Le Tilleul d'Amour, une belle histoire d'Auvergne.

CPA Auvergne Pierre et Maria

  Cinq années avait suffi à Pierre Gravières pour faire fortune et oublier Maria Chardel.

   Sur le pas des portes, dans les chemins, à la fontaine, chacun se communiquait l'invraisemblable nouvelle :

- Il est arrivé hier soir, dans une auto comme un Président !

- Croyez-vous ! Il doit se marier en Normandie avec la fille d'un millionnaire...

- Pauvre Maria Chardel ! Elle va le regretter son Pierre... Ah ! Si le père Chardel avait su !

   Mais allez deviner que cette tête brûlée de Pierre Gravières, ce "marailleur" des bois, ce
valet qui ne restait pas un mois dans la même "borde", pouvait devenir riche un jour !
   Et les rideaux des fenêtres se soulevaient au passage de Pierre, mais lui ne voyait rien, après cinq ans d’absence, il reprenait le contact avec le pays natal.
   Il était parti un soir que le père Chardel lui avait refusé brutalement la main de sa fille Maria. Que voulez-vous ! Ils possédaient un "bien" de huit vaches... les Chardel...
   Les premières années, il connu la misère, les dures journées de "chine", la pluie, la boue, le froid, la faim. Et la souffrance de son amour humilié était au fond de toutes ses rancœurs. 
   Mais ce grand garçon, large d'épaules, au visage mâle, au front volontaire sous les cheveux noirs et drus avait tout vaincu, il allait bientôt épouser la fille unique de Grorimond, le riche quincaillier de Challes, près du Mans, où lui même était établi ferrailleur en gros. 
Lorsqu'il interrogeait ses vieux parents sur ce mariage ceux-ci lui répondait :

- Pierre, tu devrais te marier à une fille de chez nous, si elles ne sont pas très riches, elles sont travailleuses, économes, bonnes ménagères et au moins... vous vous comprendriez, tandis qu'avec ces "étrangères"...

Pierre se mettait à rire et raillait :

- Ah ! Oui... Les filles de chez nous, merci, je ne veux plus en entendre parler !

Il songeait à Maria et se sentait fort.
Depuis son arrivée, il n'avait pas éprouvé la curiosité de savoir ce qu'elle était devenue, il ne désirait pas la revoir.
Mais le hasard veillait...
   Un après-midi que Pierre longeait la rivière, il surprit un groupe de baigneuses et reconnut parmi elles... Maria Chardel.
Cette rencontre fortuite lui rappela tout un passé qu'il croyait mort.
En s'en revenant par les entiers blancs de soleil, croulants de pierrailles, parfumés de genêts et de thym, une grande lassitude l'accabla.
   Il s'assit sur une pierre, en proie à des rêveries tristes. Des lézards chauffaient leurs dos mordorés autour de lui, la rivière moirée coulait au fond du val et dans le ciel de juin, d'un bleu dur, un milan décrivait de larges cercles.
Une envie bête de pleurer le prit.
Le goût amer des baisers, mouillés de larmes, de Maria lui revint aux lèvres.
Malgré les ans et l'oubli menteur, il se ressouvenait avec vivacité du son brisé de sa voix, de l'odeur de ses cheveux, de l'âcre saveur de sa bouche et même de la couleur mauve du soir d'adieu sous le tilleul.
   Dès lors, il mesura sa faiblesse, perdit sa joyeuse insouciance, devint taciturne.
Il avait beau lutter, il était trop faible contre le souvenir. Une passion violente flambait de nouveau dans son cœur.
   Sa vieille mère, avec la sûre intuition des femmes, devinait son tourment, elle le surprit, un jour, à grimper sur le "Chastet", un suq tout rond, d'où la vue dominait le village voisin de Peyrechave et la maison des ...Chardel.
  Chaque soir, maintenant, il montait sur la colline et là, couché dans les herbes, il regardait trembloter la lumière des Chardel et ne redescendait que lorsqu'elle s'était éteinte.
   Dans la nuit calme de juin, les cigales chantaient, des parfums de fleurs flottaient dans l'air tiède... Pierre regagnait sa maison, le cœur lourd.
Il s'oubliait à rêvasser devant le feu, durant des heures. Les deux vieux l'observaient en hochant la tête :

- Le "drôle" a quelque chose.

