Histoire d'un vieux berger du Puy de "Pariou".

Le Pariou et le berger.  


CPA le puy de Pariou
 
   Parmi l’antique "Chaîne des Dômes", à côté de la masse imposante qui le domine, il est un puy plus modeste : le "Pariou" (1) est son nom. Il n’accroche pas les nuées aussi bien que son voisin le Puy-de-Dôme, mais son cratère est parfait.
Imaginez au sommet d’un
cône tronqué une ample cuvette de gazon où les grands vents viennent mourir en zéphir, et qui emmagasine pour le soir la chaleur du jour.
Jusqu’à ces dernières années, vous auriez pu voir sur les pentes du mont le père Liard. C’était un octogénaire d’une pauvreté extrême. Les gens de Sauzade, le hameau voisin, lui confiaient leurs vaches, mais seulement ceux dont l’étable était peu remplie et qui n’avaient pas de serviteurs.

CPA berger Auvergnat
   Et tous les jours, sauf pendant la mauvaise saison, le vieux gardait son troupeau pacifique. Drapé dans une limousine couleur d’automne, immobile le plus souvent et appuyé sur son bâton, on eût pu le prendre pour le génie du puy mystérieux. Sa taille élevée se voûtait, et sa figure parcheminée par les autans était effrayante. On n’y voyait que des méplats et des trous d’ombre comme sur le visage de la Camarde. (2)

   Le Pariou reçoit durant l’été quelques touristes intrépides, ceux que l’ascension du Puy-de-Dôme n’a pas suffisamment fatigués, mais après septembre, c’est l’absolue solitude qui l’environne. Le vent s’engouffre autour des montagnes, il tourbillonne et gémit avec des plaintes de détresse, auxquelles répond seulement le glapissement aigu du goupil.

Un jour de novembre, où le soleil par intermittence dorait encore d’une caresse ultime les pentes roussies du Pariou, sans souci de l’aigre bise qui soufflait furieusement dans les ravines, deux silhouettes menues se lancèrent à l’assaut du mont. Il est particulièrement audacieux en Auvergne, de tenter les escalades à la fin de l’automne, car les brouillards arrivent en traîtres. Lorsqu’il n’y a même pas de sentier tracé, c’est téméraire.

Depuis le début du mois, le père Liard avait dû renoncer à conduire ses vaches sur les pentes. Les jours s’écourtaient et les brumes denses ne s’élevaient que trop rarement. Désœuvré, le vieux ne savait que faire, et pour peu que le temps le permît, il montait au Pariou où il trouvait toujours des brindilles à glaner.
Il connaissait si bien la piste de ses bêtes, dont il avait la sagesse de ne pas s’éloigner, qu’il était sûr  de se retrouver malgré le brouillard.

 
CPA Pâtre Auvergnat
    En ce jour de fin novembre, tandis que la bise cinglait les puys millénaires où s’attardait le soleil, le père Liard grimpait pour rechercher le rayon oblique et jaune qui lui donnerait l’illusion de la saison clémente. Tout en ramenant sur son corps squelettique les pans indociles de sa limousine, il regardait, intrigué, les deux enfants qui approchaient lentement. Car c’était des scouts, de ces gamins au grand chapeau et au foulard écarlate, qui préfèrent coucher sous la tente que dans le logis douillet de leurs parents, pensait le vieux. Et le pauvre homme qui traînait avec lui le maigre fagot qui réchaufferait sa veillée solitaire, maugréait contre ce qui était pour lui un sacrilège : ne pas profiter des biens que le Bon Dieu vous octroie.



  Les deux silhouettes se confondaient maintenant avec la « cheire »(3) fauve, s’évanouirent même tout  à fait. Le vieux berger les guetta longtemps parmi les pacages où il s’attendait à les voir réapparaître, et finit par s’inquiéter.

