Jacquounaille.
Les vaches Salers |
Jacquounaille |
Jacquounaille ne savait guère parlait d’Amour. Sa langue rude s’y pliait mal : ses bras savaient mieux tenir une faux que la taille d’une jeune fille.
Mais les terres de la montagne avaient si bonne mine !…Les champs d’un blé doré, des prairies vertes, une ferme aux pignons d’ardoise décidèrent du mariage. Le contrat dût être laborieux. Entre la mère de la paysanne et le vieux père de Jacquounaille, la lutte fut sérieuse. Enfin, chacun lâchant un morceau, ils finirent par s’entendre et la noce eut lieu.
Mon enfance a tant été bercée par des récits de noce que je crois revoir la scène. Dans une grange tendue de draps blancs, décorée de rameaux coupés aux arbres, de bouquets des champs, voici les montagnards à la barbe en collier, les femmes aux coiffes blanches, aux chaînes d’or faisant trois tours.
Tout ce monde mange avec entrain. Les bouteilles se vident. Les servantes suantes apportent les plats immenses tout juteux de sauce. Au milieu du repas ce sont les brusques sorties des convives, les propos gais, les farces : les chaises qui basculent, vin salé, légumes poivrés… Chacun rit, interpelle son voisin…Les uns quittent la table, font deux, trois tours de danse et mangent encore…
Le soir même scène, le lendemain aussi, mais seulement au repas de midi…
Alors, les mariés restèrent seuls avec la mère de la paysanne. Les hommes, la tête un peu lourde, mais les bras solides travaillaient la terre.
-« Alors, ce soir nous monterons à Serre », dit Jacquounaille, tout joyeux à l’idée de revoir sa ferme.
-« Que dites-vous ? » Demanda la belle-mère.
-« Ce soir avec Marie, je serai chez nous », répéta le garçon.
-« Comment ! Je n’ai pas marié ma fille pour qu’elle aille dans ce pays perdu », répliqua la femme.
« Et toi Marie, qu’en dis-tu ? »
Marie. |
Marie ne disait rien, partagée entre le désir de suivre son mari et de rester à son village natal. Là-haut, il faisait bien froid, la neige y était plus tenace, le vent plus coupant. En-bas, il passait des gens, là-haut, on vivait entre quatre murs, dans un hameau de cinq à six fermes. On ne voyait que des montagnes, des burons et des sapinières. Ici, venaient des marchands, des forains, des bateleurs. Là-haut, les jours étaient de la même étoffe.
Pourtant, Jacquounaille était son mari, il fallait bien lui obéir, mais la voix de mère s’élevait autoritaire :
-« Ma fille n’ira pas dans votre ferme. Devrait-elle divorcer demain, elle a toujours vécu ici, elle ne peut pas se déplanter ».
Jacquounaille restait silencieux. Les coudes sur les genoux, la tête entre les poings, il réfléchissait. La belle-mère reprit :
-« D’ailleurs pourquoi ne descendriez-vous pas ? La terre ici est meilleure qu’à Serre. »
Cette phrase piqua au vif le paysan.
-« Pourquoi ne descendrais-je pas ? Je suis mon maître. Chez moi la terre est bonne…Des champs que j’ai fumés et tels qu’il me faut une heure de marche pour en faire le tour. Tout est étroit dans votre vallée, chez moi il y a du vent, tout est large. »
Il s’animait le paysan pour défendre sa montagne ! Il trouva cet argument suprême :
-« Nous avons toujours été les Jacquounaille d’en haut, je ne veux pas que l’on puisse dire : Les Jacquounaille d’en bas, ce serait déchoir ».
-« Déchoir ou non, dit la mère, Marie n’ira pas chez vous ou je ne la reconnaîtrai plus. »
Elle mettait dans ce « chez vous » une intonation méprisante.
-« Si c’est comme ça, bonsoir ! » Dit le paysan, et il partit pour Serre.
Le dimanche suivant il descendit, alla à la messe et poussa jusqu'à la maison.
-« Vous voilà, dit la mère, vous n’êtes pas décidé à rester ici ? »
-« Marie montera, je ne céderai point ! »
Il déjeuna chez eux, se promena avec sa femme et le soir remonta seul à Serre. Tous les dimanches il fit de même. Parfois, quand le travail pressait trop à la ferme, il n’allait qu'à l’église et regagnait rapidement ses champs.
Au bout de trois ans, une fillette leur vint, il passa une nuit chez sa belle-mère et le lendemain retourna à son village.
Cette situation dura longtemps, entêtés qu’ils étaient sa belle-mère et lui.
Sa fille mourut à seize ans d’un chaud et froid. Après deux jours passés dans la vallée, il revint en haut. Puis sa belle-mère mourut, le vieux Jacquounaille aussi. Alors, mettant ses affaires en ordre, il quitta Serre pour toujours. Il fit bâtir une maison neuve.
Maintenant, il vit avec sa femme, et peut-être songe-t-il encore à son village, à la montagne où les taureaux ont le sang plus vif, où le vent cru gonfle plus fort la poitrine et d’où l’on voit les chaînes du Cantal.
Jean Bouchary
© Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne, et de ceux qui ne la connaissent pas.
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