La neige en Haute-Loire, hier.

la neige en haute-Loire CPA la Chaise-Dieu

   Il neige depuis la veille au soir dans la montagne, un peu tardivement, ce matin-là sous un lourd manteau blanc La Chaise-Dieu se réveille.
   Un épais tapis de ouate couvre le sol des rues de la vieille cité monacale, assourdissant le pas des rares passants levés dès l’aube.
Lentement les portes s’entrouvrent l’une après l’autre, quelques têtes emmitouflées apparaissent sur les seuils, et l’on entend, échangées d’un côté
à l’autre de la rue par des boutiquiers, des réflexions dans le genre de celle-ci :

«  Eh, bonjour donc, Tuène ! quo va bè ? Nous la tenons cette fois, hé ! Ce qu’ils doivent en avoir de vez à Allègre, hein ! »

«  Quo va, Piarroun ? Ah ! Les povres, ce qu’ils prennent pour leur rhume ! »

   Sur ce, réconfortés par l’espoir que leurs voisins  en ont encore plus qu’eux, nos commerçants ferment leurs portes soigneusement, et chacun se calfeutre chez soi du mieux qu’il peut.
   A l’arrivé du premier train qui monte de Darsac, les quelques Casadéens amenés  par leurs affaires à la gare ne manquent pas d’interroger le mécanicien en ces termes :

« Eh, l’ami ! Sale temps, hein ! Vous avez dû en voir vers Allègre ? »

«  Mais non, pas trop, mes braves : c’est comme par ici. »

la neige en haute-Loire, cpa Allègre
   Et nos hommes désappointés au fond, reprennent vivement le chemin de leurs pénates, ils se consolent en route en se disant que, tout de même, par ce temps de chien, il ne doit pas faire bon sous la « Potence d’Allègre », tandis que sous les cloîtres de l’abbaye…
   Notez qu’à Allègre, vous entendiez, à la même heure, des raisonnements analogues sur le temps de loup qu’il doit faire à La Chaise-Dieu.
   Curieux vestige de rivalité séculaire entre deux citées moyenâgeuses qui n’on rien à s’envier l’une à l’autre même sous le rapport du climat. Rivalités sans méchanceté d’ailleurs : Allègras et Casadéens se blaguent mutuellement sur leur roublardise commerciale respective. Au fond, ils sont fait pour s’entendre et s’entendent effectivement comme larrons en foire.(1)

   Et la neige tombe toujours, au grand désespoir des citadins qui la voient apparaître avec sa suite forcée de corvées de déblayage sur leurs étroits trottoirs, de chutes difficilement évitables dans les ruelles accidentées. Surtout, ils escomptent avec effroi la diminution notable du nombre de clients de la campagne les jours de foires et marchés.
   Par contre, chez le paysan de la montagne, pourvu qu’elles n’arrivent pas trop prématurément, les «mouches blanches» sont les bienvenues. Leurs innombrables bataillons, drus et serrés, ne forment-ils pas cette manne tutélaire et bienfaisante qui, après avoir protégé les récoltes contre les fortes gelées de l’hiver, fertilise les terrains sous l’action du soleil printanier, et emmagasine dans les sous-sols les énormes réserves d’eau qui alimenteront sources et ruisseaux pendant la période estivale.

   Malheureusement, la neige a aussi ses inconvénients à la campagne, surtout lorsque le vent et la tempête s’en mêlent. Voici le revers de la médaille.
Nos belles forêts lui paient parfois un lourd tribut. Lorsqu’elle tombe en flocons larges et mous, lorsqu’elle est « grasse » suivant l’expression locale, les sapins et surtout les pins, surchargés, arrivent à casser sous le poids, ou sont déracinés par le vent. Il n’est pas rare de voir des plantations entières de jeunes pins couchées d’un seul coup, un arbre entraînant l’autre, tels les capucins d’un jeu de cartes entre les mains d’un enfant.

la neige en haute-Loire, Sembadel
  Bien accueillie par les uns, supportée malaisément par les autres, une fois qu’elle a pris possession de son domaine, la neige règne en souveraine sur les hauts-plateaux. 
   Heureux les montagnards quand cette maîtresse inconstante ne leur fait pas sentir trop durement la tyrannie de ses caprices fantastiques ! Lorsque, tombée subitement en folie, elle s’abandonne sans retenue aux caresses désordonnées de l’aquilon, lorsqu’elle se laisse entraîner par lui dans le tourbillon de valses effrénées et interminables, quand siffle la bourrasque, quand hurle la tourmente, malheur à l’imprudent qui oserait se mettre en route, malheur au voyageur attardé qui s’est laissé surprendre en chemin par le mauvais temps  la "burle" ! (2). Celui-ci n’a pas d’autre ressource que de se hâter d’atteindre le refuge le plus rapproché, la maison hospitalière où il attendra, à l’abri et au chaud, la fin de la tempête, sans quoi la congestion le guette, l’engourdissement, la mort…

