Le Ramoneur.
Les cheminées de Paris |
Aux jours d'été, sur les toits, on entend d'étranges onomatopées
:
- Oï !
C'est un homme noir qui se courbe sur chaque cheminée, ces
cheminées parisiennes dont la forme et la couleur semblent nous venir
d'Orient.
Ce sont des sortes de fez, quelquefois alignés en longues
rangées. On pense tout de suite à quelques escouades de soldats turcs
embusqués derrière un pan de mur. Le fumiste se penche sur chaque soldat et le
fait chevalier, en une langue inconnue et brève :
- OÎ !...
Sa voix semble venir du fond de ses entrailles : c'est l'autre
fumiste de l'équipe qui, du cœur des maisons répond.
Ces ouvriers, dont on parle avec un peu d'ironie
"sacrés fumistes" ! font le désespoir des ménagères soigneuses.
Un jour de juin ou de juillet, près de la loge du concierge, une
petite affiche indique qu'une maison de fumisterie enverra ses ouvriers tel
mardi, ou tel jeudi. Le prix des divers ramonages est mentionné : cheminée
simple, tant, etc, Car il n'y a pas que de simples cheminées.
Quand les fumistes sont passés, tout est cendre et suie, et les
ménagères, de nouveaux, s'affairent à leur parquet qu'elles ne peuvent plus
"ravoir", aux multiples objets, orgueil de leur "intérieur",
tout imprégné d'impalpable poussière. Les commentaires vont leur train,
transformant (une fois de plus) le palier en tribune :
-"On croirait qu'ils le font exprès ..."
Mais non, bonne dame, "ils" ne le font pas exprès : ils
n'ont pas le temps, tout simplement, ces hommes agenouillés devant l'âtre ou
penchés sur le toit, ont chassé de votre cheminée le mauvais esprit qui,
l'hiver, l'eût bouchée. OÎ ! ont-ils dit, et vous avez entendu des
bruits confus, des grattements. Une masse de suie est tombée : tout ce qui
restait, déjà noirci, du mauvais esprit.
Les cheminées de Paris |
Le soir, dans les faubourgs, on peut voir la voiture à bras des
fumistes, où sont entassés cordages, hérissons, seaux, etc. et de la suie, des
montagnes de suie (ils n'ont donc pas tout laissé dans les maisons) la besogne
est faite.
Le fumiste a remplacé le ramoneur, comme l'artiste capillaire a
remplacé le barbier. Noblesse républicaine. Et on regrette un peu les
ramoneurs qui mêlaient leur chant au chœur de la rue :
Ra-a-mona la cheminée,
Du haut ... en bas ...as !
Les "hirondelles de l'automne" comme on les désigna de
façon romantique, annonçaient la saison froide, autrefois.
Ils étaient un groupe d'hommes noirs, une famille, venus
d'Auvergne, de la région des Monts Dore, surtout. A pied, le plus souvent et
avec ponctualité : chaque année à la même époque, ils traversaient telle
bourgade, telle ville, dormant dans les auberges modestes dans les granges ou
les bergeries.
Les ramoneurs possédaient, pour la plupart, dans leur pays, une
petite propriété qui n'exigeait pas leurs soins l'hiver, et que le bénéfice de
leur second métier leur permettaient d'agrandir.
Coiffés du traditionnel bonnet de tricot, qu'ils enfonçaient
jusqu'aux sourcils, vêtus d'habits souvent en lambeaux, ils avaient le visage
recouvert d'une épaisse couche de suie, et le blanc de leurs yeux semblait
éclatant dans ces faces plus noires que celles des Soudanais.
C'étaient les enfants qui assumaient la tâche la plus rude. Ces minces petits
gars devaient grimper en s'aidant des mains, des coudes, des genoux, à
l'intérieur des cheminées, pour faire pleuvoir dans l'âtre, à l'aide de leur
raclette, la suie détachée de la maçonnerie. Les pantalons de ces gamins
étaient garnis de genouillères en cuir, et la démarche même des petits
ramoneurs, transformée par leurs pénibles ascensions, gardait un déhanchement
caractéristique.
Lorsque sa tête noire surgissait en haut de la cheminée, le petit
ramoneur chantait, heureux de retrouver l'air et le ciel de Paris.
Le prix du nettoyage d'une cheminée, qui s'effectuait à l'aide de
la raclette dont j'ai parlé, et aussi de fagots de houx bien sec, ancêtres des
hérissons métalliques, était, à la fin du siècle dernier, de vingt ou trente
sous, et les ménagères se récriaient ! Il est vrai que lorsque la maison
comportait plusieurs cheminées, l'équipe faisait un prix pour l'ensemble.
Le petit ramoneur venant fidèlement de son Auvergne natale était une figure
bien sympathique du Paris où régnaient encore les petits métiers. Il était
l'ami des enfants, ce jeune travailleurs, mais quelquefois aussi leur terreur.
Qui n'a été peu ou prou menacé de ce croquemitaine (gentil malgré tout),
lorsqu'il n'avait pas été un petit garçon ou une petite fille sage ?
Et ce n'est pas sans un peu d'émotion que l'on s'imagine cette
époque bénie, où le Parisien chantait :
Javotte
Criant : Carotte,
Panais, choux-fleurs,
Mêle sa voix grêle
A la voix frêle
Du noir ramoneur.
Paris d'hier, comme vous êtes loin !
Source: Les Auvergnats de Paris texte et dessins de François-Paul Raynal
© Textes et Photos Regards et Vie d'Auvergne. Vous pouvez laisser un
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