La politique.


"Il faisait la pause à l’ombre d’un cerisier bâtard,
en bordure du champ où s’allongeaient les gerbes.
Alentour, les alouettes escaladaient les paliers
de l’azur et les gousses de genêts crépitaient dans le silence. Lui, ne pensait qu’à la politique…"



    Sans en avoir l’air, je porte mes soixante-douze ans depuis la Saint-Antoine. C’est vous dire si j’en ai vu des choses !
   De mon métier, j’étais cantonnier : une bonne place pendant l’été, mais qui ne vaut pas le diable par temps de bise. Seulement, tu es bien placé pour voir du monde, savoir ce qui se dit, ce qui se passe par le pays. Si tu as bon estomac, tu fini par arriver à ta retraite, alors tu
es tranquille pour ton restant de vie.
    Je m’entretenais d’ouvrage sur la route qui monte à la Combe en passant par Lagat. Un beau morceau de route, dans des prés pleins de noyers. Des prés traversés d’une eau si froide qu’à la belle saison, en rien de temps, l’herbe vous monte aux genoux, si épaisse qu’on ne se tient pas d’aiguiser la faux quand on la coupe.
    Je trouvais encore moyen d’aider ma femme pour faire valoir notre bien et tenir un peu de bétail. Un jour poussant l’autre, nous avons élevé cinq petits sans trop de malheur…
    Comme fonctionnaire de l’Etat Français, je recevais par le facteur des postes, des papiers imprimés, des circulaires, comme on appelle les lettres qui nous viennent de haut, de la Préfecture, peut-être ! Et des journaux : des rouges et des blancs. Toutes ces feuilles que d’autres auraient prises pour plier leur manger, moi, j’avais goût à les lire.
    Il faut dire que j’avais bonne tête étant petitounet, et que ça ne m’a jamais tout à fait passé. Pour aller loin, une seule chose m’a manquée : l’instruction. Et quand vous n’en n’avez point, ça vous fait du tort…Prenez quelqu’un qui a de l’instruction, mettez-le à côté d’un autre qui n’a pas d’instruction. Lequel sera mangé ? Celui qui ne sait rien.
    Les enfants de nos jours, qu’on pousse du côté des études pour leur faire avoir le certificat de l’enseignement primaire, seront plus dégourdis que nous et ça leur sera peut-être bon…
   Parce qu’il ne faut pas croire que les choses vont bien et vont toutes seules…
Dans ma vie, j’ai trop suivi la politique sur ces papiers que je lisais, pour ne pas comprendre aujourd’hui les dessous de toutes les affaires de l’Etat Français.
   Ce qui manque, c’est du sérieux… Je sais ce que c’est, les députés qui sont si peu fiers avec le monde quand ils mendient des voix.
 Après…allez les voir à Paris ! Ils font les messieurs et renversent les ministères…
Le maire voulait me faire porter conseiller aux dernières élections. J’ai dit au maire :

   -« Monsieur le Maire, j’ai la paix chez moi, je ne veux pas la guerre. J’ai assez de travail sur ma propriété sans aller me trouver du tracas après les affaires de la commune… »

