Texte de Francisque Mège, 1865. (2/2)
A Marivaux, de l'Académie Française, le spirituel auteur des
fausses confidences, du Legs, et de tant d'autres comédies
célèbres.
Au poète Danchet, de Riom, qui fut jugé digne de prendre place à
l'Académie Française.
A l'amiral D'Estaing, qui illustra le règne de
Louis XVI par ses nombreuses victoires sur les Anglais.
Au marquis de Bouillé, digne émule de D'Estaing dans la guerre avec l'Angleterre.
A Champfort, dont l'esprit était en si grande estime, à Paris, à la fin du siècle
dernier.
Parmi les modernes, je prendrais pour parrains.
Charles Romme, un des créateurs de la science hydrographique.
Bergier, le jurisconsulte, Dulaure, l'historien.
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Quartier Lafayette de Clermont-Ferrand |
Mossier, le chimiste.
L'abbé Delarbre, le naturaliste fondateur de notre Jardin des Plantes.
Gaultier de Biauzat, qui fut tour à tour député aux états généraux, maire de Clermont, juge à
Paris, juge au Tribunal de cassation. Voilà un homme que la ville de Clermont
n'aurait pas dû laisser si longtemps dans l'oubli. C'est, en effet, en grande
partie au zèle persistant de M. de Biauzat, son député à la Constituante, que
la ville de Clermont doit d'être le chef-lieu du département du
Puy-de-Dôme. En 1790, la ville de Clermont comprenait si bien ce
qu'elle devait à M. de Biauzat, qu'elle fit élever ses trois enfants à ses
frais, et qu'elle fit faire son portrait pour être placé dans la salle de
délibérations du Conseil de la commune. Mais, hélas ! 1793 a balayé tous les
souvenirs, et avec eux toute idée de reconnaissance. Réparons cet injuste
oubli. Il n'est jamais trop tard pour cela, et donnons le nom de Biauzat à une
des rues les plus rapprochées de la rue Ballainvillers qu'il habitait, à la
rue Saint-Jacques élargie par exemple.
Je prendrais encore pour parrains de nos rues :
Grimoald Monnet, le savant chimiste de Champeix.
Favard de l'Anglade, le jurisconsulte.
Pierre Bonnet, le chirurgien si distingué qui a présidé à la fondation et à la bonne
direction de notre Ecole de Médecine.
Baudet-Lafarge, à la fois législateur et naturaliste.
Le baron Grenier, savant magistrat.
L'amiral Gourbeyre, le docteur Breschet, une des gloires de la médecine, le cardinal Giraud, Michel Bertrand, le régénérateur du Mont-Dore.
Le grand paysagiste Marilhat, de Thiers, le peintre d'histoire Degeorges, un des meilleurs élèves de David.
L'abbé Croiset.
Georges Onslow, l'éminent musicien que l'Allemagne nous envie.
Bravard, le savant professeur de droit.
L'avocat Michel, à qui notre musée et notre bibliothéque doivent
un grand nombre d'excellents tableaux, de livres et d'objets rares et curieux,
etc.,etc.
J'allais oublier un nom moins connu, Amadéo. Et de
fait, pourquoi n'y aurait-il pas à Clermont la rue Amadéo ? La ville de
Clermont ne doit-elle pas un souvenir à celui qui a doté la Limagne de
l'industrie des pâtes alimentaires ?
Jean Althen, le Persan, l'importateur de la culture de la
garance dans le Comtat-Venaissin, a bien une statue à Avignon. Amadéo
l'Italien a des titres égaux à voir son nom survivre dans notre Auvergne, dont
il a contribué à augmenter la richesse. Peu importe que sa tentative n'ait pas
profité à sa fortune personnelle. S'il est resté pauvre, il a enrichi le pays,
le pays doit d'autant plus d'en montrer reconnaissant.
Après avoir pris les noms des hommes utiles et des personnages célèbres, ne
serait-il pas convenable de rappeler les noms de ces anciennes familles de
notre province qui ont occupé en France une position si élevée, comme les la
Tour-D'Auvergne, les Chabannes, etc. ? Ne pourrions nous aussi choisir parmi
nos administrateurs des noms tels que Trudaine, Monthyon, Chazerat, Ramond ?
Trudaine, intendant d'Auvergne de 1730 à 1734, fut le promoteur des premiers progrès
accomplis dans la grande voirie de notre province, et fit consacrer la réunion
définitive de Montferrand à Clermont. ( On pourrait appeler Avenue Trudaine la
portion de route qui relie Clermont et Montferrand.)
Monthyon, intendant d'Auvergne de 1767 à 1773, chercha par ses libéralités et ses
aumônes à atténuer les malheurs de la famine qui désola l'Auvergne pendant son
administration.
Chazerat, le dernier des intendants d'Auvergne et un des premiers parmi les hommes de
bien, continua dignement les traditions de Monthyon en employant son immense
fortune à soulager ses administrés.
