Confettis.
Comme chaque semaine, et bien que la fête dût recommencer le soir, Pierre Mireille reprit au lundi matin la route du collège.
Souliers cirés, habits bien brossés. Oh ! Les méticuleuses attentions des mamans, casquettes crânement tirée en arrière, il s'en va, son petit baluchon à la main. Dernier coup d’œil au village. Baraques de forains, aux toiles grises délavées. Une femme des roulottes, jaune et dépeignée, crie aigrement, assise sur l'escalier de sa maison mobile. Un feu de bois trop humide fume sans flamme. Sur la place du bal, les branchages de l'estrade sont flétris, où jouaient hier les musiciens. Les rues sont sales. Des confettis partout. En couche épaisse ici, où la bataille a fait rage, là, plus clairsemés. Mais, rouges, verts, partout des
petits ronds, une mosaïque sur la chaussée, jusque dans les fossés boueux, jusque sur la route en dehors du village.
Jusque dans les poches de Pierre Mireille, il tire son mouchoir, et c'est une nuée de confettis qui s'envolent, tourbillonnent, se hâtent et vont finalement rejoindre leurs frères sur la route grise du lundi matin. Pierre Mireille les suit du regard, comme ils sont partis gaiement ! Mais non, il faut qu'ils tombent, ils sont trop lourds. Celui-ci, monté si haut, redescend maintenant très vite en tournoyant sur lui même et s’aplatit brusquement sur le sol. Celui-là qui sait bien que, tôt ou tard. Il ira à terre, préfère descendre tout de suite. Cet autre effleure longtemps la route. Il voudrait s'élever, gagner les hauteurs libres... pauvre fou ! Un caillou l'arrête. Il s'entrave, et, comme tous les autres, le voici vaincu, les ailes brisées.
Petits confettis rouges et verts, confettis qui jonchez la route, si vous pouviez parler ! Les belles histoires que vous nous conteriez, le chaud concert de joie, les doux chants d'amour qui s'élevaient sous nos pas ! Vous nous diriez comment ce grand garçon vous jetait par poignées à la face de toutes les belles qu'il rencontrait. Parfois, il s’avançait traîtreusement vers l'une, la main pleine derrière le dos. Dès qu'elle parlait, vlan ! Dans la bouche. Elle toussait, crachait, la pauvre ! Mais les jolis petits ronds sombres que vous faisiez sur l'émail de ses dents ! Vous nous diriez comment l'adolescent timide, qui avait eu quinze ans le jour de Pâques et qui, pour rien au monde malgré ses désirs, n'ont osés adresser la parole à une demoiselle, vous avait achetés à la grosse marchande épanouie. Et comment, à la jeune fille rose et rieuse qui lui faisait battre le cœur si fort, il vous a, jeté tous, lui témoignant ainsi qu'il l'a trouvait jolie.
Que de plaisir avec les confettis minuscules, confettis de papier. Ils se sont abattus sur la vieille dame, étonnée et joyeuse de voir qu'on s’intéressait encore à elle. Ils ont caressé les fillettes, trop jeunes pour suivre leurs aînées dans les bals. A tous ils ont donné l'insouciante gaieté de leur vol plein de soleil. Aux cheveux noirs de la danseuse, ils ont apporté l'éclat pailleté de leurs feux bicolores. A l'uniformité des robes ils ont ajouté la bigarrure de leurs petits cercles. Ils se sont glissés dans les corsages entre-baillés... Et dans sa chambre en quittant sa chemise, la jeune fille a fait couler à terre la pluie fine et chatoyante des confettis prisonniers.
Ainsi songeait Mireille. Tout absorbé par ses rêveries, il avançait machinalement, sur la route où le soleil naissant traçait en parallèles les ombres des troncs d'arbres. Une brise fraîche s'était levée, qui aidait les rayons dorés à chasser l'ennui sale de ces heures incertaines où il a cessé d'être nuit sans faire encore jour. La nature sortait de son sommeil. L'herbe des talus, plus verte, s'agitait doucement, les feuilles des arbres frissonnaient de lumière. D'en haut descendait, comme un appel à la vie, le chant des alouettes.
Et Mireille se sentait plus léger : toute fatigue avait disparu.
Sources : Alexandre Borrot, Auvergne littéraire et artistique 1924.