    Ils ont mis à la place le Vincent, du Pradet, qui aime la gloire et dit toujours oui quand on lui paye la chopine.
   Ils ont passés du premier coup, vu qu’il n’y avait pas deux listes déclarées…Dans l’idée de quelques-uns du village, il était dit qu’il s’en trouverait une autre liste pour le second dimanche… (Une liste de gens capables, bons à gouverner la mairie, à faire entretenir nos chemins, à gagner des coupes dans nos bois communaux, à dire un mot bien placé à monsieur le sous-préfet).
   Mais, ils ne se sont pas assez pressés. Et qui est-ce qui a été bien mouché de voir passer l’ancien conseil au premier tour ? Pardi ! Tous ceux-là qui veulent dire, qui veulent faire, mais qui ne savent pas sortir de leur maison au bon moment…
    Si on avait voulu trouver à redire, c’était facile … Il y en avait deux, celui de chez la Constance et le fils du Théodore ! Eh si ! Vous savez bien…il est venu de Saint-Romain ; il avait pris une fille Mouravet, de la Greliche, elle avait les cheveux rouges…Ces deux, n’ont pas eu le nombre de voix. Il leur en manquait de cinq à sept. On a fermé les yeux, on les a déclarés bons tout de même. Ce ne sont pas des choses de droiture. Mais ça vous évite de galoper à la mairie deux dimanches de suite et de tout planter là, pour aller mettre un morceau de papier dans l’urne…
    Ça se passe à l’à peu près…Ainsi, nous n’aurions droit qu’à dix conseillers depuis que la population a baissé dans nos campagnes. L’instituteur qui est un homme comme il faut, pas regardant à la poignée de main, l’instituteur me disait :

« Autant de centaines d’habitants, passé cinq cents, autant de sièges… »

   Nous avons pas été voir de si près. Ils étaient douze avant, douze nous en avons laissés… Comme ils ne sont pas bien fins, il vaut mieux qu’ils soient plus nombreux…
    Ce qui serait plus grave, c’est ce que le me suis laissé dire, dimanche passé, par un homme qui est cousin du secrétaire de mairie d’Issartier. Il paraîtrait, que le premier adjoint sortant profite d’un moment où personne ne se trouve là, pour t’empoigner trente à quarante billets à son nom et te les fourrer dans l’urne de la main droite pendant qu’il en bouge trente à quarante de la main gauche.
   Ça expliquerait bien des choses…Une fois, où les rouges et les blancs s’étaient traités comme on ne doit pas traiter le monde, au dépouillement nous avons eu, moins deux, autant de billets que d’électeurs inscrits. Ça m’avait travaillé tout le chemin. Je faisais dans ma tête le compte des malades, des vieux qui restent chez eux, de ceux qui ne pouvaient pas descendre au bourg rapport à une bête qui allait vêler, de ceux qui étaient de noce ou d’enterrement ou loués dans la plaine, des quatre qui étaient morts…Ca ne faisait pas l’affaire. Il en manquait toujours plus de deux. Je me disais :

   « Tu es saoul, Michel, tu ne peux plus compter ; les chiffres se tournent dans ta tête et tu les brouilles…Quand tu arriveras chez toi, tu feras écrire à ton petit sur son ardoise ; tu verras bien ce qu’il trouvera ! » 

   Le petit a trouvé le même compte que moi. Vous voyez bien qu’il y a de la tricherie, allons !
Pour l’importance, ça n’a pas d’importance. Dans nos campagnes le paysan se défend tout seul de la misère. Il a ses vaches, il son cochon, il a son bois, il a ses pommes de terre, il a son pain ; si on l’embête pas trop avec les impôts, il s’en tire à peu près. Mais dans les villes, où vous êtes forcés d’acheter jusqu’au déchet de bois de galoches pour allumer votre feu ?... Si vous êtes mal gouvernés ?... comment vous faites ?...
    Si l’argent se fait rare, nous aurons de quoi manger et nous pourrons vivre, petitement sans doute, mais sans trop de malheur ! Si l’argent se fait rare, le paysan dira comme moi, quand on a diminué sur ma retraite :

   « Mon pantalon de velours aurait besoin d’être changé…je porterai un peu plus mon pantalon de velours…En le "petassant", en le cousant davantage, il me fera encore l’arrière-saison et tout l’hiver !... »

    Qui se trouvera pour en souffrir ? Les gens de la ville, qui ont des commerces et qui ne vendront pas…
   Les affaires de la France ne marchent pas, et peuvent languir encore longtemps…C’est la guerre qui nous a valu ça. Nous en payons les suites.






Sources : Auvergne Littéraire Artistique et Historique, 1934.
                 © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
             Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne, et de ceux qui ne la connaissent pas.



 

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