La Roti.
Ce matin là, Ricoud se leva tôt comme au temps des moissons. Il prit ses plus beaux habits, attela sa jument, et la tête pleine de chanson, il se rendit aux noces de sa cousine Henriette.
Il y allait comme « Contre-Noye (1) » avec l’Angèle de chez Dubourg, une cavalière très à sa convenance. Rien que dans n’évoquer sa silhouette aux hanches balancées, un flot d’émotion lui arrivait au cœur. Mai pas une émotion intimidante, un coup de fouet qui ravivait son désir de plaire, de débiter des
bons mots, de multiplier les farces.
En Auvergne, quand on « mange des noces », il faut être gai de cœur et d’esprit, danser avec endurance, improviser des divertissements. Ricoud, lui s’entendait à ses choses, pas un dans Charbonnières-les-Vieilles, ni même dans les environs, n’avait ce tour plaisant dans la conversation qu’accompagnait cette aisance de gestes. D’abord, sa façon de trinquer gagnait franc les sympathies, et puis, sa belle tournure physique, la solidité de son poing et la finesse de sa cheville soulevaient l’admiration.
-« Voilà Ricoud ! Vive le Contre-Noye ! »
Il arriva chez la mariée debout dans sa carriole au grand trot de sa bête, et trente « paires de jeunesse » réunies dans la cour, lui firent une véritable ovation !
De cet air magistral et détaché qui faisait son prestige, il rejeta les rênes, sauta, détela. On le suivit jusqu’à l’écurie, entraînant l’Angèle, sa cavalière, qu’on lui mit dans les bras, intimidée, nigaude, toute de rose et de vert habillée, comme un églantier en fleurs ! Il L’embrassa crânement ! Elle, les deux mains au visage dissimulait sa « vapeur », tandis que les rires, dans l’air clair matinal, montaient avec la rumeur des basses-cours et le claquement des sabots.
En galant Contre-Noye, Ricoud distribua des décorations : des blanches et bleues, pailletées d’or, pour les filles ; des rouges et mauves pour les garçons. Il en sorti à profusion de ses poches et les épingla lui-même sur chaque poitrine avec force drôleries.
Ensuite, il entra à la cuisine, uniquement pour jeter la panique parmi les femmes, voisines ou parentes, vaquant à la besogne. Il pinça si bien la Mariette qu’elle laissa choir la « pompe (2)» grande comme une roue de barcelle (3) qu’elle rapportait du four en équilibre sur sa tête ; il mit des pétards dans la cheminée, assurant aux plus vieilles qu’il devait y avoir quelque diablerie au fond de leurs marmites ; le poivre et le sel disparurent comme par enchantement, et on retrouva le pilon, au repas de midi, dans le ventre d’une oie. Il en fit tant, que la Mariette, encore toute empoissée des confitures de la « pompe », le menaça d’un seau d’eau !
Mai la tête encore en malice, il s’enfuit dans la chambre de la « Noye ». La présence d’Angèle, sans doute, dérangea ses plans. Le chapeau de travers, le foulard dénoué, pendant sous le cou comme deux oreilles de lapin gris, il l’attrapa par la taille : peut-être voulait il lui parler d’amour, car tous deux partirent derrière les hangars, vers le petit mur croulant et moussu, pareil à un balcon rustique dominant le chemin.
Quand ils revinrent, le cortège se formait pour aller à la mairie et à l’église.
Que l’Henriette était belle avec son grand châle des Indes aux couleurs de vitraux, et son petit bonnet rond qui laissait voir deux bandeaux bruns aux tempes. Un vrai régal de teintes et de fraîcheur, que Bastien, le marié ne quittait pas des yeux !
En tête du cortège, les musiciens agitaient des vielles et des accordéons enrubannés. Derrière eux venaient les « Noyes (4) » et leurs parents suivis de trente paires de jeunesse. Les vieux fermaient la marche.
Par les sentiers du « Cheix », bras dessus, bras dessous, ils gagnèrent la grand’route.
Le vent gonflait les robes de moire et les blouses indigo ; faisait battre les rubans clairs des coiffes, comme des ailes de poules en ébats ; de bois en bois, de chemins en chemins, il colportait les accents de joie et le chevrotement des musiques !
Les deux repas de noce se succédèrent à peu d’intervalle dans la grange parée de sapins et de genévriers. Les pâtés, les volailles, les civets, les têtes de veaux défilèrent. Le soir, la Mariette annonça une daube « en pots » et on y fit grand honneur, car cette Mariette avait un tour de main particulier pour accommoder les pieds de porcs et les carottes et des assaisonnements secrets qui rendaient sa gelée dorée et limpide comme du miel clarifié.
Après les pompes et les vins blancs (datant du baptême de la « petite ») le père Gaudon ordonna des romances.
Pironnet, le fils du sacristain « tenait une belle voix de son père », une voix à renverser les pupitres à l’église ! Il se leva :
"Gentille Bergère"
"Si tu veux m’aimer"
"Viens dans la bruyère"
"Viens me le prou…"
Un cri de la mariée interrompit le reste, et Ricoud sortait de dessous la table, ébouriffé, triomphant, brandissant une jarretière !
-« Vive la Noye ! Et vive le Contre-Noye !"
Une jarretière de mariée c’est un talisman, et toute la jeunesse, en bousculades, voulait s’en emparer !
