Villages. (Récit)


Villages d'Auvergne, Aydat.

Villages d'Auvergne.


Villages d'Auvergne   Ils se ressemblent  tous les vieux villages de chez nous. Les uns s’allongent près du ciel sur des plateaux bourrus où passent des vents vierges ; les autres se blottissent au creux des vallées qu’ombragent les sapins ; certains s’accrochent aux pentes des volcans parmi les herbages et la pierraille.
Mais, en dépit de  cette diversité d’allures, ils restent frères par le visage et par la couleur. Ils sont tout gris, couleur du temps, car ils n’ont pas d’âge les vieux villages…ils sont tout gris, couleur du sol aussi : fauves comme les granits et noirs comme les basaltes.
Leurs maisons sont taillées dans des blocs
volcaniques que lie une chaux blanche à gros grains, et les villages se confondent, de loin, à la terre où ils s’écrasent, aux rochers qui les cernent, aux murettes  en pierre sèches qui les protègent contre les vents et d’invisibles dangers.
Les toits larges et bas, coiffés de chaumes, lamés d’ardoises, ou ployant sous de lourdes tuiles, émergent à regret des vergers et des " horts " clôturés de planches, des noyers dorés, des frênes  clairs, des châtaigniers penchés le long des prés, au bord des chemins.

Villages d'Auvergne    Sous le couvert des murs ventrus et tors, croulants et festonnés de ronces et d’orties, les chemins  millénaires, usés par les chars, marchent vers les hameaux.
Aux carrefours, marquant l’entrée d’un signe pieux, se dresse, presque toujours, une croix de bois grise qui tend ses deux bras branlants avec des gestes familiers.
 Ils ont un bel air d’indépendance, nos villages : ils reflètent l’humeur des habitants.
Au mépris des servitudes urbaines, des disciplines de l’alignement et de la symétrie, les maisons, toutes de guingois, sont accroupies à la diable, çà et là. 
 Ce libre désordre est la marque d’un esprit très particulariste et très propriétaire, et nulle part, mieux qu’en Auvergne, le paysan est « chez lui » dans sa maison.
Le logis communique avec l’étable et la grange. Sans sortir de sa demeure, le paysan vaque à ses occupations et, tel un capitaine sur son navire, commande et dirige en maître  bêtes et gens.

    Du pas de sa porte, il surveille tout son bien : le verger odorant avec le four tout rond dans un coin," l’hort " bigarré avec ses légumes, des fleurs et son parfum de miel, les ruches bourdonnantes, en coiffes de paille, sagement alignées contre le pignon tapissé de vignes et ruisselant de soleil, le hangar en planches abritant les chars, le tas de bois broussailleux en bas de la « levée » de grange et plus loin, derrière les murettes, les maisons voisines qui ressemblent à la sienne comme des sœurs…
Les générations passent mais les villages restent : une vie monotone comme l’éternité les anime. Les mêmes bruits, les mêmes gestes, les mêmes circonstances et rien ne laisse prévoir que cette continuité pourrait cesser demain.

Villages d'Auvergne   
 Les villages s’éveillent à l’aube aux cocoricos des coqs, aux caquètements des poules, aux aboiements des chiens, aux claquements des portes et des fenêtres que l’on ouvre, aux battements clairs des sabots sur les chemins, aux accents rudes du patois d’Oc.
Les cheminées vétustes fument comme la veille, et les villages reprennent leur rythme quotidien.










 
Villages d'Auvergne, moutons de Charbonnières les Vieilles.    Les ruelles s’emplissent de troupeaux : vaches rouges que de jeunes pâtres, pieds nus, poussent à coups " d’aiguillade ", aidés dans leur besogne  par des chiens féroces, tout en crocs ; moutons à l’odeur de suint, et chèvres capricieuses que de vieilles bergères, la quenouille sous le bras, vont garder sur la lande.
 Tout cela passe dans un sourd piétinement coupé de cris, de longs beuglements, de bêlements plaintifs, d’abois rageurs, et tout cela s’éteint, meurt, disparaît au détour du chemin dans une poussière blonde fleurant la bouse.
Les villages retombent alors dans un quasi silence. De grands chars gémissants roulent aux pas lents des bœufs courbés sous le joug ; des tombereaux crottés jusqu’au timon, passent chargés de fumier.
L’heure est matinale et la journée est longue ; devant maintes portes ouvertes, les conducteurs arrêtent leurs attelages ; du milieu du chemin on échange des bonjours, on suppute le temps d’après la forme des nuages et on parle de l’état des travaux.
Les femmes restent à la maison et s’occupent des soins domestiques.
 Par bandes, jeunes et vieilles vont chercher l’eau à la fontaine ; la source sourd de la montagne et l’eau coule en chantant dans le vieux bac moussu creusé à la hache dans le tronc d’un sapin ; en suivant les chemins pierreux, les porteuses reviennent avec un seau de fer débordant d’une eau fraîche et pure, pendu à chaque bras ; le fardeau est lourd, les langues sont alertes et la fontaine est loin !
   
Villages d'Auvergne, les moissonneurs
      L’après-midi, un lourd silence pèse sur les villages. Tous les gens sont aux champs et dans les « charreires » où brûle le soleil, la chanson du grillon sous le chaume, le gloussement des poules qui picorent dans les cours, le bourdonnement des ruches dans les jardins, troublent seuls cette paix écrasante.
   Une vie étrange grouille au cœur des murs penchants : les lézards gris, menus et vifs tracent, un peu partout, de craintives arabesques ; les gros lézards verts et or dorment, les yeux grands ouverts, sur les pierres éclaboussées de soleil ; quelques couleuvres paresseuses déroulent silencieusement, à travers les trous innombrables, leurs anneaux de chair aux reflets métalliques.
L’ombre corsaire d’un milan plane sur les basses-cours.
Les villages somnolent…il fait bon attendre le soir sous les tilleuls où tricotent les bonnes vieilles…
Le crépuscule s’avance à pas de loup, et dans la pénombre bleue, sous le ciel piqué d’étoiles, les troupeaux rentrent portant dans leurs pelages et leurs toisons l’odeur des bois, des près et des bruyères.

     Les chars parfumés, chargés de gerbes ou de foin regagnent les granges suivis de la silencieuse procession des travailleurs las d’une fatigue heureuse.
Les bruits s’apaisent peu à peu, les chaumières s’illuminent. Et après la soupe, assis sur les bancs massifs, devant les portes, on rêve dans la douceur du soir.
 
Villages d'Auvergne, la chouette
    La chouette hulule dans les bois, alentour.
 Des bruits furtifs montent des chemins déserts : les crapauds pustuleux se traînent le long des murs, sans crainte de la couleuvre avaleuse, et, comme des sons de flûte, leurs chants sonores et tristes alanguissent la nuit.








Sources: Au Pays d'Artense, Léon Gerbe, illustrations Emile Rollier.
                 © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
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