L'Auvergne, notre petite Patrie.

L'Auvergne, notre petite Patrie.

paysage d'Auvergne, champs, village, plaine


Mon Auvergne :

   Ce n’est jamais sans émotion que je pense à ce plateau septentrional de l’Auvergne, qui m’est cher.

   Ce n’est pas que cette pénéplaine granitique soit très belle ou très pittoresque. Loin de là. Elle est plutôt monotone et triste. Mais que voulez-vous, c’est un pays
qu’on aime parce qu’on y a vécu. Quand on y retourne, ça vous fait toujours quelque chose au cœur. Lorsque, évadé de quelque ville lointaine, on approche du village familier, à la nuit tombante, on a l’impression de revenir vers quelque chose de très ancien, de très doux, de très calme. Alors on presse le pas, on fonce sur les pédales, on appuie sur l’accélérateur, et on ouvre tout grands les yeux afin d’apercevoir le plus vite possible le clocher pointu du village, au bout de la route, dans la pénombre.

   Comment définir cet amour que nous portons à notre coin de terre ? C’est un sentiment fait de mille petits riens, de moments heureux ou malheureux que le temps n’a pu ôter de notre mémoire, de visions qui restent encore présentes aux yeux. C’est un ensemble de réminiscences de sensations évanouies et que l’on retrouve toutes fraîches.
    Ce sont les odeurs de foins coupés, de terre mouillée par les premières gouttes de pluie, des coins de ciel où courent des nuages bas, un goût de petit-vin, des soins doux, des matins dorés, lavés, fluides, des appels rauques de vieilles bergères, un ronronnement  de batteuse apporté par le vent. C’est un afflux de souvenirs qui se chevauchent, se mélangent, se fondent, se décantent, se simplifient, se caractérisent pour former dans l’esprit une suite d’images qu’on ne distingue pas tout d’abord mais qui plus tard, avec l’éloignement, s’impose à vous, impérieuse.

   Ce sont des gerbes qu’on a liées, l’après-midi en pleine chaleur ; les tiges coupées craquaient sous les pieds et l’on avait les mains tout écorchées par les chardons, car dans ce fichu pays on récolte par endroits autant de chardons que de blé.
   Ce sont des chemins de montagne, toujours montant, descendant et tournant, pleins de creux, de trous, de bosses, de blocs et de cailloux, où après trois jours de pluie, la boue est telle que c’est toute une affaire pour avancer sans se tremper dans l’eau noirâtre et visqueuse jusqu'aux chevilles, où, pour rouler en vélo, il faut être presque acrobate, ce qui ne nous empêche d’ailleurs pas, un beau matin, de glisser pour tout de bon et de sortir de cet accident les pieds et les mains recouverts d’une fange faite d’eau stagnante, de terre sale, de pisse, de bouse, en pestant plus qu’il ne faut pour se damner, en traitant les paysans de butors, le maire de « baderne » et le chef cantonnier d’âne fieffé.

   C’est le bruit de la masse des carriers extrayant la lave sombre, dans des carrières en forme de cirques, cachées et disséminées au milieu des bois, dans un pays à végétation courte et pauvre, mais serrée, touffue, hirsute, inextricable, pays couvert de lits de poussière grise et de monceaux de pierrailles, véritable bled, région chaotique, angoissante, sinistre.
   C’est le bruit que font les bêtes au râtelier, en tirant sur leur chaîne, ce sont des relents d’étables, qui sentent bon le fumier, le purin, la litière et le lait bourru.
   C’est une matinée de printemps, légère, humide, réfrigérante, au cours de laquelle il fait bon courir à travers champs, face au vent qui, par moments, vous plaque sur le visage des flocons de neige perdus par quelque nuage pressé, filant dans un azur tout neuf, bien propre, ayant mis tout l’hiver pour faire sa toilette.

   Notre pays c’est cela. Il n’est peut-être pas plus beau que les autres, mais nous l’aimons mieux que les plus magnifiques, tout simplement, tout bêtement parce que c’est le nôtre, parce qu’il nous révéla la nature et la paix des champs, parce que nous y avons laissé un peu de nous-même et que c’est bien rare si nous n’y avons quelque peu ri, pleuré, aimé et souffert.

   Notre pays est beau le soir, lorsqu'il fait tiède et que nous contemplons, la tête renversée, l’infini noir piqué de points brillants. Entre les grosses étoiles nous en apercevons d’autres plus petites, qui sont peut-être plus grosses que les grosses. Plus nous regardons et plus nous en découvrons. Cela devient une poussière d’étoiles, il n’y a plus d’ombre, il ne reste qu’une immensité de points lumineux et ce spectacle, on ne peut le goûter complètement que dans l’atmosphère pure et calme de la montagne.