Se confiaient-ils, lorsqu'il n'était pas là.
Un soir, Pierre Gravière ne monta pas au "Chastet" et avant de se coucher, il dit brusquement :

- L'air du pays ne me vaut rien. Maman ! Prépare ma valise, je pars demain, dans un mois je me marierai, vous viendrez à la noce.

- Eh ! Tu n'y penses pas, pauvre ! S'exclama sa mère, c'est la Saint-Estèphe dimanche, tu passeras bien la fête avec nous et je te ferai de ses "Fougnardes" dont tu es si gourmand...

   Il ne répondit pas, mais le lendemain il ne parlait plus de partir, toute la nuit il avait ressassé ses souvenirs des bals d'antan, quand il dansait avec Maria.
Le jour de la fête arriva, il alla au bal et Maria aussi.
   Elle était toujours jolie, petite et fine, avec ses cheveux noirs et frisés, ses yeux bleus et rieurs fendus en amande, son teint de pain bis, rose aux joues et le sourire éclatant de ses lèvres rouges sur les dents blanches.
Dès qu'ils s’aperçurent ils tournèrent la tête, mais la puissance du souvenir les poussa l'un vers l'autre.
L'accordéon de Pierretou exhalait cette valse qu'ils avaient tant aimée jadis :

J'ai fait l'amour cinq à six mois
Dans la ville de Rennes...

   Sans mot dire, ils s'enlacèrent et se perdirent dans le tourbillon des valseurs.
Ils dansèrent tard dans la nuit et lorsqu'il l'accompagna par les prés piqués des feux des verts luisants, il senti frissonner contre lui le corps chaud de Maria retrouvée.
Avant de se séparer, il demanda :

- Maria, tu n'es pas fiancée ?

- Non, répondit-elle simplement. Et toi, Pierre, on dit que tu vas te marier en Normandie...

Il ébaucha un geste vague et murmura :

- Je ne sais pas, je crois que j'en ai plus envie...

Et de peur de troubler le silence qui suivit, ils se quittèrent mais se sourirent comme autrefois, des larmes brillaient dans les yeux bleus de Maria.

   Les soirées d'été en Auvergne sont chargées d'Amour, capiteuses, gonflées de sève et veloutées comme des joues de bergères.
   Pierre et Maria se rencontraient maintenant chaque soir, sous le tilleul qui étendait sa ramure odorante près d'une vieille grange, à mi-chemin entre les deux villages, on l'appelait le "Tilleul d'Amour"  et il méritait bien son nom car depuis des générations, les couples qu'il avait unis ne se comptaient plus.
 Et juillet arriva, Pierre gravières n'était pas encore reparti.
Il se sentait tout près de la terre, une vie forte bouillonnait dans sa chair.
   Un après-midi que le soleil chauffait à blanc, il monta sur le "Chastet". Les villages alentour, dormaient dans un tremblotement de lumière. Et là-bas, au balcon gris des Chardel, la robe de Maria faisait un tache vivante.
Il dévala du suc, passa la rivière sur le pont en bois, traversa le village aux maisons closes, aux chats sommeillants et se trouva devant la demeure des Chardel.
Il poussa la porte, Maria était seule, elle l’accueillit en rougissant. Elle fleurait le linge blanc et la lavande.
Il la pressa dans ses bras, s'assit à côté d'elle, près de la table, sur le banc rugueux, chercha ses lèvres.
La pièce était obscure et fraîches, le grillon chantait dans la cendre, au loin, on entendait l'appel sonore d'un pâtre et le grincement d'un char, chargé de foin, qui descendait les côtes...
Dans le logis, le silence se prolongeait, Pierre le rompit :

- Je repars en Normandie... J'ai besoin d'une femme gente, bonne et vaillante à l'ouvrage  comme toi... Veux-tu m'accompagner Maria ?

- Je veux bien, Pierre ! Répondit-elle.

Et le soir, Pierre gravières, devant la soupière fumante, sous la lampe, annonça simplement à ses parents :

- J'épouserai Maria Chardel.








Sources : Auvergne littéraire, au Pays d'Artense, Léon Gerbe, 1932.
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