Avec précaution, il dévala la pente à travers les noisetiers dénudés. A proximité d’un énorme rocher, le seul qui déchire les flancs du puy, le vent plus vif lui apporta des sons de voix. Malgré son grand âge, le bonhomme s’engagea sur une étroite plate forme, et découvrit dans l’excavation au-dessous les deux imprudents garçonnets. Ils avaient roulé là avec des fragments de pierre, et, bien qu’indemnes à quelques éraflures près, ils commençaient à s’inquiéter et ne savaient comment sortir en dépit de leur agilité.
L’apparition du père Liard les combla d’aise, et devant ses bonnes intentions, ils furent tout ragaillardis. Le vieux s’était avancé sur le pointe extrême du roc pour les mieux guider, car il fallait une vue d’ensemble de l’excavation pour en diriger l’escalade assez périlleuse au milieu des scories qui s’éboulaient. Enfin, ils furent hors de danger et de sa voix forte encore, le berger continua à les orienter tant qu’ils cherchèrent l’issue du taillis.

Longtemps il les suivit des yeux, et les deux enfants reconnaissants se retournaient pour lui faire des signes d’amitié. Le père Liard, ne sentait pas la bise glacée, et ne fut tranquille, qu’ayant aperçu les deux petits sur le ruban noir et lustré de la grand-route.

La nuit arrive vite en montagne. L’ombre envahissante s’élevait des creux et un vilain nuage que le mont venait d’accrocher s’y balançait indécis.
Une angoisse étreignit le vieillard lorsqu’il embrassa du regard la corniche rocheuse sur laquelle il était engagé, et qu’il fallait de nouveau parcourir en sens inverse. Le froid l’avait engourdi, et ses jambes lui semblaient deux blocs lourds et malhabiles. Les rafales redoublaient de violence et ramenaient des effilochures grises de la nuée qui descendait.

Le père Liard n’avançait presque plus : il craignait de s’égarer quand la brume par instant masquait le vide qu’il côtoyait. Loin de son chemin habituel à travers les pacages, il se sentait désemparé. Le rocher hostile s’effritait sous son pas hésitant, et les broussailles qui l’égratignaient semblaient l’enserrer dans un réseau méchant. Une humidité froide le pénétrait. D’une main, il se cramponnait à son bâton, et de l’autre s’évertuait à retenir la limousine gonflée qui l’entraînait.

A demi-courbé, arque bouté contre une faille de basalte qui l’abritait un peu, le père Liard lutta de toutes les forces défaillantes de son pauvre corps usé, et de toute l’énergie de son âme.
Le nuage de suie s’insinuait partout. Une nuit dense comme on n’en voit qu’en montagne, épaisse et noire ainsi qu’une coulée d’encre, finit par s’abattre sur les grands Dômes. Une nuit de deuil, ou le vent hurlait la mort. Toutes les heures atroces des ténèbres, que lançait le clocher aigu de Sauzade étaient répercutées sur les laves sonores. Et ce ne fut qu’après les douze coups de minuit, que l’éclair rouge de la congestion abolissant la volonté, mit fin à cette agonie.

   Au printemps suivant par un de ces jours radieux et bénis de mai où la montagne, libérée enfin de l’étreinte des neiges se revêt d’or, on découvrit dans la grande cassure du Pariou, à demi-retenu encore par les dernières glaces, le vieux berger miraculeusement conservé. Son visage reposé, moins effrayant peut-être que jadis, ne révélait rien de l’horrible tragédie dans le froid et dans la nuit.

Un cortège funèbre s’improvisa. Sous un ciel fin où quelques blancs cirrus se pourchassaient allègrement, l’haleine des Dômes faisait vibrer les fleurs des genêts. Elle détachait les pétales jaunes qui s’envolaient comme des papillons de lumière, pour apporter la première caresse du printemps au vieux pâtre, qu’avant de le reprendre à jamais, la montagne ramenait au jour pour la dernière fois.

Jacques Lerta



1) le Pariou : volcan de la Chaîne des Puys d'Auvergne, à 1209 m.
2) la camarde : représentation de la mort sous la forme d'une tête de squelette.
3) la Cheire : coulée volcanique  de scories.
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Sources : Auvergne littéraire, 1931.
               © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
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