   Instruit par une longue expérience, de nos montagnards ont l’instinct du danger, tant que la tourmente fait rage, vous ne le feriez pas sortir, ni pour or ni pour argent. Aussi les accidents mortels sont relativement très rares.
On cite le cas d’un jeune homme de Sembadel qui périt dans la neige, il y a une vingtaine d’années. Le malheureux, parti à Craponne pour aller chercher des médicaments pour une malade, fut pris à son retour, dans la tourmente, s’égara à la tombée de la nuit, perdit son chemin, marcha à l’aventure jusqu’à épuisement de ses forces, pour venir tomber en plein champ à quelques centaines de mètres à peine des maisons de son village.

   Pendant l’hiver 1916-1917, un jour de foire et par temps de neige, beaucoup de gens des environs, se fiant au beau soleil qui brillait dans la matinée, s’étaient rendus pour leurs affaires, à la Chaise-Dieu, les uns à pieds, les autres à cheval ou en traîneau. Sur le coup de deux heures de l’après-midi, le ciel s’assombrit et quelques mouches blanches commencèrent à voltiger, les plus avisés se hâtèrent de prendre le chemin du retour. Dès trois heures, le vent se mit à souffler en rafales, et l’on vit revenir au grand trot, quelques traîneaux dont les occupants, après avoir fait un kilomètre ou deux, avaient jugé prudent de faire demi-tour pour se mettre à l’abri.
   L’ouragan ne se calmant pas, il fallut passer la soirée et la nuit dans les débits de la ville. Comme on ne pouvait songer à trouver des lits pour 3 ou 400 personnes, tout le monde s’installa au petit bonheur dans les cafés, les salles d’auberges et les chambres à coucher où l’on attendit le matin en buvant force café et pots de vin chaud. Ce n’est que le lendemain, tard dans la matinée, que profitant d’une accalmie, chacun s’empressa de rentrer chez soi.


la neige en haute-Loire, cpa Berbezit
   Le 27 décembre 1910, le Capitaine F. venu pour faire la réception de plateaux d’ormeau pour l’arsenal de Lyon, fut fermé pendant 48 heures à Berbezit, par la tourmente, à son grand désespoir, car il était attendu officiellement le 29 dans la Nièvre pour une semblable opération.
  Le facteur n’étant pas venu, notre officier prétendait envoyer quelqu'un à la Chaise-Dieu porter une dépêche pour prévenir ses chefs. Comme nous lui disions que personne ne voudrait tenter l’aventure à n’importe quel prix, il ne voulait pas nous croire. Quand il se fut assuré par lui-même de l’impossibilité de trouver un exprès, le pauvre homme s’arrachait les cheveux, nous ne pûmes le consoler, qu’en lui faisant délivrer par le maire un certificat attestant que, vu le mauvais temps, aucun homme n’avait voulu se risquer à porter un télégramme.
   En pareille saison, le service postal est extrêmement pénible chez nous, aussi, malgré le dévouement de nos braves facteurs, est-il souvent interrompu. Cette année ci, bien que l’hiver n’ait pas été des plus rigoureux, nous sommes restés dans nos campagnes, sans lettres ni journaux pendant 5 jours consécutifs, du 4 au 9 janvier. 


la neige en haute-Loire, dentellières
   Nos montagnards demeurent alors calfeutrés chez eux. Les femmes et les  jeunes filles s’occupent aux soins du ménage et surtout, font de la dentelle au carreau, travail qui se prolonge assez tard dans la soirée, car elles vont à la « veillée » tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre. Puis, lorsque hommes et enfants sont couchés, au bruit cadencé des fuseaux, ce sont d’interminables bavardages dans lesquels les absents ont toujours tort, nos dentellières s’en donnent à cœur joie, car leurs langues sont aussi déliées que leurs doigts, dans le « Gabinet »(3).

