Les vendanges Auvergnates.
Les vendanges ! Ce mot-là réveille chaque année dans mon cœur le souvenir d’une de mes joies d’enfant les plus vives…
La proclamation des bans, qui se faisaient huit jours à l’avance, était déjà pour nous, les gamins de la ville, comme un avant-goût de la fête. Solennellement, par les rues, le crieur public allait, précédé d’un tambour. Nous le suivions pas à pas. Il s’arrêtait aux carrefours principaux, et, de sa voix nasillarde, lisait l’arrêté municipal qui fixait à chaque propriétaire de vignes son jour pour vendanger:
-« Ceux du canton de… vendangeront le… »
Telle était la formule. Les cantons avaient en général des noms très-drôles que nous
répétions en nous moquant…
répétions en nous moquant…
Le grand jour venu, nous étions sur pieds dès l’aube, ne voulant manquer à aucun détail de la fête. Dès cinq heures du matin, nous courions sur le marché où se tenaient les vendangeurs. Foule grouillante. Tous, hommes et femmes, pauvres gens de la campagne, accourus des hameaux voisins pendant la nuit, ils attendaient le loueur un panier à la main.
On les engageait par troupes :
-« Combien êtes-vous ensemble ? Dix, vingt, trente….c’est bien ! vingt sous aux hommes, dix sous aux femmes ; nourris, du vin aux deux repas, un panier de raisin à emporter. Ça vous va-t-il, »
On discutait, on marchandait, on débattait…puis le marché finissait toujours par se conclure, et la troupe partait dirigée par le maître vigneron.
La vigne était située à deux, trois kilomètres de la ville. Nous aurions pu faire le trajet à pied, certes, nous l’avons déjà fait tant de fois ainsi, mais le plaisir d’aller sur le char long, à quatre roues, traîné par deux bœufs !...
Ce char long, traîné par deux bœufs, transportait à la vigne les bachoues (chez nous on dit : les bacholes), vides, puis il les rapportait à la cuve pleines de raisin pressé.
Ce char long, traîné par deux bœufs, transportait à la vigne les bachoues (chez nous on dit : les bacholes), vides, puis il les rapportait à la cuve pleines de raisin pressé.
C’était une grande joie pour nous de voyager dans une bachoue vide. On nous avait mis pour la circonstance ce que nous avions de plus fripé en vêtements, vieille blouse et vieilles culottes.
« Allez, et soyez bien sages ! »
Et nous partions rejoindre les travailleurs. Les grands parents n’allaient à la vigne qu’à l’heure du déjeuner.
Quand nous arrivions, les vendangeurs avaient depuis longtemps déjà commencé leur besogne. On les apercevait de loin, se courbant, se redressant, accroupis au pied des ceps, pendant que d’autres descendaient ou montaient lentement les allées.
La vigne occupait tout un pan de coteau et venait aboutir à un mur de soutènement élevé à une quinzaine de pieds au-dessus de la route.
La vigne occupait tout un pan de coteau et venait aboutir à un mur de soutènement élevé à une quinzaine de pieds au-dessus de la route.
Les longues files des ceps apparaissaient, régulièrement plantées, espacées, comme des soldats au port d’armes sur un champ de manœuvres, dominées de distance en distance par de grands arbres fruitiers qui avaient l’air de capitaines. La porte basse était taillée dans le mur. On montait quelques marches au haut desquelles une allée parallèle au mur conduisait à la cabane.
Aussitôt arrivés, nous courions aux travailleurs. D’un cep à l’autre, ils allaient, serpettes et ciseaux à la main, le panier d’osier près d’eux par terre ; tous causant, riant, faisant enrager les fillettes. Quelques-uns chantant. Le long des allées circulaient les hommes chargés de la hotte.
Quand un panier était plein…
-« Hola ! Hé ! L’homme à la hotte !... »
L’homme à la hotte s’approchait, s’inclinait de côté pour permettre au vendangeur de vider son panier dans la hotte. Puis, quand la hotte était pleine, il descendait lentement jusqu’au mur, le long duquel, sur la route, les bachoues vides avaient été disposées.
La hotte vidée dans la bachoue, le hottier remontait toujours avec la même lenteur sage et calculée.
La bachoue est une espèce de baquet en bois qui sert à transporter le raisin dans la cuve. Quelquefois la cuve est à proximité de la vigne, alors la bachoue est inutile, le raisin passe directement de la hotte à la cuve ; mais le plus souvent la cuve est en ville, et la bachoue sert au transport de la récolte. La bachoue pleine de raisin pressé, foulé, pèse cent kilogrammes. La bachoue n’est pas un ustensile moderne, non plus qu’un ustensile particulier à tel ou tel pays. Au « Campo-Santo » de Pise, dans la merveilleuse fresque de Henozzo-Gozzoli représentant les vendanges de Noé, figure une bachoue.
Est-il besoin de dire que nous aussi nous nous mettions avec ardeur à la cueillette, Mais pour aller trop vite, nous nous lassions bien vite aussi. Alors jetant là paniers et serpettes, nous nous mettions à courir, à nous poursuivre dans les allées, brisant les ceps, foulant les feuilles sèchent qui criaient sous nos pas.
Et puis, suprême bonheur ! Nous dérobions de temps en temps une grappe de raisin à la vigne du voisin !
Bien meilleur le raisin volé au voisin !...
