La guérison des maladies...


La guérison


La guérison
"Un martellement de sabots sur les planches, un froissement de grosse jupe, la plainte d’une porte d’armoire écartée sur les gonds et la femme du sabotier m’offrit, sur la table de cerisier, un doigt de cassis au fond d’un grand verre.
Au bout du banc, la minette jaune étirait son cou vers ma main pour gagner une caresse. Un chien dormait sur la pierre du seuil et se réveillait vingt fois pour happer quelque mouche.
Poings aux hanches, elle parlait médecine…"

   Moi, de mon naturel, je me porte bien.
 Je fais tout mon ouvrage s’en m’en apercevoir… Ceux qui vous diront que le travail épuise, ne les croyez pas : ça conserve, au contraire ! J’ai connu de celles qui s’épargnent, qui n’ont pas fait de vieux os.
  Ma pauvre mère, elle, est venue à quatre-vingt
ans passés, sans une maladie ; et si vous l’aviez vu élever ses sept petits, sur un bien de deux vaches !... Il ne fallait pas s’amuser autour, je vous le dis !
   Elle savait la vertu des plantes et connaissait mieux que personne celles qui sont bonnes pour le monde et pour les bêtes. Pour la navigation du sang, elle faisait boire l’eau qui a cuit des "cenelles"(1) et pour les coliques, le jus d’airelles sucré dans du vin. Elle disait que la tisane de cresson purifie bien des humeurs. Elle disait que le bouillon- blanc infusé dans l’eau de son est bon pour la vessie et que le jus de poireaux mélangé à celui de la ciboule guérit bien les piqûres d’abeilles.
C’est à cause des abeilles, que j’ai essayé les remèdes de ma mère…
   Une fois, c’était au printemps, j’écartais du linge sur le pré, quand j’écoute ronfler quelque chose :

-« On dirait, que tu entends un essaim ! »

Je tourne, autour de moi, je regarde… ça ronflait toujours. Enfin, je le vois pendu à une poirière à côté de la maison.
Je plante ma lessive. J’appelle mon homme :

-« Jean ! Jean ! Oh ! Jean ! »

Point de Jean ! Je cours chercher un « paillas »(2), en me disant 
:
-« Tu n’as qu’à t’essayer. Si tu le laisse partir, tu ne seras qu’une bête !... Le malheur n’est pas bien grand ! »

Je prends un bon bâton. Je pose le paillas sur ma tête en le tenant d’une main. Je me pointe sur les pieds, droit en dessous des mouches. De l’autre main, je donne un coup de bâton à la branche qui les porte pour les faire tomber…
Oh ! Pauvre ! Je me suis si bien manquée, que le panier a versé.
On ne peut pas dire ce que c’était ! Des abeilles par tout le corps ! Ca me descendait par le cou… Un plein corsage !... Une pleine figure !...
De pleins cheveux ! Ça a été les plus mauvaises piqûres, celles des cheveux, parce que je ne pouvais pas enlever les mouches d’entre les mèches.
J’ai fait le remède du poireau et de la ciboule ; ça m’a bien soulagée… On m’a dit que l’alcali est bon pour ça. J’en avais chez moi (il faut toujours avoir ces bricoles dans sa maison) je l’ai essayé aussi. J’en ai même bu un peu dans un verre d’eau… J’étais piquée assez profond pour rentrer la guérison dans mon corps.
   Une autre fois, dans l’hiver, il avait couru des grippes sur le pays : c’était comme un mauvais air qui traversait le sang et qui vous empoisonnait la personne. Je l’avais pris, moi aussi… Un soir, en venant de traire les bêtes, je l’ai senti dans les reins ; c’était tout là, au bas des côtes :

-« Oh ! Pauvre Fine qu’est-ce que tu auras attrapé ? »

Et un tremble, un tremble qui m’enlevait ! Je me suis encore soignée sans le médecin, et ça n’a pas duré longtemps. Du vin chaud sucré, des tricots, des fichus, des édredons, des courtes-pointes : de quoi rendre ma sueur, enfin !
   Ce n’est pas pour me vanter, mais je suis comme ma pauvre mère, je sais guérir les maladies ; c’est un don de famille…
  Ca me rends service pour mon homme, qui est plutôt délicat et sans soins de son corps ; il faut le veiller comme le lait sur le feu. Il a eu ses misères, aussi…Ils avaient été au bois avec le petit. C’est leur travail d’hiver, quand on ne peut rien faire dans les terres ou dans les prés. Ils s’en étaient donné sans doute ! Quand le travail commande, on ne peut guère s’écouter. Le soir, je le vois arriver derrière le char de fagots, mal à son aise. Il aurait brûlé une brasse de fayard dans le poêle que ça ne l'aurait pas réchauffé… Et le nez blanc, avec ça !…
Moi, je fais ni une, ni deux ; je lui chauffe son lit et je l’envoie coucher. Je lui en ai fait voir ! Mais je l’ai guéri. Des ventouses toutes les deux heures, des cataplasmes par-dessus et une bonne frottée à l’essence de térébenthine pour faire courir le sang. Ça lui cuisait, il en criait :

-« Mets-y de l’eau ! J’ai le feu dedans !... »

Et toutes les couvertures volaient. Mais, je ne me laissais pas faire.

-« Je t’aime mieux des cloques sur le dos, qu’une bronchite, pauvre Jean ! »

   C’est si mauvais, voyez-vous ces chauds et froids. Une petite de chez nous, qui portait les quatre heures à des moissonneurs a été prise par l’orage quand elle était noire de chaud ; ça l’a tranchée. On n’a jamais pu la guérir.
Ma sœur Adelaïde, vous la connaissez bien, oh ! Qu’elle a été malade, la pauvre ! Vous savez ce que c’est, les hernies ? Eh ! bien c’est ça qu’elle a eu… Nous ne pouvions pas la détourner des pharmaciens. Elle s’était mise dans la tête qu’en essayant des fortifiants ça passerait ; mais c’est le médecin qu’il lui a fallu et le chirurgien, et la clinique et tout…Tant souffrir ! Et si ça coûtait rien encore ; mais ce sont des frais qui vous mettent sur la paille. 
   Des maladies comme celles-là, on ne peut rien faire pour les combattre.
  Ah ! Tenez, il faut en voir ! En voir… et puis mourir après !...

 1-Cenelles: fruit de l'aubépine ou du houx.
 2- Paillas: grand panier plat tressé d'osier et de paille.

 


  Sources: Auvergne Littéraire, Village, de Marguerite Sapy, illustration: J.Mario Pérouse.
                 © Alain-Michel, Regards et Vie d'Auvergne.
                   Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.
 

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