   Les hommes et les jeunes gens s’emploient à soigner les bestiaux, à battre au fléau dans les granges, à faire les réparations de menuiserie et de charronnage. Beaucoup fabriquent eux-mêmes leurs chars, tombereaux, araires, herses, râteaux, sans compter leurs sabots ; les « esclots de bitut »
   C’est chaussés de ces derniers, sur lesquels se fixe la guêtre avec une corde ou un lien de paille, chaudement vêtus et coiffés de la casquette à oreilles, que dès que la tourmente a cessé, ils s’empressent, bravant la neige et le froid, de déblayer les cours, les alentours des abreuvoirs et les chemins, fautes de quoi ils resteraient sans nouvelles, et aussi sans viande et sans pain.
la neige en haute-Loire, neige sur les voies PLM
   De son côté, la compagnie P-L-M a fort à faire, pour garder ses voies libres, et la locomotive chasse-neige est parfois impuissante, aussi doit-on avoir recours à des équipes d’ouvriers pour ouvrir les tranchées, et même réquisitionner la troupe, comme cela s’est vu, l’hiver dernier, dans la région de Craponne-sur-Arzon.(4)
   Dès l’inauguration de la ligne : Arlanc–Darsac, Sembadel-Craponne (29 septembre 1902), une étude sur le régime des neiges, faite par le service de la voie pendant l’hiver 1902/1903, démontra la nécessité de protéger les lignes contre les amoncellements de neige formés dans les tranchées de faible profondeur, véritables sillons qui traversent le plateau.
   On adopta le para neige type Danois, qui fut installé en 1903 à la tranchée des Rivets (1500 mètres), et poursuivi l’année suivante dans la direction de Sembadel. En même temps on procédait à l’acquisition à l’amiable de zones de terrain derrière les para neiges, zones dont on va voir l’utilité et l’utilisation.
   Les para neiges coûtaient fort cher, leur durée, en raison de leur nature (bois de sapin) et de leur exposition à tous les temps, était prévue comme précaire, et c’est pourquoi l’on planta d’épicéas les zones dont il est question ci-dessus, pour former un rideau protecteur se substituant au para neige de bois, peu esthétique d’abord, et se désagrégeant en prenant de l’âge.


la neige en haute-Loire, cpa neige gare de Sembadel

  Aujourd’hui, la plantation est assez forte pour remplacer les para neiges dont on supprime progressivement les vestiges disgracieux, et maintenant le train circule à travers une pseudo-forêt qui ravit l’œil et a une grande utilité.
   De Sembadel à Arlanc, où ce système a été employé, la voie n’a jamais été interceptée par les neiges. On ne peut en dire autant des secteurs Sembadel-Darsac et surtout Sembadel-Craponne, sur lesquels les plantations faisant défaut, les interruptions de service sont au moins annuelles.
   Nous sommes redevables de ce double avantage, sûreté dans les communications et agrément de la vue, à l’intelligente initiative du créateur des zones boisées, M. Chautard, le sympathique conducteur de la voie à la Chaise-Dieu . Si grâce à lui la compagnie réalise actuellement de notables économies de matériel et de main-d’œuvre, il ne semble pas qu’elle lui ait montré grande reconnaissance, depuis vingt ans, M. Chautard est toujours à son poste de début.

la neige en haute-Loire, cpa neige, train   C’est un philosophe, il est très fier de se promener au milieu de « ses »bois, qu’on lui laisse le loisir de voir pousser, mais, si peu ambitieux soit-il, ce  serait une consolation pour lui de voir tout au moins étendue aux secteurs voisins une mesure dont l’application a fait ses preuves, et dont les heureux résultats sont visibles et palpables chaque année.
   Avec un service régulier en temps de neige, qui nous dit que notre chef-lieu de canton ne deviendra pas une station hivernale ?
   Les pistes d’évolution pour les skis, luges et bobsleighs ne manquent pas aux portes de la ville. 
  Le spectacle est vraiment grandiose de nos forêts poudrées à frimas, avec les pins verts foncés à reflets bleutés ou gris fer suivant les jeux de lumière, avec les sombres sapins couverts de leur somptueuse parure d’hermine.
  Plaisirs des yeux, emplacements propices, rien n’y manque qu’un peu de réclame et un grand hôtel organisé avec tout le confort moderne. On en parle...
G.Ruaut


1)  Rivalité provenant surtout de la concurrence des marchés : le mercredi vè z' Avègre, le jeudi vè la Tsa-dieou. Quel est le meilleur, Voila, le sujet du conflit.
2)  La Burle : la burle souffle la neige en poussière extrêmement fine qui bouche les yeux, les oreilles, pénètre au col, coupe la respiration. Perdre son sang- froid, c’est la mort. Les chevaux, quoique plus résistants, succombent comme les hommes.   
3) Le Gabinet : Petite pièce planchéisée, les femmes assises sur la paille, pendant le jour et les longues veillées, font danser leurs fuseaux sur les carreaux. Il sort de là des merveilles car les ouvrières de La Chaise-Dieu sont adroites et entraînées.
  4)  en 1903, un train entier resta dans la congère de la Souchère. Cinq machines vinrent s'y immobiliser. Le mécanicien Guénard, aujourd'hui en retraite à Issoire, arracha ce train pièce à pièce.150 hommes travaillèrent trois jours sur la ligne Sembadel à Saint-Bonnet-le-Château. Il y avait des congères de 2 mètres à Fontannes et à Jullianges.
 


Sources: Almanach de Brioude 1923.
             © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
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