Et puis, suprême bonheur ! Nous dérobions de temps en temps une grappe de raisin à la vigne du voisin !
Bien meilleur le raisin volé au voisin !...
L’heure du déjeuner approchait. Nous ignorons à Paris ces appétits formidables qui poussent au grand air, après cinq heures de course, d’exercice et de mouvement ; et bien souvent il m’arrive d’évoquer, avec un soupir de regret, ces solides déjeuners des jours de vendanges, à base de lard et de jambon.
La table dressée dans la cabane était étroite, mais longue, et tous y prenaient place sur des bancs de bois, maîtres et serviteurs. Couverts d’étain pour tout le monde, et pas d’assiettes de rechange. Chacun se servait du couteau qu’il avait apporté ; tant pis pour qui n’avait pas eu la précaution de se munir d’un « eustache » à l’avance. Le vin était servi dans des pichets de grès. Quelques-uns buvaient dans des verres, d’autres dans des tasses en étain, d’autres dans des écuelles de terre ou de bois.
Jambon, omelette, gros pain de froment, mêlé de seigle ; par exemple, un plat de résistance invariable autant qu’inévitable, si bien qu’on l’appelait chez nous le plat des vendanges.
Monselet, mon maître, dressez l’oreille : dans une vaste terrine, large et profonde, littéralement tapissée de beurre au préalable, une épaule de mouton s’étalait sur un lit et sous une couche de pommes de terre coupées en tranches plates. On fourrait ça dans le four et on laissait cuire longtemps. Les pommes de terre à la surface sortaient de là, grillées, dorées, croustillantes.
Il n’y en avait pas pour tous de celles-là ; les maîtres se les adjugeaient sans vergogne. Au-dessous elles étaient grasses, imbibées du suc de l’épaule, mais blanches et molles, excellentes, néanmoins, est-il besoin de le dire ?... et chaudes.
Ah ! Dieu, que de cris ! Tous les goulus s’y laissaient prendre, et c’était des rires sans fin.
Ah ! Dieu, que de cris ! Tous les goulus s’y laissaient prendre, et c’était des rires sans fin.
Au dessert, on apportait la tourte aux pommes, gigantesque.
Les vendangeurs, que nous avons vus travailler lentement, mangeaient plus lentement encore, à la façon des ruminants. Bien avant eux nous avions quittés la table et repris nos ébats… chasser les grenouilles aux bords de la citerne, abattre les pommes à coups de pierres, faire des armes avec des échalas en guise d’épées, puis redescendre aux bachoues, aider à presser le raisin de nos mains et de nos pieds.
Les vendangeurs, que nous avons vus travailler lentement, mangeaient plus lentement encore, à la façon des ruminants. Bien avant eux nous avions quittés la table et repris nos ébats… chasser les grenouilles aux bords de la citerne, abattre les pommes à coups de pierres, faire des armes avec des échalas en guise d’épées, puis redescendre aux bachoues, aider à presser le raisin de nos mains et de nos pieds.
Vers deux heures, les invités arrivaient. Dames et grandes jeunes filles aux toilettes élégantes, petits messieurs musqués. On faisait cérémonieusement un tour de vigne. Du bout des doigts, on cueillait une grappe que l’on mangeait du bout des dents. On causait de la récolte :
-« Aurez-vous autant de bacholes que l’an passé ? »
-« Plutôt moins ! »
-« Vraiment ? »
-« Oui les gelées de mai nous ont bien fait du tort. Et voyez un peu le voisin là, tout à côté, n’a presque pas souffert ! »
A quatre heures, on collationnait, on goûtait le vin doux. Cette fois, les travailleurs n’en n’étaient pas.
Cependant à mesure que les bachoues allaient remplir la grande cuve à la ville, des hommes robustes, plongés dans cette cuve profonde, foulaient le raisin de leurs pieds vigoureux.
C’était pour nous le plaisir du soir.
Quand l’approche de la nuit nous chassait de la vigne, nous courrions au hangar où la cuve se dressait et nous assistions au foulage ; quelques fois même nous y prenions part.
A sept heures, la cueillette était finie. Les vendangeurs, chacun portant son panier de raisins qui ne devait rien à l’octroi, reprenaient le chemin de la ville et venaient dîner à la maison.
Et après le dîner, comme couronnement de cette journée de fête et de fatigue, les plus intrépides dansaient.
Mais je m’aperçois que j’ai parlé tout le temps au passé, comme si ces choses n’existaient plus !
Si vraiment ces mêmes choses existent toujours, et tous les ans se passent de même. Les vieilles, mêmes bachoues servent encore là-bas, je le gagerais.
Et il y a, chaque année, des enfants jeunes comme nous l’avons été, qui s’amusent de ce qui nous a amusés.
Et il y a, chaque année, des enfants jeunes comme nous l’avons été, qui s’amusent de ce qui nous a amusés.
Je les envie…
Pourquoi les envier, me direz-vous ?
L’enfant a ses plaisirs, l’âge mûr a les siens.
L’enfant a ses plaisirs, l’âge mûr a les siens.
Oui, mais je n’ai pas retrouvé dans l’âge mûr l’équivalent de ce plaisir des vendanges...!
Gabriel Guillemot.1875.
Sources: texte de Gabriel Guillemot.
Sources: texte de Gabriel Guillemot.
© Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
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