Les bois d'Auvergne.


 Les bois en Auvergne.

 CPA forêt d Auvergne
Forêt d'Auvergne.
   
« Ses petits yeux fouillaient la profondeur des taillis,
mesuraient la hauteur des sapins,
cubaient le volume de leur lisse colonne.
Les geais d’octobre se querellaient sur les clairières ».

   Il y en a qui ont des bois à deux pas de chez eux, faciles à soigner, et qui ne s’en occupent pas plus que vous. Les épines, au beau milieu, vous montent aux
genoux. Les arbres s’abiment dans ce tas et ne peuvent pas profiter…

   Si vous n’avez pas peur des mauvais chemins, je vous ferai voir, sur l’autre versant, un morceau qui est mien, où sont placés des épicéas comme vous n’en avez peut-être jamais plus vus. Je ne dis pas qu’on n’en trouverait pas de pareils, Non !... Mais, il faudrait assez battre le pays. Des fûts qui montent droit comme un cierge…Oh , le beau bois !...Et pas de ceux qui sont mangés d’airelles ; mais un bois de mousse qui est très joli à voir avec ses chapeaux de champignons tout rouge à l’arrière-saison.

  Les champignons je sais que ça se ramasse. Moi, je les laisse tranquilles. Ma bourgeoise en a peur. Un jour, j’étais à la chasse. Je n’avais rien tué, ni poil, ni plume. En me rendant chez moi, je trouve de ceux-là, qu'on appelle des chevaliers ; un Parisien m’avait appris à les connaître ; il y en avait ! Il y en avait ! Sous des petits genêts, le long d’un labour ! J’en remplis mon carnier ; ceux qui me voyaient passer, avec le sac qui gonflait sur mon échine, pensaient :

« Il en a tiré un gros, le père François ! »

J’arrive chez moi :

« Femme, je n’ai point descendu d’oiseaux, mais je porte quelque chose de bon à manger, tout de même !... » 

Je sors ça sur la table de la maison.
Quand elle le voit :

« Moi vivante, votre poison ne touchera pas le fond de mes casseroles !... »

On a tout jeté sur le tas de fumier…

   Pour en revenir à ce bois, ce bois a un ennui. Il est mal partagé du côté des chemins. Le terrain pend tellement que la pluie entraîne tout. Les vaches s’abiment à tirer les arbres coupés là-dedans. J’ai vu des chars lever les roues et se coucher sur le côté…Si vous ne savez pas  prendre vos vaches par les sentiments, vous ne pouvez pas en venir à bout.
   A la cime de cette montagne, il y a un château des seigneurs de dans le temps. Ça tombe. On y trouve des serpents gros comme le bras, enroulés autour des pierres, dans les places de soleil. Ce n’est rien du tout, maintenant, mais le père de mon père avait vu ça debout et m’en parlait quand j’étais gamin : quatre murs fermés, huit tours, la maison au milieu.

   Il faut dire que les terres d’ici appartenaient à quelques particuliers qu’on appelait les seigneurs. C’était des gens qui passaient leur temps à se batailler entre eux pour essayer de se détruire. Les paysans n’avaient, pour eux, que leur misère ; ils étaient les domestiques des seigneurs.
Avec les révolutions de la République, tout ça a changé. Ces gens ont passés chacun de leur côté et leurs châteaux n’ont pas duré longtemps du jour où la première pierre a été partie. Quand les hommes du village ont voulu bâtir des maisons, ils sont venus se servir au tas.

   Par temps doux, vous irez voir les caves de la Patience. C’est leur chemin souterrain qui sortait là, dans un fond de gorge noir comme le derrière du diable, entre les rochers hauts comme des maisons. Un endroit déplaisant, où on n’aime  guère  passer la nuit. 
   Vous faites vingt-cinq, trente mètres dans ce tunnel où les "rates-volages"(Chauve-souris) vous passent leurs ailes bourrues en travers de la figure. Après c’est éboulé…
On dit, mais on dit tant, que ce chemin coupait le dessous de la montagne et s’en allait sortir au ruisseau de Sumantargues. On dit, croyez le si vous voulez, qu'en s’en allant, les seigneurs auraient laissé un trésor par-là, leur argent, pour ainsi dire. Ce trésor se trouverait en dessous d’une pierre qui porte une « boucle ». Mais allez la chercher la boucle ! Des vieux du village, disaient l’avoir vue en revenant des foires ; ils s’étaient même essayés après : tire, tire, tant que tu peux, rien ne bougeait ! Ils marquaient bien l’endroit dans leur idée et quand ils revenaient : tourne, tourne et cherche ton saoûl, pas plus de boucle que sur mon chapeau !

   Dans les veillée, on racontait qu’un garçon de Charrier aurait soulevé cette pierre en allant à la messe de Noël. Il aurait si bien remplit ses poches, là-dessous, qu’au premier coup de la mi-nuit il aurait manqué de rapidité pour se mettre à l’arrière et la pierre lui serait descendue sur les reins.
Ma tante disait qu’en ramassant des airelles à cet endroit, un jour de Notre-Dame d’Août, qui était sa sainte patronne, elle avait entendu une voix qui lui disait :

« Oh ! Pauvre Marie ! Venez m’aider à lever la pierre, j’étouffe dessous et je ne peux pas la bouger tout seul ! » 

Cette femme s’est plantée et c’est mise à courir comme si le diable la suivait…
Seulement, ne croyez pas ça ; ce que je vous en dit, c’est pour passer le temps. Cette femme a dû faire un petit sommeil et le rêver…

CPA forêt d'Auvergne    

  Quand il fait bien chaud, si vous vous arrêtez un moment sous les arbres, le dormir à vite fait de vous prendre… J’aime bien faire la pause au milieu des sapins que j’ai plantés.
Dans mon jeune âge, j’ai beaucoup planté. Mais vous pouvez dire que je n’ai pas perdu ma peine. J’ai vu cette montagne nue comme ma main. Des gens dans le besoin avaient fait là des coupes de bois, pour se faire de l’argent. Il n’y restait rien, pour bien dire. Ce détruit valait une poignée de sous ; j’achète ce détruit. Je le replante ; voyez ce que c’est devenu !...

   Les arbres, c’est comme les personnes : ça commence petitounet et ça grandit, ça grandit tout doucement. Comme nous ; c’est sujet à la misère et aux maladies. Un mauvais entourage étouffe un arbre, il ne réussit que s’il est bien avoisiné. C’est pour cela qu’il faut y avoir l’œil… quand j’ai un moment, je viens faire un tour sous les branches…

   S’occuper des bois, ce n’est pas un travail, c’est un amusement.






Sources : l’Auvergne, Artistique et Humoristique, 1934, Marguerite Sapy .
             © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
             Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne, et de ceux qui ne la connaissent pas.


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