Montagnards, les "Pagels"
Quand on arrive sur le plateau du Béage, les figures des gens que l'on rencontre n'ont plus rien de commun avec celles des habitants de la plaine (du Bas-Vivarais) uniformément pareilles, elles frappent par je ne sais quoi de lourd et d'inachevé, surtout chez les femmes. Sous le petit chapeau de feutre noir des dentellières du Puy, on dirait que toutes ces faces rondes, placides, ont été découpées d'un même tour de compas dans une même pièce de chair rouge. Dans l'épaisseur des larges crânes, la pensée bat d'un rythme très lent, l’excitation quotidienne du journal ne l'a pas encore activée. Des idées rares, chétives, s'y enracinent fortement, comme les hêtres rabougris clairsemés sur ces tables de lave. Beaucoup de montagnards n'ont jamais dépassé le rayon de quelques kilomètres où ils promènent leurs troupeaux, aller plus loin, c'est pour eux quitter le "pays", une grosse et difficile affaire...
Au siècle dernier, ces gents des hauts lieux vivaient encore dans un état de sauvagerie redoutable, un aide de Cassini, envoyé au Mézenc pour y relever la carte, fut mis en pièces par les habitants du village des Estables...
Je me souviens des "Pagels" c'est le nom local des montagnards, qui descendaient dans la vallée du Rhône, quand j'étais enfant, pour louer leurs bras au temps des foins et de la moisson. On était à la fin du second empire, et les plus vieux d'entre eux ne savaient pas répondre quand on leur demandait qui régnait sur la France. Ils refusaient obstinément les paiements en billets de banque, ils n'avaient pas repris confiance dans le papier depuis la dépréciation de 1848...
Aujourd'hui les "Pagels" ont plus de communication avec le monde. Leurs mœurs sont douces et honnêtes. Ils font bon accueil à l'étranger, mais avec une nuance de réserve. Attachés aux vieilles coutumes, graves et peu expansifs, comme les gens pauvres qui vivent sous le plein ciel, les querelles religieuses d'autrefois, les querelles politiques de nos jours ne montèrent guère jusqu'à eux.
Eugène Melchior de Vogëé.
Sources: Notes sur le bas-Vivarais, H. Champion 1893.
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