Connaissez-vous les rivières d'Auvergne.

Rivières d'Auvergne.


Le Sioulet,Confolant, Puy de Dôme, Auvergne.

   Ignorant les neiges éternelles et les glaciers, les rivières d'Auvergne naissent dans le gazon des prairies.
Elles sont filles des Plombs et des Puys, l'eau perle aux flancs de ces buveurs de nuées atlantiques et murmure dans les "rases".
Puis entraînés invinciblement par les pentes, les ruisselets s'assemblent, égratignent le sol, reflètent le ciel, musent parmi les pensées sauvages et les gentianes grasses et sucent la réglisse amère.
Mais devinant leur rude destin, les ruisseaux enflent la voix et dévalent des pacages comme des taurillons échappés.
C'est en vain que les vergnes chenus se penchent sur leurs eaux turbulentes, les conseillent et tâchent de les retenir entre leurs racines, les ruisseaux ne les écoutent pas. Et fatigués de la lumière des monts, du vent des cimes, des herbes et des fleurs des prairies, des grenouilles vertes, des écrevisses, des mufles roses
des vaches rouges, ils poursuivent leur course aventureuse.
L'ennemi millénaire, le roc, pointe déjà dans leurs lits. N'importe, aveuglés, impatients d'arriver au terme de leurs courts voyages, les torrents filent, droit devant eux et bondissent par des cascades et des sauts vertigineux dans les vallées.
Fumants, bouillonnants, tonnants, ils rassemblent sur les rochers leurs flots épars et les vallées Auvergnates retentissent d'une clameur que les échos répercutent sans fin.
De toutes parts, les basaltes, les laves, les granits, les schistes, les cernent, mais les rivières colériques se ruent à l'assaut des barricades rocheuses, tombent, s'élancent de nouveau, s'affaissent, se tordent, bavent, usent la pierre qui ne recule pas, burinent les gorges, creusent les abîmes, taillent les brèches, se faufilent entre les quartiers de roc et passent.
Aguerries désormais, elles rusent, dorment dans les "gours" en faisant des moires, tourbillonnent lentement, rentrent au plus profond de leur lit et brusquement jaillissent, escaladent les obstacles, les submergent et glissent, tout d'une pièce, en hurlant, vers de nouveaux reposoirs.
Du plus lointain des âges, campés en des poses de rêve ou de méditation, des sapins noirs assistent sur les pentes ravinées à ce combat incessant. Parfois la foudre ou la cognée des bûcherons en fauchent quelques-uns et maints troncs ébranchés pendent lamentablement au-dessus des torrents. C'est dans ce décor d'épopée, chaos de rocs, gorges profondes, ciel rare et soleil invisible, que coulent les rivières Auvergnates dans leur cours forestier.
Mais les torrents, ces forces éternelles de la nature délirante et que la pierre têtue ne peut dompter, trouvent enfin leur maître. L'homme les attend ! Et derrière le scientifique barrage en ciment, les fières rivières s'immobilisent impuissantes.
Brusquement arrêtées en pleine course, au paroxysme d'une fureur victorieuse, elles ronflent menaçantes mais asservies en des lacs artificiels.
Une croûte d'écume jaunâtre, de détritus, de feuilles pourries et de bois mort les recouvre comme une honteuse lèpre.
Et ce n'est qu'après la fuite par de ténébreux conduits souterrains, puis la chute sans gloire sur les turbines des usines électriques, qu'elles retrouvent leur lit et la libre lumière.
Les meuniers, à leur tour, captent leurs forces brouillonnes, mais c'est de bonne grâce et en chantant qu'elles font tourner la roue des vieux moulins.
Elles s'attardent même complaisamment aux barrages en bois des scieries et mêlant leurs grondements aux sifflements des roues d'acier dentées, elles passent fleurant la résine et en robe de sciure.
Peut-être, en s'égarant dans quelque bourg, des tanneries noirciront leurs eaux claires, elles n'en rouleront pas moins leurs cailloux blanc et colorés et leurs sables blonds pailletés d'or, recherchés des orpailleurs Arvernes.


Pêcheurs, Le Sioulet,Confolant, Puy de Dôme, Auvergne.

   Les rivières ont conservé d’indéfectibles fidèles : les pêcheurs.
Toute une race vivante qui ne mourra sûrement qu'avec elles, a tracé, génération par génération, des sentiers hardis sur leurs abrupts bords.
Dans les chaudes soirées d'été, les pêcheurs en sabots, armés de longues gaules, tendent filets, jettent cordes hameçonnées, posent verveux et nasses d'osier dans les eaux poissonneuses. Et dans la rose lumière d'aubes toutes pareilles, parmi les parfums d'algues, c'est la "levée" ruisselante. Des truites arcs-en-ciel et des goujons nacrés frétillent dans les mailles; des anguilles noires, qui glissent dans les mains, se débattent au bout des hameçons d'acier.
Mais parfois, les filets sont troués, les cordes vides et sur le sable humide la loutre voleuse a signé de ses griffes son forfait nocturne.
Il n'est pas que les pêcheurs qui hantent les rivières, des pauvres vieilles viennent ramasser dans les rochers, le bois mort, lourd, gonflé d'eau, qui chauffera "l'houstal" au long des jours d'hiver. De robustes lavandières flanquées de deux tas de linge blanc et agenouillées sur les pierres plates, dans les menthes odorantes, manient avec ardeur le battoir sonore.
Sous la garde de jeunes bergères, les brebis et les chèvres broutent les ronces et les herbes folles dans la pierraille ensoleillée des rives bruissantes de grillons, de couleuvres et de lézards.
    Dans les brûlantes après-midi de canicule, des nymphes s'ébattent dans les eaux fraîches... mais bergères d'Auvergne, derrière les rocs, les branches du saule et du bouleau, dans les halliers tout noirs de mûres et les feuillages du tremble, des yeux de faune s'allument encore pour vous !
Les rivières d'Auvergne ne montrent pas toujours un visage aussi virgilien; elles sont capricieuses comme leurs sœurs méditerranéennes et il suffit des brusques orages de l'été, des fortes pluies de l'automne, des fontes des neiges printanières pour qu'elles deviennent "grosses" et déchaînées. Leurs flots bourbeux charrient des planches, des billes, emportent les ponts de troncs d'arbres, saccagent champs et prairies et emplissent les gorges d'un bruit de cataracte.
Ces terribles déportements sont éphémères. Et les rivières d'Auvergne, couleur de roches, de ciel, de lait, couleur des martin-pêcheurs qui les frôlent de leurs ailes, reprennent leur cadence héroïque et leur chant rythmé pour s'en aller mourir en Allier, Lot ou Dordogne.





Sources : Texte : Léon Gerbe, Au Pays d'Artense, 1932.
                   Photos: © Regards et Vie d'Auvergne.
                   http://www.regardsetviedauvergne.fr
                   Le blog de ceux qui aiment l'Auvergne et de ceux qui ne la connaissent pas.


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