Mon Noël en Auvergne.
(JF.Marmontel , qui vécut au XVIIIè siècle, (1723/1799), fit ses premières études à Mauriac, petite ville d’Auvergne, département du Cantal. Il était logé, comme pensionnaire dans une pauvre famille avec quatre camarades, élèves comme lui du collège.)
Mes petites vacances de Noël se passaient à jouir, mes parents et moi, de notre tendresse mutuelle, sans d’autre diversion que celles des devoirs de bienséance et d’amitié.
Comme la saison était rude, ma volupté la plus sensible était de me trouver à mon aise auprès d’un bon feu ; car à Mauriac, dans le temps même du froid le plus aigu, quand les glaces nous assiégeaient et lorsque, pour aller en classe, il fallait nous tracer nous-mêmes, tous les matins, un chemin dans la neige, nous ne trouvions au logis que le feu de quelques tisons qui se braisaient sous la marmite, et auxquels à peine, tour à tour, nous était-il permis de dégeler nos doigts : encore, le plus souvent, nos hôtes assiégeant la cheminée, était-ce une faveur de nous laisser approcher ; et le soir, durant le travail, quand nos doigts engourdis de froid ne pouvaient plus tenir la plume, la flamme de la lampe était le seul foyer où nous pouvions les dégourdir.
Quelques-uns de mes camarades qui, nés sur la montagne et endurcis au froid, l’enduraient mieux que moi, m’accusaient de délicatesse ; et, dans une chambre où la bise sifflait par les fentes des vitres, ils trouvaient ridicule que je fusse transi et se moquaient de mes frissons. Je me reprochais à moi-même d’être si frileux et si faible, et j’allais avec eux sur la glace, au milieu des neiges, m’accoutumer, s’il était possible, aux rigueurs de l’hiver.
Je domptais la nature, je ne la changeais pas, et je n’apprenais qu'à souffrir. Ainsi quand j’arrivais chez moi et que, dans un bon lit ou au coin d’un bon feu, je me sentais tout ranimé, c’était pour moi l’un des moments les plus délicieux de la vie ; jouissance que la mollesse ne m’aurait jamais fait connaître.
Dans ces vacances de Noël, ma bonne aïeule, en grand mystère, me confiait les secrets du ménage. Elle faisait voir, comme autant de trésors, les provisions qu’elle avait faites pour l’hiver : son lard, ses jambons, ses saucisses, ses pots de miel, ses urnes d’huile, ses amas de blé noir, de seigle, de pois et de fèves, ses tas de raves et de châtaignes, ses lits de pailles couverts de fruits.
-« Tiens, mon enfant, me disait-elle, voilà les dons que nous a faits la Providence. Combien d’honnêtes gens n’en ont pas reçu autant que nous, et qu’elles grâces n’avons-nous pas à lui rendre de ses faveurs ! »
Pour elle-même, rien de plus sobre que cette sage ménagère ; mais son bonheur était de voir régner l’abondance dans la maison. Un régal qu’elle nous donnait avec la plus sensible joie, était le réveillon de la nuit de Noël. Comme il était tous les ans le même, on s’y attendait, mais on se gardait bien de s’y être attendu ; car tous les ans elle se flattait que la surprise en serait nouvelle, et c’était un plaisir qu’on avait soin de lui laisser.
Pendant qu’on était à la messe, la soupe aux choux verts, le boudin, la saucisse, l’andouille, le morceau de petit salé le plus vermeil, les gâteaux, les beignets de pommes au saindoux, tout était préparé mystérieusement par elle et l’une de ses sœurs.
Et moi, seul confident de tout cet appareil, je n’en disais mot à personnes. Après la messe on arrivait, on trouvait ce beau déjeuner sur la table, on se récriait sur la munificence de la bonne grand-mère, et cette acclamation de surprise et de joie était pour elle un plein succès.
JF.Marmontel.
Sources: Lectures françaises, R. Bazin, 1923.
© Alain Michel Regards et Vie d'Auvergne.
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.