   Notre pays est beau à midi lorsque les lointains disparaissent dans une brume qui rend indécise la limite entre ciel et terre, lorsque la lumière semble consistante, pesante, qu’elle semble engourdie, écraser les objets qu’elle enveloppe, qu’elle étreint. On dirait qu’elle est formée d’une infinité de corpuscules lumineux, s’agitant, dansant, tourbillonnant, faisant vibrer toutes  choses, les arbres, les villages. Et cependant ces arbres, ces villages, sont d’une immobilité lourde qui leur confère une majesté parnassienne.



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 Notre pays est beau le matin, au lever du soleil, qui sort de l’océan de brume recouvrant la plaine immense. Cette brume pénètre dans les vallées entaillant le plateau, si bien que les parties hautes de celui-ci sont comme des îles au milieu d’une mer de brouillard. Les échancrures de la vallée profilent leurs silhouettes qui forment une symphonie visuelle dégradée, allant du noir des parties proches au blanc des parties éloignées. Les objets prennent consistance et couleur dans la mesure où ils sont près de nous. L’effet est très particulier de cette précision des formes et des teintes qui varient avec la distance, de ces arbres et de ces verts qui sont à l’horizon du fouillis et du gris, à mille mètres des façons d’arbres et des manières de verts, et près de nous des arbres et des verts pour de bon. La lumière horizontale éclaire d’un jaune pâle le mur oriental des maisons, mais n’est ni assez puissante ni assez haute pour dégager le rouge des toits. Cet éclairage latéral est curieux par l’aspect inhabituel qu’il donne aux villages, qui semblent éclairés par des projecteurs électriques.
   Les chiens aboient et se répondent de ferme en ferme. Les coqs jettent leur chant qui arrive de partout, tantôt proche et strident, tantôt lointain et amorti. La vie renaît petit à petit. De la plaine qu’on ne voit pas des bruits montent, des bruits qu’on ne saurait définir, un ensemble de bruits où l’on croit reconnaître des roulements de train, des trompes d’autos, des cris humains, le tout uni et adouci par la distance et la brume.
La lumière monte, les contours se durcissent, les couleurs s’accentuent, les blés deviennent plus dorés, les seigles deviennent plus blonds, les genêts où chantent les grillons deviennent plus verts, le ciel qui ne savait pas s’il devait être blanc ou rose s’est décidé à être bleu.
    C’est le petit lever de la nature, répétition quotidienne et réduite du grand lever réglé il y a belle lurette par le Père Éternel, lequel aurait bien fait de s’arrêter là et de ne pas peiner ensuite pour fabriquer le « bipède », qui est la sale bête la plus malfaisante et la plus inutile de la création…


paysage d'Auvergne, montagnes, arbres, nature

   C’est l’heure où il fait bon marcher sur la route qui mène à la hauteur. Il se produit alors une lutte entre la nuit et le jour, entre le froid et la chaleur, lutte qui se traduit sur l’épiderme par deux sensations différentes et simultanées : le froid qui reste de la nuit vous rafraîchit agréablement et les premiers rayons vous communiquent leur douce chaleur. Et ce qui est remarquable, ce qui est délicieux, c’est que ce froid et ce chaud ne se neutralisent pas pour former sur la peau une sensation unique, c’est qu’ils se font sentir chacun bien séparément, l’un à côté de l’autre et l’un après l’autre.
Rien n’est plus beau que l’aurore, que la renaissance de la vie. Rien n’est plus beau que de voir les objets prendre forme, que de voir se recréer progressivement l’enchantement des couleurs, que d’entendre les bruits annonçant le réveil de l’homme, que d’assister du haut d’un point élevé à cette résurrection de la nature.  

      C’est émouvant au possible. On a devant soi une paroisse dont les origines se perdent dans la nuit des temps, sa structure est de l’ère primaire, on y voit une église romane, un château féodal, les chaumières sont vétustes, les habitudes ancestrales, les moyens d’existence n’ont guère changé depuis des siècles, les familles sont peu nombreuses, ce sont des familles installées dans leur terroir de temps immémorial, elles ont leurs vieilles lettres de noblesse paysanne. Et des petits villages, on les a sous les yeux, on les voit surgir de l’ombre, revivre, comme avant, comme depuis toujours !


Conclusion:

   Alors, en considérant l’inertie géologique de cette nature souveraine, et la ronde impassible et machinale des jours et des siècles, combien nous avons conscience de la fragilité, et de la brièveté de nos existences !
   Nous pouvons nous consoler en pensant que nous portons en nous le refuge de l’esprit, alors que la nature ne porte en elle que le gouffre de l’éternelle immensité.
Et en pensant que nous l’humanisons, la nature,  que nous nous l’incorporons, que nous nous en rendons maîtres en quelque sorte, par l’amour que nous lui portons.




Sources: Auvergne littéraire 1936, Pierre Paulin-Vert.
                 © Alain Michel Regards et Vie d'Auvergne.
                 Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.





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