Érotisme et vendanges en Auvergne.
(Extrait de « Voyage en Auvergne » de louis Nadeau, 1862).
« Sur la croupe de Montjuzet, « Mons Jovis », au nord-ouest de la ville, s’élevait un temple de Jupiter ; il était servi par des femmes qu’on
nommait « fées », « Fatuoe, Folles ou Fades ». Elles jouaient le rôle de devineresses, de prophétesses, « fatidicoe ». Elles
initiaient à leurs mystères de jeunes filles quelles endoctrinaient et qui les aidaient dans leurs cérémonies. Le peuple appelait ces initiées les « Bonnes-Filles ». Elles
logeaient dans le voisinage du temple et y faisaient leur noviciat. Le quartier de la ville quelles habitaient a conservé leur nom et s’appelle encore le quartier des
Bonnes-Filles.
Aujourd’hui-même, si deux femmes de la halle se disputent, soyez sûr que l’une jettera à l’autre, comme un terme d’injure, le mot de « Fade de
Montjuzet ! »
Pendant que ces souvenirs du passé remplissent mon esprit, les objets se métamorphosent à mes yeux sous la blanche lumière
qui les baigne. La côte sèche et nue de Champturgue ne se montre plus triste et déserte ; sa longue arête en ligne droite n’est plus déboisée ; des chênes superbes
dressent leur tête sur son sommet et serviront plus tard à la charpente de la Cathédrale. Des vignes plantureuses grimpent comme un troupeau de chèvres depuis la base jusqu’au faîte de la
montagne, et s’étagent le long de ses flancs.
Sur le plateau, au pied des chênes, s’élève un temple bizarre où pendent des ornements sauvages : des tigres et des boucs mêlés aux pampres et
grappes de raisins : c’est le Temple de Bacchus.
Les vendanges viennent d’être terminées. Une foule bruyante s’agite et monte en riant, en criant, en
sautant, en courant vers la demeure du Dieu. Elle passe devant nous. Examinons-la en détails. Avons-nous sous les yeux des hommes ou des bêtes ? Ce sont des hommes et des femmes, on pourrait
s’y méprendre.
Un bouc ouvre la marche, conduit par un groupe insensé qui danse et frappe d’une petite baguette le pauvre animal. A leur
suite apparaissent, confus, pêle-mêle, des êtres, mâles ou femelles, dont le visage est barbouillé de lie ou de jus de raisin ; ils ont les épaules recouvertes, l’un d’une peau de chèvre,
l’autre d’une peau de tigre, celui-ci d’une peau de bélier. Derrière eux s’avancent des formes fantastiques. Le visage humain a disparu sous une écorce d’arbre qui s’allonge en museau et se
dresse en oreilles. Une peau de bête ne couvre plus seulement les épaules ; elle enveloppe la tête et tout le corps : ce sont les tigres, des chèvres, des boucs, des chevreuils et des
cerfs sur des jambes d’hommes.
Les tigres traînent un char sur lequel repose un gros garçon bien gras, bien nourri, qui donne une excellente idée de
Bacchus et de sa cuisine, tandis que les boucs, les chèvres et les autres bêtes encornées gambadent à l’entour sous forme de satyres et de faunes. Des femmes les suivent portant
religieusement le coffret ou les corbeilles sacrées dans lesquelles reposent les objets de leur culte ; quelques-unes ont à la main un thyrse (1), d’autres une torche de bois résineux. Ce
sont les Bacchantes.
J’en vois qui errent en dehors de la foule et qui tendent à se disperser sur les montagnes comme autant de chasseresses. D’autres se mêlent aux groupes et les
égayent par leurs attitudes égarées et leurs extravagances.Des plaisanteries grossières circulent et des éclats de rire retentissent parce qu’une
Bacchante roule sur l’herbe avec un satyre dont elle veut éviter le baiser.
Enfin un vieillard monté sur un âne, excite par ses lazzis (2) la joie de la foule et ferme la marche.
Mon regards s’attache à cette procession étrange et a de la peine à s’abandonner : mais le cortège pénètre dans le
temple ou disparaît sous les grands arbres. Il a besoin de l’ombre pour cacher ses orgies.
Entre les vignes de Champturgue et celles de Montjuzet s’élève le vignoble des Côtes.
Il était,
lui aussi, surmonté d’un temple dont il ne reste plus rien, c’était celui du dieu : Mars. La jeunesse en âge de porter les armes allait s’y exercer et s’instruire dans l’art de la
guerre. Aussi les Arvernes, comme tous les Gaulois, étaient toujours prêt à repousser l’invasion.
C’est ce qui a fait dire à César que les Gaulois sont prompts et ardents à
prendre les armes ». (Fin de citation)
1) Thyrse: hampe ornée de feuilles de vigne ou de lierre et couronnée de pommes de pin.
2) Lazzis, moqueries, rires moqueurs, plaisanteries, grimaces, gestes grotesques.
Sources: Voyage en Auvergne, Louis Nadeau, 1862.
© Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
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