Un dimanche après-midi, jadis en Livradois.

CPA le pont de David

Divertissements d'autrefois.


   Il faut l'avoir vu pour se figurer ce qu'étaient les dimanches après-midi dans le quartier, il y a seulement une trentaine d'années.
   Après la Saint-Jean, lorsque les scieurs de long, les sabotiers, les chiffonniers, étaient venus de leur campagne, la jeunesse affluait.
   Aux jours chauds de juillet, on venait se baigner à l'endroit où la Dore s'étale calme et peu profonde, sauf vers le gros rocher où il y a un trou, un "gourre", plus qu'à hauteur d'homme, on peut plonger et même en prenant son élan sur la pierre, les plus hardis n'arrivent pas au fond. Et le pont était garni de gens les regardant et s'amusant de leurs prouesses. Ce gros rocher garde d'anciennes traces, c'est là qu'autrefois, avant que le gros David fit construire son pont, on amarrait le bateau de la traversée. Le chemin qui descendait de Bertignat et que la ligne de chemin de fer a coupé, s'appelait " le chemin du bateau " et la boucle où on l'attachait est toujours là, scellée dans la pierre.
   Après le bain qui a excité l'appétit on va manger la friture. Les deux auberges en
sont toujours pourvues, la pêche à l'épervier étant autorisée et l'on plaçait aussi des abouts, des nasses appâtées au pain de chenevis aux bons endroits. Le poisson ainsi pris tout vivant était conservé dans un petit réservoir au-dessous de la fontaine de Babin et, chez Roux, dans un grand bac de pierre.
   Après quoi, le bal commençait. Il venait encore du monde jusqu'à la tombée de la nuit, la jeunesse des villages, garçons et filles, ne se trouvant libre qu'une fois les bêtes rentrées du pacage. D'autres embauchaient les ouvrières qui s'en allaient aux usines et il fallait voir avec quel entrain les "bourrées" et "vis à vis" se succédaient. Des danses locales aussi, dont la fantaisie ne dépassaient pas un certain rayon : "L'Eau de Rotze", mi marchée, mi tournée, "  la Machine ", " l'Escargot ", " la Cantalouse ", " la  " Limousine ", le tour de la bouteille simple ou à trois, la Polka du bâton où il fallait changer de cavalière, celle  " du Torchon " où garçons et filles s'embrassaient par jeu, " la Gigue " " le Perriquier ", " L'Aupelair " venu du Forez. Il était rare que ces assemblées se finissent sans disputes. Il se faisait des rivalités, des bandes de quartier : quelques-uns étaient célèbres, batailleurs, ils avaient leurs admirateurs, leurs amis qui les suivaient et prenaient leur parti en toute occasion.
   Quelquefois pour un rien, s'être poussé un peu en dansant, pour s'être rencontrés à inviter la même fille ou l'avoir prise à la table d'un autre, surtout s'il faisait partie du camp ennemi. Ces motifs étaient cherchés la plupart du temps pour se faire une occasion de lutte.
Si la bataille était loyale, à bras le corps, usant de force et d'adresse pour tomber l'adversaire sur lequel on ne devait jamais s'acharner, le vainqueur en tirait gloire et se faisait une réputation d'homme fort, très enviée.
   Il n'en était pas toujours de même, quelques-uns agissaient par traîtrise, tel ce "Bernard " dont beaucoup se souviennent. Toujours le premier au grabuge, il se défilait en douce lorsqu'il avait réussi à lancer les uns contre les autres, il se contentait d'attendre à l'ombre, à l'angle d'un mur celui qui l'avait manqué avec, dans la main, un goulot de bouteille ou son couteau ouvert.
Chaque groupement de village avait son champion : " le Colosse", "le Sapeur ", " le Grand Jean ", étaient renommés. De ces batailles on en parlait de loin, les esprits s'échauffaient et elles allaient par séries, durant tout un été.
   On se souvient d'un après-midi de dimanche en juillet, la seconde année du pont. Il avait plu et le temps était encore orageux. Un gamin descendait le talus pour aller pêcher au bord de la prairie, un ivrogne passe en titubant sur le chemin et interpelle le garçonnet sous prétexte qu'il se moquait de lui, il s'approche même, lui prend le bras et le secoue, le petit cherche à se dégager, prend peur et se met à pleurer. Sa cousine et son cousin ont vu la scène de la fenêtre de l'auberge en face et viennent à son secours.
   Voyant qu'ils avaient à faire à un saoulaud, lui firent honte de s'attaquer ainsi a un enfant et le firent déguerpir au plus vite.
   Malgré tout, le bruit de la discutions attira les gens dehors et on vint sur le pont pour voir ce qui se passait. Personne n'en savait rien ou bien donnait une fausse explication et bientôt il y eut foule. Pour qui les voyait des fenêtres de l'étage, en haut ou l'on dansait, le spectacle n'était pas banal, ce point noir de monde, cette rumeur de dispute, puis des coups de poings s'échangèrent, les femmes se défendaient à coup de parapluie. Il se faisait des remous, la masse se déplaçait tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre. La bataille devint bientôt générale. On tapait dans le tas sans motif, sans colère même. Un homme qui se trouvait simplement de passage, essaya de franchir la cohue et reçut le plus formidable coup de poing de sa vie, et ma foi pour se frayer chemin sabra de sa canne tout ce qui se trouva à sa portée.
   Tout de même, les combattants, qui saignant du nez, qui avec un œil poché, se dispersèrent. Les plus acharnés lancèrent encore des pierres dans les fenêtres de chez " Babin ". Puis les garçons surexcités par la bataille et le vin, se jettèrent à la danse avec frénésie.
   La nouvelle s'en répandit vite aux alentours. On s'était battu au Pont ! Il y avait des blessés et peut-être des morts !
   Les parents des jeunes gents qui s'y trouvaient n'hésitèrent pas à venir se rendre compte et promirent d'apporter des nouvelles. Comme après tout, il y avait rien de bien grave, quelques-uns, pour qui cela était prétexte de sortie,  s'attablèrent à leur tour !
   Les mères attendaient, en finissant le travail  de la maison, folles d'inquiétude, croyant tout perdu, fermèrent leurs portes, une lanterne sous la tablier s'en vinrent rôder autour des auberges, s'approchant de " ratounée" d'une porte ouverte, essayant de voir aux fenêtres.
   Dans la salle, on dansait, on riait, on chantait, et leurs vieux dans un coin étaient tout émoustillés.

" Allons bon, il n'y a pas tant de mal qu'on voulait bien dire, on va s'en retourner, on se couchera tranquille. Allumons la lanterne "

" Vous venez, Toinon et vous aussi Fanchette ? "




Pont de David, le 16 décembre 1931.
 Rose Combe.




Sources : texte de Rose Combe.
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