Ramond préfet du Puy-de-Dôme de 1806 à 1814, et député de ce
département pendant les Cent-Jours, faisait marcher de pair l'étude des
sciences et l'administration. Par ses recherches et son travail, il contribua
puissamment à faire connaître les richesses naturelles de la basse-Auvergne.
Je n'ai pas à citer tous les noms qui pourraient être donnés aux
rues de Clermont. La nomenclature serait trop longue. Je veux seulement, en
terminant, indiquer quelques dettes de reconnaissance à acquitter quelques
oublis à réparer.
Ainsi rien ne rappelle aux descendants des
Arvernes le souvenir de Vercingétorix, le
vainqueur de César. Comme le nom du héros serait un peu long et difficile pour
un nom de rue, ne pourrait-il y avoir à Clermont une rue ou place des Gaulois,
une rue ou place de Gergovia, par exemple ?
Ne serait-il pas convenable aussi de rappeler ces chevaliers de
Malte, qui avaient donné à une des sections de leur ordre le nom de "Langue d'Auvergne" ? L'Auvergne, où il possédaient de grands biens, leur a fourni nombre de
chevaliers et plusieurs de leurs plus éminents grands-Maîtres.
Passons à une question plus délicate et plus difficile à résoudre
que, tout en étant juste, sa solution heurte les idées reçues.
Il est des noms que l'histoire a flétris. Parmi ces noms, il en
est deux, entre autres, qui se rapportent à l'Auvergne,
Catherine de Médicis et Jean Doyat, Catherine de Médicis fut l'inspiratrice de la Saint-Barthelemy, et
Doyat, l'un des favoris du Roi Louis XI, et des plus sévères exécuteurs de ses
volontés.
Mais, si nous ouvrons l'histoire locale, les couleurs changent,
le tableau n'est plus le même. Catherine n'est plus la mère abhorrée des
Valois, et Doyat le sbire du roi niveleur. Tous deux se firent connaître en
Auvergne, à Clermont surtout, par de nombreux bienfaits.
C'est grâce à Doyat, alors gouverneur du haut et bas pays d'Auvergne, et
malgré l'opposition la plus ardente du cardinal de Bourbon, évêque de
Clermont, que Clermont obtint du roi, en août 1480, les lettres patentes
accordant un consulat et une maison commune, c'est grâce à lui que la police
fut organisée à Clermont, les foires et marchés multipliés, le commerce
protégé et règlementé. C'est encore lui qui, lors de la famine qui, jointe à
la peste, désola l'Auvergne dans l'hiver de 1481 à 1482, accouru tout exprès
pour soulager les misères du peuple, distribua des aumônes, fit arriver des
blés, et assura des secours et des soins aux pauvres et aux malades. Doyat fut
dur aux grands, mais doux aux petits, et si d'autres peuvent se souvenir de
ses fautes (cruellement expiées, du reste), Clermont ne doit garder souvenir
que de ses bienfaits.
Laissons aussi à d'autres le soin de jeter la pierre à Catherine
de Médicis. A Dieu ne plaise, certes, que nous approuvions ses criminelles et
astucieuses intrigues contre les protestants ! Mais nous, Clermontois, dont la
ville n'a pas été ensanglantée par la St-Barthélemy, nous qui avons profités
des bienfaits de Catherine, laissons dans l'ombre le mal qu'elle a fait, et ne
songeons qu'aux bienfaits dont elle n'a cessé de combler nos aïeux.
Rappelons nous que c'est elle qui, en 1551, fit ériger à Clermont
une sénéchaussée, qui en 1556, fit rendre par par le roi, en faveur des
habitants de Clermont, un édit d'exemption des tailles et subsides, qui, en
1582, fit établir à Clermont un siège présidial et donna aux habitants son
palais, dit de Boulogne, pour servir de maison commune. Rappelons-nous enfin
que se mère était une Latour-D'Auvergne.
Pour Doyat comme pour Catherine, ne consultons donc que notre
reconnaissance, et, sans dédaigner les jugements de l'histoire, ne soyons
point ingrats parce que nos bienfaiteurs ont été criminels. Ce sera en même
temps faire œuvre de justice que de mettre en lumière ce qu'il y avait de bon
et de généreux dans ces natures passionnées, et, il faut bien le dire,
perverties.
C'est d'après ces considérations que je voudrais voir à Clermont
la rue Doyat et la rue Médicis.
Pour me résumer, si l'on envisage les dénominations à donner aux
voies publiques que comme un moyen de faciliter la police, les relations
d'affaires et les correspondances postales, il est inutile de changer ce qui
est. Mais si l'on se place à un point de vue plus élevé, si, dans cette
question, on considère le coté moral et intellectuel, il convient alors de
faire faire, par une commission désignée spécialement à cet effet, une
révision approfondie du nom des rues et places publiques de notre ville de
Clermont. Le sentiment public ne sera pas, je l'espère, défavorable à une
pareille mesure.
Francisque Mège.
Sources : Texte de Francisque Mège, 1865. © Article et Photos
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