Une Peur, de Raymond Cortat.

Vaches la nuit.

Une Peur.

   Juillet venait d'ouvrir à deux battants la porte dorée des vacances.
Quand nous descendîmes du train, Chaneil et moi, il faisait déjà sombre. Trente kilomètres nous séparaient de Verniols, où l'on ne  nous attendait que le lendemain, à l'arrivée de la traditionnelle Patache. Mais cette randonnée en pleine nuit, loin de nous effrayer, attisait cette ardeur d'aventure qui couve au cœur des jeunes gens, plus vive encore chez nous, à cause des longs mois de réclusion au "bahut".
Nous avions accroché à nos machines, pour éclairer la route, un de ces énormes globes de papier dont on pavoise les fêtes nocturnes. Le mien était rouge. La joie de tomber dans nos familles, à l'improviste, nous donnait des ailes. Nous pédalions avec vigueur, ivres de liberté.
   Vers deux heures du matin, nous atteignîmes enfin la rude pente qui mène au col de la Malmouche. Nous marchions lentement, poussant nos vélos, bavardant ou chantant. La route, jalonnée par les hautes stèles des pylônes électriques traversait des pacages sans clôture, le vaste domaine des Prades.
   Tout à coup, un mugissement sourd troua longuement les ténèbres. D'autres rumeurs traînèrent, entrecoupées de souffles rauques et de bruits de sonnailles. Des masses confusent s'agitaient, se soulevaient dans l'ombre. Toute la"vacade" plus de cent bêtes peut-être, s'était réveillée à l'appel des taureaux. Aux lueurs dansantes des lanternes, elles se mouvaient formidablement. Leurs mufles tendus nous flairaient au passage
.
   Cela faisait maintenant, sur notre gauche, une sorte de mur étrange, formé de blocs rougeâtres.
Et, soudain le mur farouche s'ébranla:

-" Ta lanterne ! Éteins ta lanterne ! Bon Dieu ! Les bêtes nous chargent !..."

   La vacade se ruait sur nous, en une terrifiante houle d'échines pressées, un mascaret furieux hérissé de cornes, qui roulait avec un grondement de tonnerre.
   Hébété, j'écrasai la lanterne entre mes mains, tandis que Chaneil, ayant sauté sur son vélo, fonçait sur la pente. Je me jetai derrière un pylône, et couchai ma bicyclette près de moi, dans le fossé de la route.
   Quelques secondes après le fantastique déferlement débordait l'abri contre lequel je m'étais collé, les épaules rentrées. L’obscurité revenue, il y eut un désarroi parmi les animaux. Je les entendis courir un moment, puis ils s'arrêtèrent; ils se recouchaient çà et là, vaguement inquiets, humant les ténèbres.

-" Hoé ! Hoé ! "

    Chaneil m'appelait. Je le rejoignis, hagard, la gorge sèche, le cœur battant à grands coups sonores, irréguliers, les yeux encore pleins de la monstrueuse vision...




Sources : Texte de Raymond Cortat, l'Auvergne littéraire, artistique, historique et            économique,  1931.
                   Photo : © Regards et Vie d'Auvergne.Alain-Michel.
                   http://www.regardsetviedauvergne.fr      
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