Seuls, les vieux au fond de la grange, n’avaient pas bougé. Le vin, le petit vin des Côtes, qui coulait depuis le matin, leur montait à la tête et avec un souffle de politique, ils discutaient entre-eux, nez à nez, poings crispés, frappant la table !
En haut, dans la fenière, des couples se taquinaient. On entendait le rire énervé de la Françoise ou de la Damienne. Les garçons les plus adroits redescendaient en glissant le long du foin, et recevaient leurs cavalières à pleins bras.
A dix heures, les « Noyes » ouvrirent le bal chez Baudot, l’aubergiste, mais sitôt qu’ils le purent, agiles comme des chats, ils s’enfuirent par une porte du fond.
A travers le tourbillon de blouses et de jupes, Ricoud veillait, il fit signe de ne pas interrompre les danses. A minuit seulement il rassembla la jeunesse.
-" C’est l’heure de la rôti ", dit-il.
"Les Noyes se sont dérobés, mais je sais où ils couchent ! Ils sont Au noyer, chez la Michon Martel ; oui, oui, je le tiens du petit Claude qui est venu de Manzat pour monter un lit neuf ! "
Des regards admiratifs enveloppèrent Ricoud !
Plus fière que jamais, l’Angèle prit la Roti, un vase de nuit neuf rempli de vin, et tous ils partirent dans la direction du plateau, parlant bas et cherchant les traverses.
-« Voilà la ferme ! Dit Ricoud. Marchez en douce ! »
A quelques pas, la ferme se découpait, plus sombre que la nuit.
-« Quittez vos sabots ! Ordonna-t-il ! »
Ils s’exécutèrent. On entendait à peine le bruit de leurs pieds froissant les herbes, et de temps en temps, un petit rire dissimulé.
-« Restez là ! Dit Ricoud, Je reviens ! »
Ils le virent s’éloigner du côté de l’écurie, et revenir avec une échelle qu’il plaça contre le mur, juste au-dessous d’une fenêtre du grenier, la seule ouverte.
-« Maintenant ! Puisque les portes sont fermées, allons-y par les fenêtres ! »
Ah ! Ce Ricoud, il était extraordinaire !
Toutes portes closes il trouvait le moyen d’entrer, alors que d’autres, à sa place auraient ordonné une sérénade bruyante devant les fenêtres. Les Noyes, de leur chambre, auraient bien pu leur faire la nique, toute la nuit !
Ricoud, prit lui-même la Roti, et, silencieux comme des ombres, ils grimpèrent le long de l’échelle et enjambèrent la fenêtre. Les planches du grenier craquaient sous leurs pas ; l’un donnait du pied dans les pommes ou les oignons ; l’autre se heurtait la tête contre les jambons et les saucissons pendus aux poutres !
Mais les mariés se doutaient-ils de cela ? Ils s’enfermaient dans leur sécurité en disant :
« Ecoute les rats là-haut, qui font leur manège ! »
Ricoud connaissait les antres de la maison : un petit escalier de bois descendait jusqu’à la chambre et on n’avait qu’à suivre la rampe.
Ah ! Dans cette obscurité, que de baisers volés ou permis s’échangèrent, semant des bruits subtils, pareils à de petits craquements de meubles !
Certainement, cette nuit de noce en prépare bien d’autres !
Comme ils atteignaient la chambre, Ricoud dit :
-« A un, préparez-vous ! A deux faites attention ! Et à trois… ! »
Un grand fracas ouvrit la porte ! Et malgré les cris de frayeurs des Noyes, ils se ruèrent dans la direction du lit.
-« Enlevez la mariée ! » S’écria Ricoud.
Et le Noye et lui, d’une poigne vigoureuse, se la disputèrent.
La pauvre Henriette criait, riait, gémissait ! Sortie des draps, elle y rentrait en hâte… S’accrochait à Bastien en se blottissant dans la « rase ».
-« Au secours ! Au secours ! » Implorait-elle, se sentant entraînée.
-« Bastien, défends-moi ! »
Elle gesticulait, se débattait, à bout de souffle, dans les bras de Ricoud, et tous les garçons, à tâtons autour d’elle, la chatouillaient, la pinçaient, sournoisement, en riant d’un gros rire gras !
-« Assez ! C’est assez ! »
Disait Bastien, fâché, en allumant la bougie.
Y voyant clair, il se leva. Mais il était si comique dans sa chemise trop empesée qui laissait voir ses jambes poilues et ses grands pieds aux « ortiaux (5) » retroussés, que tous éclatèrent de rire !
Alors, rouge, ébouriffé, stupide dans sa colère, il attrapa la Roti laissée sur une table, et, sans pitié pour les vieilles traditions, il en aspergea ses convives !
-« Tânez ! Qui lou didzo. Vous l’avez pas ruba ! »
(Tenez, dit-il, vous ne l’avez pas volé !)
Marcel Régnat
1- Contre-Noye : Garçon d’honneur en dialecte Auvergnat
2- Pompe : tarte aux pommes rectangulaire, recouverte de pâte feuilletée.
3- Barcelle : char avec ou sans ridelles du Puy de Dôme.
4- Noye : Marié ou Mariée.
5- Ortiaux : doigts de pieds.
Sources :
Auvergne littéraire, 1924.
© Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne, et de ceux qui ne la connaissent pas.
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