© Regards et Vie d'Auvergne.
http://www.regardsetviedauvergne.fr/
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
Souliers cirés, habits bien brossés. Oh ! Les méticuleuses attentions des mamans, casquettes crânement tirée en arrière, il s'en va, son petit baluchon à la main. Dernier coup d’œil au village. Baraques de forains, aux toiles grises délavées. Une femme des roulottes, jaune et dépeignée, crie aigrement, assise sur l'escalier de sa maison mobile. Un feu de bois trop humide fume sans flamme. Sur la place du bal, les branchages de l'estrade sont flétris, où jouaient hier les musiciens. Les rues sont sales. Des confettis partout. En couche épaisse ici, où la bataille a fait rage, là, plus clairsemés. Mais, rouges, verts, partout des
petits ronds, une mosaïque sur la chaussée, jusque dans les fossés boueux, jusque sur la route en dehors du village.
Jusque dans les poches de Pierre Mireille, il tire son mouchoir, et c'est une nuée de confettis qui s'envolent, tourbillonnent, se hâtent et vont finalement rejoindre leurs frères sur la route grise du lundi matin. Pierre Mireille les suit du regard, comme ils sont partis gaiement ! Mais non, il faut qu'ils tombent, ils sont trop lourds. Celui-ci, monté si haut, redescend maintenant très vite en tournoyant sur lui même et s’aplatit brusquement sur le sol. Celui-là qui sait bien que, tôt ou tard. Il ira à terre, préfère descendre tout de suite. Cet autre effleure longtemps la route. Il voudrait s'élever, gagner les hauteurs libres... pauvre fou ! Un caillou l'arrête. Il s'entrave, et, comme tous les autres, le voici vaincu, les ailes brisées.
Petits confettis rouges et verts, confettis qui jonchez la route, si vous pouviez parler ! Les belles histoires que vous nous conteriez, le chaud concert de joie, les doux chants d'amour qui s'élevaient sous nos pas ! Vous nous diriez comment ce grand garçon vous jetait par poignées à la face de toutes les belles qu'il rencontrait. Parfois, il s’avançait traîtreusement vers l'une, la main pleine derrière le dos. Dès qu'elle parlait, vlan ! Dans la bouche. Elle toussait, crachait, la pauvre ! Mais les jolis petits ronds sombres que vous faisiez sur l'émail de ses dents ! Vous nous diriez comment l'adolescent timide, qui avait eu quinze ans le jour de Pâques et qui, pour rien au monde malgré ses désirs, n'ont osés adresser la parole à une demoiselle, vous avait achetés à la grosse marchande épanouie. Et comment, à la jeune fille rose et rieuse qui lui faisait battre le cœur si fort, il vous a, jeté tous, lui témoignant ainsi qu'il l'a trouvait jolie.
Que de plaisir avec les confettis minuscules, confettis de papier. Ils se sont abattus sur la vieille dame, étonnée et joyeuse de voir qu'on s’intéressait encore à elle. Ils ont caressé les fillettes, trop jeunes pour suivre leurs aînées dans les bals. A tous ils ont donné l'insouciante gaieté de leur vol plein de soleil. Aux cheveux noirs de la danseuse, ils ont apporté l'éclat pailleté de leurs feux bicolores. A l'uniformité des robes ils ont ajouté la bigarrure de leurs petits cercles. Ils se sont glissés dans les corsages entre-baillés... Et dans sa chambre en quittant sa chemise, la jeune fille a fait couler à terre la pluie fine et chatoyante des confettis prisonniers.
Ainsi songeait Mireille. Tout absorbé par ses rêveries, il avançait machinalement, sur la route où le soleil naissant traçait en parallèles les ombres des troncs d'arbres. Une brise fraîche s'était levée, qui aidait les rayons dorés à chasser l'ennui sale de ces heures incertaines où il a cessé d'être nuit sans faire encore jour. La nature sortait de son sommeil. L'herbe des talus, plus verte, s'agitait doucement, les feuilles des arbres frissonnaient de lumière. D'en haut descendait, comme un appel à la vie, le chant des alouettes.
Et Mireille se sentait plus léger : toute fatigue avait disparu.
Alexandre Borrot.
Sources : Alexandre Borrot, Auvergne littéraire et artistique 1924.
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