens qui sont sortis etc...)
"A Paris, on sait toute sorte de choses, on se développe. Une fois on faisait une fête en l'honneur d'un médecin : Pasteur. Vous avez bien dû entendre parler de Pasteur, Louis Pasteur ! Il a inventé un remède pour guérir de la rage... Il y avait beaucoup de monde ...( la conférence continue). Des gens comme lui ont fait du bien à la démocratie, en disant démocratie, on veut dire le peuple."
Ludovic ne laisse pas en friches ses aptitudes politiques. Il est abonné au "Petit Parisien", le lit à la veillée, et le commente le lendemain pour son voisinage.
Une course de taureaux ! Il en a vu une:
-"Les gars du Midi en font beaucoup. Moi j'en ai vu une à Paris. Çà produit une impression vous savez ! Un homme lutte contre les taureaux : on l'appelle le..."le Théodore". Vous en avez peut-être entendu parler. Le "Théodore" doit vaincre un certain nombre de taureaux, celui-là, ... c'était un homme célèbre."
Ainsi Ludovic ne garde-t-il pas égoïstement ses connaissances et ses souvenirs. Son influence, même, il vous l'offre.
-" Si j'avais voulu "pousser" mes filles, je ne portais pas peine pour leur faire passer des examens. Au Ministère de l'Instruction Publique, quand j'allais livrer le charbon, à Paris on dit " le comestible" un jeune homme tout-à-fait comme il faut et haut placé, me disait :
-" Charbonnier, si vous voulez que votre fille ait le brevet, vous n'avez qu'à m'avertir "
On ne se souviendrait peut-être plus de moi, sans quoi je pourrais parler pour quelqu’un.
Aller à Paris, garçon charbonnier, s'enrichir honnêtement et revenir Monsieur, n'est-ce pas une belle vie ?
On finit ses jours avec une barbe en pointe, on ne répond jamais en patois aux étrangers, chez soi, quand on a des visites, on offre une liqueur dans de petits verres, tandis que certains voisins n'offrent que du café ! On a du vin blanc, et pour se laver les mains, une belle fontaine d'émail dans sa cuisine. On ne "casse pas la croûte", on fait un petit "gueuleton" à quatre heures. On ne mange pas la viande sur le pain... On a gardé le souvenir des mets de la ville.
On peut devenir conseiller municipal ou délégué cantonal, et se prenant soi-même au sérieux, on a des chances d'être pris au sérieux par autrui...
On bâtit sur du solide.
Marie-Aimée. Meraville*
* Marie-Aimée Méraville, 1902-1963 institutrice de Condat en Feniers, , auteure Auvergnate de plusieurs livres , Contes de l'Auvergne, le coffre à sel, Miroir etc
Sources : texte de M. A. Méraville l'Auvergne Littéraire et Artistique 1926.
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